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LE PÉRUGIN, MAÎTRE DE RAPHAËL ?

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L'exposition du  musée Jacquemart-André tente de répondre à une question qui continue de diviser les spécialistes : la parenté stylistique entre Le Pérugin et Raphaël est incontestée, mais le futur génie de la Renaissance est-il passé par l’atelier du Pérugin, ou s’en est-il simplement inspiré ? Franchement, l'argument est un peu vain, mais le contenu de l'exposition n'en est pas moins superbe.

Le miracle de la neige, Pérugin - vers 1475 - McEwan Collection, Polden Lacey (Surrey)
Ce petit panneau et son pendant (La nativité de la Vierge, présent aussi à l'exposition mais conservé au musée de Liverpool) faisait partie de la prédelle d'un retable sans doute consacré à Marie, mais non identifié. Il relate le miracle survenu le 5 août 352 à l'église Santa Maria Maggiore sur la colline de l'Esquilin. La Vierge apparut une nuit en songe au pape Libère et lui indiqua qu'il dervait construire une église en son honneur à l'endroit qu'elle lui indiquerait par une chute de neige miraculeuse (rappelons qu'on était en août). Le pape et ses évêques sont à gauche (pas présents sur ce détail) tandis qu'à droite le peintre a représenté le propriétaire du terrain et quelques nobles romains qui n'ont l'air que modérément étonnés. Au centre, la Vierge Marie accomplit à la lettre le miracle prévu puisque la neige tombe en traçant précisément le plan de l'église attendue !! Au fond, quelques bâtiments romains, le Colisée, une colonne historiée (peut-être la colonne Trajane) et un palais ressemblant au Palazzo Venezia... autant dire de constructions un peu anachroniques au IVe siècle !

Pier di Cristoforo Vannucci, dit le Pérugin (vers 1450-1523), eut, entre la fin du XVe et le début du XVIe siècle, un rôle déterminant dans le renouvellement de l'art italien. Capable de tenir tête aux plus grands de l'époque, "en peu d'années, il obtint une telle réputation que ses oeuvres envahirent non seulement Florence et l'Ialie, mais aussi la France, l'Espagne et les nombreux autres pays où elles furent envoyée" (1). 
On sait peu de choses de la jeunesse du peintre, qui entre dans les chroniques à partir de son arrivée à Florence, dans les années 1470, où il était venu pour perfectionner sa technique dans l'atelier de Verrocchio. C'est en 1472 qu'il s'inscrit pour la première fois à la Compagnia di San Luca. Pourtant il semble que, dans un premier temps, il resta peu de temps à Florence, puisqu'il ne renouvelle pas sa cotisation. On le retrouve à Perugia l'année suivante pour la décoration d'une niche ayant pour thème les Miracles de Saint Bernardin de Sienne. Certainement présent à Perugia dans les années qui suivirent, on connait plusieurs oeuvres de lui réalisées dans cette ville jusqu'à la fin des années 1470. Vers 1478, il réalise sa première grande fresque, la Cène, pour le monastère florentin des tertiaires franciscaines du Cenacolo di Fuligno. Il est probable qu'alors Pérugin gravitait dans l'orbite des peintres de Laurent le Magnifique et ce n'est pas un hasard si, peu de temps après, il est appelé à Rome pour y peindre à Saint Pierre, les fresques aujourd'hui disparues de la chapelle de la Conception. En octobre 1481, il se voit confier, avec Sandro Boticelli  Cosimo Rosselli et Domenico Ghirlandaio,la décoration de la chapelle Sixtine. Pérugin y réalise sur le mur du fond un tableau d'autel en trompe-l'oeil, ayant pour sujet l’Assomption de la Vierge, détruit par la suite pour laisser la place au Jugement dernier de Michel-Ange. Sur les murs latéraux, il exécute un Baptême du Christ, le Voyage de Moïse en Egypte et la Remise des clés à Saint Pierre. 


