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Le mariage de Dona Roza, du peintre portugais José Conrado Rosa

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C'est en 1985 que, grâce à l'aide du FRAM (1) de Poitou-Charentes, le musée du Nouveau Monde de La Rochelle acquit ce tableau qui est, à mon sens, une des pièces-maîtresses de l'endroit.
L'endroit ? Le musée du Nouveau Monde disais-je, installé dans un bel hôtel particulier de la rue Fleuriau : accueillies dans ce superbe bâtiment construit au XVIIIe siècle par Regnault de Beaulieu, et agrandi vers 1775 par Aimé Benjamin, Fleuriau, les collections se déploient dans de beaux espaces rocaille et néo-classiques.


La Rochelle fut, on le sait, l'un des principaux ports de commerce et d'émigration vers le Nouveau Monde : Nouvelle France, Antilles... Et ce, depuis le début du XVIe siècle. Des milliers de français pleins d'espoir quittaient les tours médiévales de La Rochelle pour le Nouveau Monde et leur rêve d'Amérique. D'autres, armateurs et commerçants en tous genres, s'enrichissaient à ce commerce pas toujours très moral et la ville de La Rochelle témoigne, par la diversité et le raffinement de son architecture, de la richesse que certains purent ainsi acquérir. L'Hôtel Fleuriau, demeure d'une famille de négociants rochelais, propriétaires d'une plantation à Saint-Domingue, en est un exemple frappant. Le musée quant à lui, s'est donné pour vocation d'évoquer les relations entre le vieux continent et des nouveaux horizons. Il comprend des peintures, gravures, dessins, sculptures, cartes anciennes et objets d'art décoratif liés au thème du Nouveau Monde ainsi que du mobilier français du XVIIIe siècle et un bel ensemble de mobilier colonial américain.


Mais revenons à notre tableau : intitulé « Mascarade nuptiale », il fut réalisé, la signature nous le rappelle (2) par José Conrado Rosa. Fils et élève du peintre Domingo da Rosa, José Conrado succéda à son père dans la charge de maître de dessin et de peinture des princes de la maison royale du Portugal, travaillant à la cour du roi Pedro III et de la reine Maria 1ère du Portugal durant la seconde moitié du XVIIIe siècle. On sait peu de choses de l'auteur, qui travailla en particulier, semble-t-il, à la décoration du pavillon de Robillon au palais de Queluz (3).
Dans un paysage montagneux, le tableau montre huit personnages de petite taille, manifestement nains : trois sont juchés sur une sorte de calèche, quatre autres posent en pied au premier plan tandis que sur la gauche, un dernier personnage vise de sa flèche une colombe perchée sur la branche d'un arbre.


Il semble avéré qu'il s'agisse d'un portrait de noces : celles de Dona Roza, la naine préférée de la reine Marie 1ère (4), avec Don Pedro. Chaque personnage est   identifié par un texte inscrit sur un élément de son vêtement (5).
Ces courtes notices nous permettent de savoir qui sont les protagonistes de l'histoire. On apprend ainsi que ce sont majoritairement à des individus frappés de nanisme, à l'exception de Siriaco, le noir dépigmenté qui semble avoir la taille de son âge (12 ans), venant de différents sites des territoires coloniaux portugais. Les deux mariés viennent de l'Angola, les deux musiciens arrivent du Mozambique et les quatre autres du Brésil (des états de Pernambouc, Para, Rio de Janeiro et Bahia). Ils sont relativement jeunes et, pour ceux dont la date d'arrivée est mentionnée, présents à la cour depuis peu d'années, à l'exception de Dona Roza.
Dona Roza était, selon un chroniqueur de l'époque (6) « l'exemple préféré de toute cette faune exotique qu'il a toujours été coutume d'entretenir au Portugal… Le nez épaté, de grosses lèvres, un véritable avorton de la race de Cham, vêtue de couleurs éclatantes qui rehaussaient sa noirceur et sa difformité, elle accompagnait toujours la Reine qui lui était très attachée ».
Dona Roza bénéficiait de logements adjacents à ceux de la reine et les factures attestent que cette dernière lui faisait des dons réguliers et importants de vêtements, chaussures, nourriture. À sa mort en 1790, la reine paya pour elle deux cents messes. Il n'y a donc rien d'invraisemblable à ce que la royale maîtresse ait offert à sa suivante préférée ce tableau en souvenir de mariage.


Car le titre actuel du tableau, Mascarade nuptiale, est forcément absurde : il est sans doute récent et ne traduit nullement le sérieux de la scène, qui n'est ni caricaturale ni outrée. Certes, les personnages représentés sont presque tous atteints de nanisme, mais la qualité de leurs costumes et l'air de parfaite dignité qui les anime n'ont rien de risible, de grottesque ou de grossier. Ceux qui veulent voir dans cette toile une mascarade prétendent que les riches vêtements des mariés singeraient la noblesse. Or les archives attestent de dépenses très importantes pour l'habillement des nains de la cour, particulièrement pour les préférés de la reine. Cette petite assemblée est donc en habits de fête, certes, mais nullement ridicules et parfaitement coupés, et élégants. On a même mention de frais pour le maître d'école qui enseignait à Siriaco et à D. José Maria (son voisin de droite sur le tableau ?).


