Quantcast
Channel: Bon sens et Déraison
Viewing all articles
Browse latest Browse all 313

SIMON, ELIE, DAVID ET LES AUTRES

$
0
0
Affiche de propagande nazie : Der Strümer novembre 1937
"Le démon de l'argent..." je vous épargne la traduction complète de ce tissu d'infamies

Une de mes amies - au nom italien commençant par Santa... - a ce qu'il est convenu d'appeler une "mère juive". Elle en parle souvent, pour nous dire combien cette maman tyrannique correspond au stéréotype conventionnel, et forcément simplificateur, de la "mère juive" : vénération excessive et indulgence hors de propos pour son fils qu'elle materne, sans avoir compris qu'il a plus de 60 ans, dévalorisation systématique de ses filles, surtout de mon amie (l'autre a fui aux Etats Unis !!), usant et abusant de la culpabilisation afin mieux tous les manipuler (1). Habitant à deux pas, elle est capable de faire irruption chez elle à tout instant, sans frapper ni s'annoncer, se mêlant sans scrupules de tout avec les meilleurs intentions du monde. Infernale mais toujours présente, coquette, aimable, drôle et joyeusement despotique, cette vieille dame assume avec fierté ce rôle à sa mesure.

Jules Grün : Fin d'un dîner entre amis

Il y a une quinzaine d'année, mon amie devint grand-mère : un adorable petit garçon venait de naître, que sa fille décida d'appeler  Élie. Et, un soir où nous dînions ensemble, l'amie nous raconta la crise épouvantable que faisait sa maman, inquiète du choix de ce prénom, à la connotation trop manifestement hébraïque, disant à qui voulait l'entendre que c'était dangereux. Je revois, comme si c'était hier, la joyeuse tablée s'esclaffant à qui mieux mieux sur l'archaïsme incroyable de cette réaction, et sur l'invraisemblance de cette peur, à nos yeux totalement dépassée et injustifiée.


C'est ce souvenir qui m'est revenu l'autre matin quand j'ai entendu l'effrayante histoire arrivée à un jeune couple de Créteil. On y parlait sans retenue du "caractère antisémite avéré", de préjugés qu'on croyait dépassés du type "les juifs ont de l'argent". Préjugé tout juste bon pour la génération de nos parents (ils sont presque tous morts, Dieu ait leur âme) : ils l'avaient tant entendu rabâcher à force de journaux, d'affiches et de films d'actualité au début des années 40, qu'ils avaient du mal à l'effacer de leur esprit.
Cette réaction, malheureusement légitime, de la vieille maman de mon amie aurait d'ailleurs aussi pu me revenir à l'esprit lors de l'affaire Merah, ou au moment de la tuerie du Musée juif de  Bruxelles. C'était il y a 15 ans et les alarmes de cette dame âgée nous semblaient d'un autre âge, ridicules et absurdes, quoique vaguement émouvantes, car elle avait vécu la guerre et son inquiétude s'appuyait sur un passé respectable. Mais tous, autour de cette table, étions d'accord pour dire que c'en était heureusement terminé des vieilles lunes, que le monde avait changé et que, bien sûr, on ne verrait plus jamais ça. Un prénom, fut-il un marqueur culturel affiché, ne devait pas être source d'angoisse... Et l'arrière-grand-mère ferait mieux, disions-nous, de s'émerveiller sur le joli sourire du bébé, plutôt que de ressortir ces craintes ancestrales et démodées.


Vous me direz, avec justesse, qu'il faut raison garder, qu'il existe partout des pieds-nickelés prêts à s'emparer de n'importe quel prétexte fumeux pour justifier leurs exactions... Vous ajouterez qu'il ne faut pas s'étonner que l'antisionisme de bon aloi (et sans doute justifié) fasse, aux yeux de ceux que de telles subtilités dépassent, le lit d'un antisémitisme qu'on pourrait qualifier primaire... Mais mon propos n'est pas ici de développer ces sujets délicats. Ce qui me frappe, c'est la distance parcourue, un peu à notre insu, depuis 15 ans : nous pensions à l'époque que, concernant les haines élémentaires, le monde avait changé et que s'ouvrait devant nous une ère de tolérance et de discernement, remisant au rang des antiquités la peur de l'étoile juive. Le monde nous a donné tort et il dément chaque jour un peu plus nos illusions candides.

-------
(1) Conseil à une mère juive : « Faites cadeau à votre fils Marvin de deux chemises sport. La première fois qu’il en met une, regardez-le avec tristesse, et dites-lui d’un ton pénétré : “Alors, et l’autre, elle ne te plaît pas ?” » (Dan Greenburg, How to Be a Jewish Mother, Los Angeles, 1964, cité dans Paul Watzlawick et alii, Une logique de la communication, traduit par Janine Morche, Paris, Seuil, 1972, points essais p. 211.)(source)

Viewing all articles
Browse latest Browse all 313

Trending Articles



<script src="https://jsc.adskeeper.com/r/s/rssing.com.1596347.js" async> </script>