Portrait de don Baldassarre d'Angelo de Pérugin - 1500 - Florence, Galleria dell'Academia
Ce portrait, pour moi une des plus œuvres de l'exposition, est celui d'un moine vallombrosien, doyen des moines de l'abbaye au moment de la commande du tableau, présenté en pendant, du supérieur de l'Ordre, don Milanesi. Le regard, dirigé vers le haut, semble suggérer que les deux religieux regardaient la scène centrale de l'Assomption autour de laquelle ils étaient installés. Cette peinture, d'une vigueur plastique inhabituelle chez l'artiste, est très évocatrice et traduit une ferveur intelligente et ferme.

Sa renommée est alors à son apogée, et il effectue à Rome de nombreuses fresques et commandes car il est solidement intégré à la Cour Papale. Pourtant c'est à Florence qu'il décide de s'installer définitvement en ouvrant en juin 1486 un atelier via San Gilio, près de l'hôpittal de Santa Maria Nuova. Il semble qu'il ait eu, dans le même temps, un second atelier à Perugia.
L'amplification de son succès ne tarda pas à bénéficier de la situation d'instabilité consécutive à la mort de Laurent le Magnifique, en avril 1492. Son langage pictural en effet s'adaptait parfaitement aux discours de dévotion que Jerôme Savonarolle déployait avec fougue dans ses prédications. Sous l'impulsion de l'éloquence enflammée du dominicain, ses figures sont désormais plongées dans une atmosphère crépusculaire propice à la méditation.

Combat de l'amour avec la chasteté - 1502-1503
Musée du Louvre (voir ci-dessous pour le commentaire)

Le peintre séjourna ensuite à Venise de 1494 à l'automne 1495, et la culture picturale lagunaire eut sur son oeuvre une forte influence. Pérugin avait désormais une renommée immense et il reçoit par exemple, en 1503, une commande d'Isabelle d'Este. La peinture, qui figurait dans l'exposition, ne plut pas à la marquise de Mantoue qui s'en montra très déçue ! Il faut bien avouer qu'elle n'était guère enthousiasmante. Il semble que la commanditaire et son artiste n’ont pas su s’entendre, ce dont srend compte la composition embrouillée et le manque global d'inspiration. Non seulement la marquis avait un caractère difficile, mais les discussions sans fin qui animaient les humanistes autour des théories néoplatoniciennes n'arrangèrent guère les choses pour traiter ce Combat de l'amour avec la chasteté, sujet peu familier à l'artiste. La composition est raidichonne, l'impression globale est celle d'une accumulation de motifs sans idée d'ensemble  Faunes, satyres, amours et nymphes s'ébattent dans une nature délicate certes, mais sans esprit. La réalisation de la peinture à la tempera n'arrange pas les choses et fournit un chromatisme une note sourde sans éclat.

Le Christ et la Vierge - 1495-97 - Collection particulière Suisse
Deux tableaux d'attribution récente mais assez convaincante, appartenant sans doute à la période vénitienne de l'artiste. Le fond sombre est peu courant chez Pérugin, par contre la douceur des visages l'utilisation des couleurs comme le vert bouteille, le rouge ou le rose, la teinte des chairs, le décolleté des personnages et la coiffe de la Vierge sont assez dans sa manière.

Au début du XVIème siècle, il prit l'habitude de réutiliser ses idées, en améliorant certes leur perfection formelle, mais en ne se renouvelant pas. Il devient donc, rapidement, un artiste dépassé et, à partir de 1508, n'occupe plus qu'une position marginale dans les grands centres de la péninsule. Plus de commandes à Florence, les fresques qu'il peint pour le plafond de la chambre de l'Incendie au Vatican, ne plaisent pas et Jules II se débarrasse de lui. Ses propres élèves commencent à chercher en d'autres ateliers d'autres sources d'inspiration et le vieux maître reprend le chemin de l'Ombrie, où sa réputation est encore vive et où son succès demeure intact. C'est là qu'il peindra durant le reste de sa vie et qu'il mourra de la peste, en février 1523.