Et les bijoux des femmes ne sont pas des bimbeloteries mais de réels joyaux en or, ou tout au moins d'argent.
D'autres ont voulu voir dans cette composition pyramidale une allusion malséante à la pyramide sociale, outrée selon eux par la coiffure en forme de mitre du laquais (Martinho de Mello e Castro) qui se tient derrière les époux. Cela ne tient pas debout, la reine était trop pieuse pour se permettre une telle raillerie à l'égard du clergé. L'intention satirique n'est pas évidente et il est plus réaliste d'y voir "un cabinet de curiosité" de la nature, (7) ou, plus simplement encore, un cadeau de la Reine à sa suivante préférée. Deux cent messes pour le salut de son âme, c'est la preuve qu'elle l'aimait vraiment et la portait en grande estime.


Le fait qu'il s'agisse bien d'un portrait de mariage et non d'un catalogue d'observations anthropologiques, s'affirme par la présence sur l'arbre situé sur la gauche du tableau d'une blanche colombe, symbole d'autant plus évident de la virginité de la future épousée que Marcelino de Tapuia, tête levée, bande son arc vers elle et semble prêt à la lui décocher la traditionnelle flèche de l'amour. Les personnages qui sont au pied du char nuptial portent tous des instruments de musique qui marquent l'esprit festif du moment représenté.


Pourtant leur air un peu nostalgique et plutôt réservé n'en fait ni des bouffons de cour ni des amuseurs agités ou ridicules. Ils participent avec une vraie dignité au mariage de leur semblable et la façon toute confiante, pleine de douceur, dont les époux se donnent la main teinte la scène d'une véritable humanité paisible.


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Notes :

(1) Fonds Régional d'Acquisition pour les Musées

(2) Signé et daté en bas à droite « José C. Roza, pintou de natural, em 1788 » (H. 270 cm ; l. 190,5 cm).

(3) Voir le site du Palais
Le pavillon de Robillon

(4) Marie Ière de Portugal, dite la Pieuse, est née à Lisbonne le 17 décembre 1734 et morte à Rio de Janeiro le 20 mars 1816. Fille aînée de Joseph Ier et de Marie-Anne Victoire de Bourbon, elle devient reine du Portugal en 1777. Elle a épousé en 1760 l'infant Pedro, son oncle (le frère cadet de son père) qui devient roi-consort à son avènement et à qui elle fait donner le titre de Pedro III. À la suite de la mort de celui-ci en 1786, de son fils aîné en 1788, troublée par les événements de la Révolution française, elle sombre peu à peu dans la folie et son fils cadet Jean VI assure la régence à partir de 1791. Elle part au Brésil en 1807 devant l'avancée des troupes napoléoniennes et y décède. À l'instar d'autres cours, la mode à la cour du Portugal est de s'entourer de jeunes esclaves noirs. Une de leurs vertus est de rehausser la blancheur de leur maîtresse. Ainsi l'auteur et voyageur anglais William Beckford écrit que, lors d'une soirée théâtrale à Lisbonne en 1788, « la belle comtesse de Pombeiro qui, avec ses cheveux blonds et la blancheur de sa peau, faisait un parfait contraste avec la couleur d'ébène de ses deux petites domestiques noires qui l'entouraient ». Mais peut-être plus encore qu'ailleurs, les puissants et les riches aiment « collectionner les curiosités », - objets, animaux mais aussi… humains - parmi lesquelles les nains et tous individus hors normes présentant des « bizarreries physiques ».


