À article "sérieux", préoccupations futiles : j'ai longuement hésité dans le choix du mets d'illustration de cet article ... un cassoulet ? un lièvre à la royale du sénateur Couteaux ?? une poule au pot ? Finalement j'ai choisi une préparation "intergénérationnelle", à base de homard, car il fallait que tous, des jeunes aux vieux, puissent se dire "Hum ! ça a l'air drôlement bon", afin que mon article prenne son sens.
Si vous avez entre 40 et 50 ans, vous aurez tendance, sauf à chercher sciemment à moderniser votre discours, à dire, en vous léchant les babines, que « c’est ‘ach’ment bon !». Entre 30 et 40, ce qui devrait vous venir à l’esprit est plutôt « c’est super bon !». Mais si vous êtes carrément jeune, disons moins de 30, vous direz d’un air faussement blasé « c’est une tuerie ! »... l’expression ayant l’avantage de vous débarrasser d’un mot banal, « bon » et d’être à la fois provocatrice et – dans les premiers temps de son invention au moins – totalement incompréhensible par les « adultes ».
Mais si, comme moi, vos printemps se comptent en dizaines bien remplies, et que vous flirtez avec 6 ou 7, voire plus, vous direz peut-être, pendant la dégustation, « c’est à se damner ! ». La boucle peut sembler bouclée, car finalement, dans nos morales qui furent judéo-chrétiennes, se livrer à une tuerie condamne, de facto, à se damner, alors qu'il semblerait qu'elle permettre l'accès au paradis pour certains musulmans, à condition toutefois que sa cause fut juste(1).
Mais je crains que les tenants et aboutissants de la mutation langagière soient bien plus complexes, et comme souvent, j’avoue me sentir complètement perdue. Car c’est bien d’un changement plus profond que l’évolution des mots révèle. Et la notion de damnation, que ma génération conçoit comme le châtiment suprême, n’a plus de sens au regard d’une société dont la laïcité est devenue le fer de lance.
Certains, très religieux, disent que nous, français, ne pouvons donc rien comprendre aux réactions épidermiques qu’entraînent nos caricatures de leurs convictions. Par exemple, je trouvais plutôt réussie et modérée la « une » du « numéro des survivants », ce Charlie Hebdo numéro 1178 que la France entière s’arrache encore. Et que, toute émotion mise à part, et décidant de dépasser le compassionnel, je n’achèterai pas. Oui, j’ai eu le mercredi 7 janvier, en sortant du boulot, un haut le cœur en entendant les nouvelles, ma gorge s’est nouée et j’ai versé ma larme. Oui, j’ai suivi avec anxiété et terreur le dénouement de cette tuerie atroce et révoltante. Oui, je suis, en bonne citoyenne héritière des Lumières et, plus tard, des idéaux la Révolution Française – qui fit d’ailleurs pas mal de massacres en son temps – farouchement attachée à la liberté d’expression et de pensée.
Mais c’est justement au nom de cette liberté que je revendique le droit de n’avoir jamais aimé l’humour à la Charlie. Ce n’est pas de ma faute, je suis sensible, et je suis malheureuse chaque fois qu’on raille trop quelqu’un. L’usage des crayons comme des armes, ce que certains caricaturistes revendiquent haut et fort, m’a toujours perturbée. Qu’il s’agisse de ceux d’aujourd’hui, de certains pamphlétaires nauséabonds du XVIIIe, ou des dessins au vitriol du XIXe et du XXen je n’aime pas la méchanceté, même si je reconnais qu’il faut parfois que certains montrent les dents pour défendre leurs idées. Je préfère, définitivement, Devos à Bedos et Plantu(2) à Cabu. On ne se refait pas et je ne crois pas qu’il faille, du jour au lendemain, changer de sensibilité au motif que l’émotion enflamme le monde.
Mais là n’était pas mon propos. Cette « une », longuement préparée et lourdement réfléchie, me paraissait, justement, pondérée, marquée d’un humour triste et d’une compassion profondément teintée d’humanité et, donc, parfaitement adaptée. Et pourtant, elle a soulevé, chez les musulmans, même chez les plus modérés, un tollé (3). Et là, j’ai saisi que nous avons du mal à comprendre une autre religion monothéiste qui ne fait simplement pas partie de notre univers historique, que nous fussions chrétien, ou athée et de culture judéo-chrétienne. Là où il nous semble que le rire est permis, d’autres voient injure et blasphème. Et, fussent-ils indulgents, ils désapprouvent, ce qui est légitimement leur droit.
Comment harmoniser la liberté de pensée avec celle de railler, quand cette dernière touche à ce qui est fondamental pour certains ? Nous décidons, du haut de notre pratique ancienne, et censément idéalisée, de la démocratie, que tout est permis et qu’on peut rire de tout. Plus exactement, nous décidons que ce n’est pas à l’Etat de censurer et d’interdire. Mais la conséquence normale de cette liberté est que chacun est libre d’apprécier ou non, d’adhérer ou de rejeter, de relayer ou d’éviter. Beaucoup, et pas forcément des nuls en démocratie, ont une approche plus restrictive, tant et si bien d’ailleurs qu’un journal comme Charlie est une spécificité française. Qui, dit-on, n’a pas d’équivalent dans le monde. Mais, chez nous, c'est admis et ceux qui se sentent heurtés dans leur sensibilité ou dans leurs convictions profondes, religieuses ou politiques, ne lisent ni n’achètent... et la messe est dite.