Le Martyre de Saint Sébastien (1490-1495) Rome Galerie Borghese
Debout dans un contraposto élégant, le saint, percé de 5 flèches profondément enfoncées dans sa chair, lève un regard inspiré au ciel, ce qui nous vaut un raccourci audacieux de son menton. Les proportions du corps sont déséquilibrées, torse beaucoup trop long, sans que l'équilibre de l'ensemble n'en souffre. L'arrière-plan s'ouvre sur un des paysages dont le peintre a le secret.

La présentation de l'exposition est, comme toujours à Jacquemard André, sobre, aérée et classique. La première salle de l'exposition est consacrée à la formation du peintre, né à Citta della Pieve entre 1448 et 1450. Sa première éducation artistique se déroula forcément à Perugia, où la présence, dans les années précédant sa naissance, de  Domenico Veneziano (1438), de Fra Angelico (1447) et plus tard de Piero della Francesca,  créa les conditions d'une évolution du langage pictural en direction de formes imprégnées des nouveaux concepts basés sur la lumière, l'usage de la perspective et la structuration géométrique de l'espace.  On sait qu'ensuite Pérugin fréquenta à Florence l'atelier d'Andrea del Verrocchio, orfèvre, peintre, sculpteur et dessinateur qui le marqua profondément.

Le jeu consiste à retrouver les auteurs de ces Vierges à l'enfant : dans l'ordre alphabétique
Botticelli, Caporali (2), Le Pérugin (2), Pinturicchio (solution en note à la fin de l'article)

La deuxième salle rend compte des styles des peintres contemporains avec lesquels l'artiste devait travailler par la suite.
Suivent des salles consacrées aux influences et à l'époque de la chapelle Sixtine, où il côtoya les talents de son temps.

Portrait de Francesco delle Opere - Pérugin 1494 - Florence les Offices-
Autrefois attribué à Raphaël, ce superbe portrait a finalement été restitué à Pérugin et on y voit parfois son autoportrait. Mais une inscription au dos du tableau a révélé qu'il s'agit en fait du portrait d'un florentin, mort à Venise en 1496, issu d'une famille de maîtres soyeux, enrichis par le commerce de tissus ornés de broderies complexes (a l'opera) qui leur valut leur surnom "delle Opere" Pérugin avait rencontré le frère de Francesco, graveur sur cornaline et autres pierres fines et précieuses, avec lequel il collabora d'ailleurs plus tard, en 1505. Le portrait de Francesco a sans doute été réalisé à Venise, ce qui explique le terme dialectal de "glyneco" pour "graveur de pierre" utilisé dans l'inscription. 
Le modèle, assis devant un paysage au reflet bleuté qui révèlent la virtuosité du peintre, est appuyé délicatement sur le bord du tableau, à la Memling. Il tient à la main un rouleau sur lequel on lit "Timete Deum", mots qui annoncent le Jugement Dernier dans le livre de l'Apocalyspe et dont Savanorole aimait à commencer ses sermons pour exhorter les florentins à changer de vie. La lumière enfin, éclaire avec subtilité les traits du visage, lui donnant une acuité très impressionnante. 

Après une digression autour du portrait vénitien, découvert par le Pérugin lors d’un voyage dans la Sérénissime, l’exposition aborde sa production profane, autour de l’œuvre « ratée » conçue pour et avec Isabelle d’Este pour son studiolo dans le Palais ducal de Mantoue. Si la commanditaire et son artiste n’ont pas su s’entendre, ce dont se ressent la composition embrouillée du premier plan, il faut y voir, au-delà du caractère réputé difficile de la marquise, le reflet des discussions sans fin qui animaient les humanistes autour des théories néoplatoniciennes.


