LES GUERCHIN DE DENIS MAHON (2)
Le jeune Bacchus malade (1593-94)
Rome Galerie Borghèse
Réalisé au début de la période romaine de Caravage, cette toile de chevalet est celle d'un artiste encore peu connu qui doit "vendre", et donc, plaire. Mais on sent bien dans cette toile combien l'artiste est déjà sûr de lui et a un vrai caractère, car il ne sacrifie pas aux canons du marché. Traditionnellement en effet, on représente Bacchus soit ivre et âgé, soit jeune et en train de séduire Ariane.
Ici le dieu est seul, comme un portrait (on s'accorde d'ailleurs en général à dire qu'il s'agit d''un autoportrait(1)), pas dans une scène de genre d'un style buccolique, comme c'est souvent le cas. Accoudé sur une tablette en pierre où repose une nature morte composée de pêches et de raisins noirs, il tient à la main une grappe de raisins blancs qu'il semble vouloir porter à la bouche. Le buste à-demi tourné donne l'impression qu'il a été interrompu dans sa dégustation des raisins pour faire face au spectateur. Le visage est représenté de trois-quarts et porte une couronne de lierre, ainsi qu'un costume drapé blanc à l'antique, qui laisse une épaule dénudée, selon un schéma d'atelier que les historiens d'art ont clairement identifié (2).
Ici le dieu est seul, comme un portrait (on s'accorde d'ailleurs en général à dire qu'il s'agit d''un autoportrait(1)), pas dans une scène de genre d'un style buccolique, comme c'est souvent le cas. Accoudé sur une tablette en pierre où repose une nature morte composée de pêches et de raisins noirs, il tient à la main une grappe de raisins blancs qu'il semble vouloir porter à la bouche. Le buste à-demi tourné donne l'impression qu'il a été interrompu dans sa dégustation des raisins pour faire face au spectateur. Le visage est représenté de trois-quarts et porte une couronne de lierre, ainsi qu'un costume drapé blanc à l'antique, qui laisse une épaule dénudée, selon un schéma d'atelier que les historiens d'art ont clairement identifié (2).
Le Bacchus malade fait partie de l'ensemble de premières œuvres produites vers 1593-1594, représentant de jeunes garçons bruns, frisés, associés à des éléments de nature morte (fruits, feuilles), dans un traitement profane ou mythologique. Certains éléments vont traverser une grande partie de l’œuvre ultérieure de Caravage, en particulier le traitement de l'ombre et celui de la lumière, qui provient de la gauche, laissant des fonds sombres, indistincts, voire complètement noirs.
Quant au titre de l'oeuvre, il est certainement "romantique", tout à fait dans la tradition qui fait du peintre un artiste maudit, un paria, un renégat en marge de la société. Pour autant, il faut bien avouer que, mauvais traitement de la peinture ou pas, le personnage, donc Caravage lui-même, n'a pas trop bonne mine ! Quoique doté d'une musculature athlétique, son teint cireux, sa chair gonflée, ses yeux cernés, cette bouche presque violette donnent une incontestable impression de mauvaise santé.
Le joueur de luth (1595-96)
Musée de l'Ermitage à Saint-Pétersbourg
De la même veine d'inspiration (un tableau fait pour séduire d'éventuels acheteurs), l'oeuvre plut puisqu'il en existe trois versions. (3) Or, on le sait, Caravage reproduisait volontiers ses propres peintures si elle avait l'heur de tenter les commanditaires. Lui, ou parfois ses suiveurs : on était moins bégueule qu'aujourd'hui en matière de "copie" !!
Certains identifient le sujet comme étant le castrat espagnol Pedro Montoya, qui était durant ces années-là (1595-96) chanteur à la Chapelle Sixtine. Le jeune homme a les lèvres légèrement entrouvertes, comme s'il était en train de chanter en s'accompagnant de son instrument. Le regard langoureux et la bouche voluptueuse sont caractéristiques de la sensualité des modèles peints par Caravage durant sa première période romaine.
D'autres l'indentifient au peintre sicilien Mario Minniti, qui était dans l'atelier romain à cette époque et que Caravage retrouvera d'ailleurs durant son séjour en Sicile. Ils se basent pour étayer cette affirmation sur le fait que le modèle semble s'appliquer à faire preuve de professionnalisme pour pincer ses cordes, mais l'ensemble manque un peu de naturel et fait posé.
L'élément le plus notable de la toile est la double nature morte représentée sur la table : celle des fruits et des fleurs arrangées dans un superbe vase translucide, qui reflète la lumière, et, à côté une nature-morte "musicale".
Le violon et son archet, posés de biais sur la table de marbre, font comme un contrepoint musical au luth dont joue le musicien, d'un air nonchalant et languide.