Comment harmoniser la liberté de pensée avec celle de railler, quand cette dernière touche à ce qui est fondamental pour certains ? Nous décidons, du haut de notre pratique ancienne, et censément idéalisée, de la démocratie, que tout est permis et qu’on peut rire de tout. Plus exactement, nous décidons que ce n’est pas à l’Etat de censurer et d’interdire. Mais la conséquence normale de cette liberté est que chacun est libre d’apprécier ou non, d’adhérer ou de rejeter, de relayer ou d’éviter. Beaucoup, et pas forcément des nuls en démocratie, ont une approche plus restrictive, tant et si bien d’ailleurs qu’un journal comme Charlie est une spécificité française. Qui, dit-on, n’a pas d’équivalent dans le monde. Mais, chez nous, c'est admis et ceux qui se sentent heurtés dans leur sensibilité ou dans leurs convictions profondes, religieuses ou politiques, ne lisent ni n’achètent... et la messe est dite.
Pourtant, et c’est je crois un bien, cet esprit frondeur, que dis-je, libertaire et franchement provocateur, nous rend (nécessairement) plus ouverts, plus indulgents. C’est ainsi qu’une simple représentation du prophète ne nous parait nullement répréhensible et que, contre partie gênante, nous avons tendance à qualifier d’obscurantistes ceux que le non-respect de la lettre de la « loi »(4) révolte. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : c’est le fait d’avoir croqué Mahomet qui fait protester les musulmans, parce que la « loi » dit qu’on n’a pas le droit de le représenter. Ont-ils , en revanche, ri au dessin de Luz et à l’arrivée au Ciel des deux terroristes, persuadés d’être attendus par une cohorte de vierges, lesquelles, d’après le dessinateur, n'étaient pas au rendez-vous, trop occupées par les délices qu’elles procuraient aux journalistes satiriques arrivés quelques jours avant ? J’en doute, même si j'avoue ne pas savoir où se situe, pour eux, la barre de ce qui est admissible et de ce qui ne l’est pas, du point de vue de leur foi(5).
Remarquons simplement, comme je le disais plus haut, que les musulmans n’ont, jamais, préconisé à quiconque de prendre les armes pour en découdre avec les plumes de nos trublions. Tout est affaire de respect mutuel et dire qu’on se sent bafoué dans ses croyances n’a rien de choquant.
Remarquons simplement, comme je le disais plus haut, que les musulmans n’ont, jamais, préconisé à quiconque de prendre les armes pour en découdre avec les plumes de nos trublions. Tout est affaire de respect mutuel et dire qu’on se sent bafoué dans ses croyances n’a rien de choquant.
Quant au respect, et pour en finir avec un sujet qui ne cesse d’agiter nos bien-pensants, très nombreux quand il s’agit de « faire la morale » – eh oui – il est manifestement toujours plus facile à réclamer qu’à accorder. Et quoi de plus prévisible que de se faire casser la g... quand on insulte gravement la mère, la femme ou le proche de quelqu'un ? C’est pourquoi, pour moi, la plus « belle » réaction que j’aie entendue la semaine dernière, alors que les journalistes battaient le pavé vendredi, dans l’attente du dénouement des inquiétantes prises d’otages sur lesquelles on ne pouvait, sauf à manquer de civisme, communiquer. Certains se livraient, de-ci, de-là, à des micros-trottoirs, demandant aux uns et aux autres leurs réactions à chaud. Une jeune femme, très digne, décréta avec pudeur : « Je suis musulmane, mais aujourd’hui, je suis aussi Charlie, et je suis aussi, un peu, Hyper Casher ». Ce que j’ai trouvé émouvant, c’est cette légère restriction, qui montrait que la déclaration n’avait rien d’irréfléchi, car demander à un musulman d’affirmer qu’il est HYPER casher, c’est quand même un peu fort !! Puissions-nous, simplement, mieux nous comprendre, mieux nous écouter, mieux nous chamailler pour rendre définitivement caduques les manifestations de violence et de haine
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1 - Le concept de jihâd a varié au cours du temps, ce qui n'en facilite pas l'étude. Ses interprétations successives ont souvent été en concurrence parmi les sphères intellectuelles musulmanes elles-mêmes. Loin de moi l'idée de résoudre ici ce problème !!
2 - Pour Plantu dessiner Mahomet, oui, mais avec des explications.
3 - ... et provoqué des morts, sur le sort desquels peu de médias s’apitoient.
4 - Supposée, car le texte sacré ne s’arrête pas à pareilles balivernes, et l'interdiction de la représentation du Prophète est relativement récente.
5 - Les avis des principaux intéressés étant, d'ailleurs, en la matière, assez fluctuants.
Sources : tous les dessins de Plantu qui illustrent cet article proviennent de sa page officielle Face-Book.
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1 - Le concept de jihâd a varié au cours du temps, ce qui n'en facilite pas l'étude. Ses interprétations successives ont souvent été en concurrence parmi les sphères intellectuelles musulmanes elles-mêmes. Loin de moi l'idée de résoudre ici ce problème !!
2 - Pour Plantu dessiner Mahomet, oui, mais avec des explications.
3 - ... et provoqué des morts, sur le sort desquels peu de médias s’apitoient.
4 - Supposée, car le texte sacré ne s’arrête pas à pareilles balivernes, et l'interdiction de la représentation du Prophète est relativement récente.
5 - Les avis des principaux intéressés étant, d'ailleurs, en la matière, assez fluctuants.
Sources : tous les dessins de Plantu qui illustrent cet article proviennent de sa page officielle Face-Book.