Dieu le Père par Raphaël et/ou Evangelista di Pian di Meleto - Musée de Capodimonte Naples - 1500 -1501
Le retable d'où provient ce "morceau" a été peint à deux mains, avec Evangelista di Pian di Meleto. On a trace du contrat qui rémunère les deux artistes pour réaliser un Couronnement de la Vierge et leur attribue 33 florins.  Démembrée dans les années 1789-90, l'oeuvre est connue par une copie partielle qui a permis d'en identifier quelques morceaux. Actuellement on connait 4 fragments qui sont exposés dans différents musées, et rarement regroupés comme ici. L'attribution de chacune de ces pièces à l'un ou à l'autre des deux peintres a suscité des débats animés et on accepte de reconnaître la main de Raphaël, sans doute influencé par Luca Signorelli dans la figure de Dieu le Père

Ce n'est que dans les deux dernières salles qu'est traité le sujet annoncé de l'exposition : après s'être bien imprégné de la manière du Pérugin, le visiteur est prêt à exercer son propre regard critique pour tenter de discerner ce qui caractérise l’art de Raphaël, et  pour discerner ce qui l'éloigne ou le rapproche du Pérugin. La présentation parallèle de deux prédelles de retable permet par exemple de jouer au jeu des différences. 
Mais finalement la querelle d'expert qui sévit à ce sujet est sans doute primordiale pour réhabiliter le maître ombrien et lui donner une place prépondérante dans l'histoire des arts, mais ne revêt qu'un intérêt mineur aux yeux de l'amateur lambda. D'autant qu'ici ne sont présentées que des œuvres vraiment mineures de Raphaël. 

Buste d'ange de Raphaël détail du Couronnement de la Vierge (retable découpé) - 1500-1501
Brescia Pinacothèque Tosio Martinengo
On admet volontiers que l'ange de Brescia est de Raphaël, les boucles de cheveux dorés, et souples, l'écharpe grise soulignée d'un bord blanc ondulé, les modelé du cou étant tout à fait dans la manière de maître d'Urbino. 

Si l'on accrédite la thèse de l'exposition, Raphaël devient redevable au Pérugin de la douceur dont il a su nimber ses personnages pétris d’humanisme, et on peut alors affirmer que c'est grâce à l'enseignement avisé de son maître qu'il serait devenu le génie incontournable de la Renaissance. Plus qu'un avis sur la question, j'ai retenu de l'exposition l'expression du talent propre à Pérugin, de son évolution, de l'affadissement de sa manière sur la fin de sa vie mais de ses rapports supposés ou attendus avec Raphaël, pas grand chose. J'avais tiré plus de plaisir, en ce qui concerne ce dernier, de l'exposition du Luxembourg, visitée il y a quelques années.

Saint François d'Assise par Raphaël - Londres (Dulwich Picture Gallery) - détail - 1504-1505
Il s'agit d'un panneau de prédelle d'un retable donc la partie principale est conservée au Metropolitan Museum of Art de NY. L'attribution à Raphaël a toujours suscité des doutes, et j'avoue les partager : le style est assez inconsistant et manque singulièrement de caractère.


1 - Selon Giorgio Vasari
2 - Étaient présents à cette exposition les trois merveilleux panneaux de prédelle du Musée de Rouen, dont je vous ai longuement parlé dans un précédent article.

Solution pour les Vierges :

En commençant par le haut à gauche : Bartolomeo Caporali (1465 - Perugia)
A côté : Le Pérugin (vers 1470 - Musée Jacquemard-André) dont l'attribution me laisse très sceptique
Dessous : Sandro Botticelli (1470 - Musée Jacquemard-André) et Bartolomeo Caporali (1484 - Musée Capodimonte à Naples)
En bas : Pinturicchio (vers 1475 - National Gallery de Londres) et Pérugin (vers 1500 - Galerie Borghèse à Rome)


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