La partition a été identifiée par les musicologues comme provenant du Premier livre de Madrigaux à 4 vois de Jakob Arcadelt (1539-1654):
Chi potrà dir quanta dolcezza provo,
Se la dura durezza in la mia donna,
Voi sapete ch'io v'amo anzi v'adoro,
Vostra fui e sarò mentre ch'io viva.
Tous ces madrigaux parlent de thèmes amoureux et de passion. La toile serait donc une invitation à jouir des plaisirs de l'art, musique et chant, mais aussi avec des plaisirs terrestres plus prosaïques, fleurs et fruits, et ceux, tout aussi sensuels, de l'amour ! On a, enfin, avancé une dédicace à Giustiniani, à cause du grand "V" - majuscule clairement lisible sur la partition - qui serait l'initiale du prénom du commanditaire, Vincenzo.
La composition enfin, est très originale : une ligne principale trace la direction générale de la scène : c'est la grande ligne jaune qui va du haut du bouquet au manche du violon. Elle est doublée par l'inclinaison de l'épaule du musicien et par le dégradé de la nature-morte. Puis, posés comme des notes accentuées dont le modèle serait l'inclinaison des yeux du luthiste, quelques accents rigoureusement parallèles à cette direction : page de la partition et du livre posé en dessous, corps du violon, manche du luth ... Comme des altérations, dièse ou bémol, dans une partition dont la tonalité principale doit subir quelques variations.
Judith décapitant Holopherne (vers 1598)
Rome Galerie Nationale d'Art ancien
Une des œuvres les plus impressionnantes de l'artiste, on a du mal à l'oublier tant elle est frappante. Le peintre était, lorsqu'elle fut peinte, au service du Cardinal Del Monte. Mais le commanditaire était un banquier génois Orazio Costa, qui acheta d'ailleurs plusieurs autres œuvres comme L'Extase de saint François, ou Marthe et Marie-Madeleine.
Fillide Melandroni, la plus célèbre des courtisanes à avoir posé pour Caravage, sert de modèle pour Judith ; cette jeune femme, âgée d'environ 20 ans en 1600, est également la Catherine de Sainte Catherine d'Alexandrie (1598) et la Marie Madeleine de Marthe et Marie-Madeleine (1598-1599). (5)
Le visage cruel de la vieille servante est sans doute inspiré par les études ou caricatures de Léonard de Vinci, conservées à la pinacothèque ambrosienne de Milan.
La scène (6) représente la veuve Judith qui, après avoir séduit le général assyrien Holopherne, l'assassine dans son sommeil pour sauver son peuple du tyran pendant le siège de Béthulie. Une servante l'accompagne portant un sac pour emmener la tête quand elle sera coupée.
La radiographie montre qu'à l'origine, Judith était représentée les seins nus ; Caravage décida finalement de les recouvrir d'un voile et la sensualité de cette poitrine tendue dans l'effort n'en est que plus torride !
Caravage a figé l'instant : celui du cri de l'homme décapité dont Judith n'a pas encore fini de couper la tête, qui commence à se détacher du corps.
Le sang gicle sur l'oreiller et le drap, le bras musclé se replie dans un acte ultime de douleur et d'inutile défense. Par sa mise en scène intemporelle, proche d'un instantané, ce tableau illustre le refus de Caravage de respecter les conventions iconographiques en cours pour ce type de scène. C'est Judith décapitant Holopherne, mais c'est aussi la Vertu triomphant du mal, ou mieux encore, la Contre-Réforme catholique en cours combattant sans pitié l'hérésie.
La composition est puissante et les lignes de forces suivent les regards : deux axes principaux, regard de Judith-main ouverte du supplicié d'un côté, épaule d'Holopherne-main de Judith en train de trancher-mains de la servante qui attend la tête de l'autre. C'est l'action principale.
Deux autres axes secondaires s'ajoutent au récit (axes rouges) : celui qui joint le regard de la servante à la main de Judith tirant les cheveux du général assyrien d'une part, et les deux mains de l'homme assailli par la vindicte de ces deux femmes déterminées et farouches, d'autre part. Le peintre joue, pour créer le drame, sur un puissant jeu chromatique entre ombre et lumière, grâce à un violent éclairage latéral traversant la scène depuis la gauche (comme toujours !). Les teintes chaudes dominent : le rouge du rideau qui clos la scène répondant au vermillon du sang qui gicle, l'or du manteau de Judith faisant écho au brun brillant du tissu que tient la servante.
Saint Jérôme écrivant (1605-1606)
Rome Galerie Borghèse
Il est possible que Scipion Borghèse, déjà détenteur de La Madone des palefreniers, ait été le commanditaire du tableau.