(5) Transcription des inscriptions portées sur cette toile, un vrai roman !!
José C. Roza Pintore de natural em 1788 (s.b.d)
Martinho de Mello e Castro, preto natural da Bahia, foi mandado pelo Governador e/ Capitâo General que era de Pernanbuco Joze Cezar de Menezes chegou no ano de 1787 e tem 14 anos [sur deux lignes sur son couvre-chef] : Martinho de Mello e Castro, noir originaire de Bahia, envoyé par le gouverneur et capitaine général de Pernambouc, José César de Menezes, arrivé en 1787, il a 14 ans.
D. Roza do Coracâo de Jesus, preta de idade de 18 annos, natural de Horguetta ( ?) a qual foi mandada para esta corte pelo Governador que entâo era de Angola Jozé Gonçalves da Conaro et chegou a esta cidade a 7 de setembro de 1781. Preta muito celebre pela sua figura ao que uni/vera ( ?) viveza ( ?) juizo e graça que a fazem muito estimavel [sur deux lignes sur l'ourlet de sa jupe] : Dona Roza du Coeur de Jésus, noire âgée de 18 ans, originaire de Horguetta ( ?) d'où elle fut envoyée à cette cour par José Gonçalves da Conaro, qui était alors gouverneur d'Angola et arrivée en cette ville le 7 septembre 1781. Noire très célèbre pour son visage qui allie vivacité, sagesse et grâce qui la rendent très estimable.
D. Pedro, preto natural de Luanda, capital de Reino de Angola donde veio dirigido a esta Corte pelo Governador que entâo era o Barâo de Mossamedes ; tem de 30 a 40 annos de/ idade, a sua exquesita figura se conhece elo retrato [sur deux lignes le long de la dentelle de son chapeau] : Don Pedro, noir originaire de Luanda, capitale du royaume d'Angola d'où il fut envoyé à cette cour par le gouverneur qui était alors baron de Mossamedes. Il a entre 30 et 40 ans, on reconnaît son portrait à son étrange visage.
Marcelino de Tapuia, natural de Mairu ( ?), foi mandado …[illisible] pelo Governador que entâo era/de Para, Martinho de Souza e Albuquerque e tem 26 annos [sur deux lignes sur le bandeau de sa coiffe] : Marcelino de Tapuia, originaire de Mariuá, envoyé par Martinho de Souza et Albuquerque, qui était alors gouverneur du Pará ; il a 26 ans.
D. Anna natu/ral de Rio de Sena don/de foi remetida para Portugal/pelo Governador e Capitâo/General que era de Mecam/bique Antonio de Mello/e Castro e chegou em Ju/nho de 1787, tem 17 /annos de idade [sur neuf lignes sur une cymbalette du tambourin] : Dona Anna, de Rio de Sena, d'où elle fut envoyée au Portugal par Antonio de Mello et Castro qui était gouverneur et capitaine général du Mozambique ; elle est arrivée en juin 1787 ; elle a 17 ans.
D. Jozé, natural de Maruide, de 30 anos de idade:/ passou a o Rio de Janeiro e dela para esta Corte aon/de chegou a 24 de dezembro de 1786 enviado pelo Vi/ce Rei que entâo era dos Estados do Brasil Luiz de Vas/concellos e Souza [sur cinq lignes sur sa ceinture] : Dom José, originaire de Maruide, âgé de 30 ans : est passé à Rio de Janeiro et de là pour cette cour où il est arrivé le 24 décembre 1786, envoyé par le vice-roi des Etats du Brésil, qui était alors Luiz de Vasconcellos e Souza.
Siriaco, natural de Continginba donde passou/ a Bahia e dahi o mandou de presente ao Prince/pe N. S. [D. José] o Governador e Capitâo General que entâo/era D. Rodrigo Jo/sé de Menezes e No/ronha ; tem 12 anos de idade ; chegou/ a esta Corte em/Julho de 1786 ; os raros e/celebres accidentes des/te preto se descobrem no/seu retrato [sur douze lignes sur son caleçon] : Siriaco, originaire de Cotingiba d'où il est passé à Bahia et de là envoyé en présent au prince notre seigneur par Dom Rodrigo José de Menezes e Noronha qui était alors le gouverneur et capitaine général [de Bahia] ; il a 12 ans et est arrivé à cette cour en juillet 1786 ; les exceptionnels et célèbres accidents de ce noir peuvent être vus sur son portrait.
Sebastiaô, natural de Rio de Sena donde foi remetido para Portugal pelo Governador e Capitâo/ General que era de Mecambique Antonio de Melo e Castro, chegou em Juhno de 1787 et tem de idade 31 anos [sur deux lignes sur sa basque] : Sébastien, originaire de Rio de Sena d'où il fut envoyé au Portugal par celui qui était alors gouverneur et capitaine général du Mozambique Antonio de Melo e Castro, arrivé en juillet 1787, et il a 31 ans.
Source Alienor

(6) Il s'agit de l'auteur et voyageur anglais William Beckford.


(7) En cette fin du XVIIIe siècle, on est très attentif aux résultats des métissages et toute une nomenclature s'établit pour désigner chaque degré de mélanges telle celle établie en France par Médéric Moreau de Saint-Méry qui détermine cent-vingt-huit combinaisons possibles.
Un des personnages les plus frappants de cet étrange tableau est sans conteste Siriaco qui fascina ses contemporains et dont la présence sur cette toile est sans doute une des raisons des interprétations fantaisistes qu'on aime à en donner. Il est clair que cet "enfant-léopard" fascinait ses contemporains, puisqu'en décembre 1786, Joaquim Manuel da Rocha, un autre peintre de la cour, reçut 48 000 reis pour le portraiturer. En 1787, deux autres portraits, payés cette fois 86 400 reis du «preto malhado » ou « nègre-pie » ainsi qu'on le désignait alors, furent à nouveau livrés par le même artiste ! l'un est d'ailleurs conservé à Paris au musée de l'École de Médecine et l'autre au musée ethnographique de Madrid. Le dernier, qui était conservé à la galerie de peintures du palais national de Ajuda à Lisbonne, a disparu dans un incendie en 1974.
La seconde moitié du XVIIIe siècle se passionnait pour les études scientifiques et pour l'histoire naturelle. En 1744, Pierre Louis Moreau de Maupertuis publia La Dissertation physique à l'occasion du nègre blanc qui suivit la présence d'un Noir albinos à Paris sur « le prodige » duquel « chacun raisonna à perte de vue ». La question de la dépigmentation intriguait en effet beaucoup et donna lieu à des recherches et des interprétations diverses qui ont accompagné, de manière significative, l'élaboration de théories raciales.


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