Le traducteur de la Vulgate, drapé dans un grand manteau rouge qui évoque son rang de cardinal, est représenté en train d'écrire, tout en lisant le texte sur lequel il travaille. Son bras droit, démesurément long, tient un stylet qui avance tout seule !! La figure du vieillard à front ridé et barbe cotonneuse fait penser à celles de l'Abraham du Sacrifice d'Isaac ou du Saint Matthieu et l'Ange de Saint Louis des Français.
Sur la gauche, le tableau se termine par le memento mori d'un crâne, presque symétrique de celui du saint, placé sur un livre ouvert.
On ne peut pas dire que Caravage se répète dans le choix de ses compositions : ici, tout est strictement horizontal !! Seuls les deux pieds de la table sur laquelle travaille le saint, ancrent la composition de façon stable et solide dans l'espace, verticalité soulignée par le pan de linge blanc qui cache à demi le pied gauche du meuble.
Saint François en méditation sur le Crucifix (1606)
Crémone, Museo Civico
Commandé probablement pour un monastère franciscain de Rome ou de Naples, ce tableau, d'une date incertaine, fut identifié par Roberto Longhi en 1943 qui a proposé 1606.
La scène se passe en extérieur. Saint François, agenouillé, a le menton appuyé sur ses mains entrelacées. De profondes rides creusent son front et il médite.
Il est en train de lire un livre dont les pages sont maintenues ouvertes par un crucifix. Un crâne en memento mori ou en « nature morte de dévotion », supporte la couverture et quelques pages de droite.
Il est en train de lire un livre dont les pages sont maintenues ouvertes par un crucifix. Un crâne en memento mori ou en « nature morte de dévotion », supporte la couverture et quelques pages de droite.
La bure, aux teintes brunes assez lumineuses, est sculptée par la lumière, et le détail naturaliste du bord effrangé de l'humble vêtement, est typiquement caravagesque. Comme l'éclairage puissant de la scène, tombant depuis la gauche du tableau et ménageant en fond une ombre profonde qui découpe le saint comme une statue.
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(1) Quelques spécialistes avancent que Le Bacchus malade aurait été peint dans une période où le Caravage était frappé par la malaria ; d'autres parlent simplement d'une sortie de convalescence. L'érudit Maurizio Marini soutient quant à lui que la tonalité verdâtre de l'image serait plutôt due à une procédure inadéquate d'une restauration ancienne.
(2) Le choix de la position du personnage, l'enroulé du bras font fortement penser que Caravage a été influencé par un dessin de la Sibylle persique de Simone Peterzano, parfaitement connu, peintre chez lequel il avait démarré son apprentissage à 13 ans, dès 1584 et pour au moins 4 voire 6 ans.
(3) Les deux autres versions sont, l'une dans la collection Wildenstein et l'autre à la Badminton House de Gloucestershire, l'attribution de cette dernière étant toutefois contestée. (4) Il existe du joueur de luth une version légèrement différente (qui me semble, personnellement très contestable comme oeuvre originaleà qui est au Metropolitan Museum de New York. Avec, en particulier un virginal et une autre partition, celle d'un madrigal de Francesco Layolle (1492-1540), extrait de son Premier livre de Madrigaux intitulé "Lassare il velo". En haut à gauche, on y voit une petite cage avec un oiseau, qui symboliserait selon certains le chant naturel. Pour d'autres, il serait le signe de la solitude du poète amoureux et, forcément, malheureux !! (5) Elle pose également pour le Portrait d'une courtisane exposé au Kaiser Friedrich Museum de Berlin mais qui fut détruit lors des bombardements subis par la capitale allemande lors de la Seconde Guerre mondiale.
(6) Scène issue de l'Ancien Testament :Livre de Judith, 13:8-116.
(3) Les deux autres versions sont, l'une dans la collection Wildenstein et l'autre à la Badminton House de Gloucestershire, l'attribution de cette dernière étant toutefois contestée. (4) Il existe du joueur de luth une version légèrement différente (qui me semble, personnellement très contestable comme oeuvre originaleà qui est au Metropolitan Museum de New York. Avec, en particulier un virginal et une autre partition, celle d'un madrigal de Francesco Layolle (1492-1540), extrait de son Premier livre de Madrigaux intitulé "Lassare il velo". En haut à gauche, on y voit une petite cage avec un oiseau, qui symboliserait selon certains le chant naturel. Pour d'autres, il serait le signe de la solitude du poète amoureux et, forcément, malheureux !! (5) Elle pose également pour le Portrait d'une courtisane exposé au Kaiser Friedrich Museum de Berlin mais qui fut détruit lors des bombardements subis par la capitale allemande lors de la Seconde Guerre mondiale.
(6) Scène issue de l'Ancien Testament :Livre de Judith, 13:8-116.