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LES GUERCHIN DE DENIS MAHON (2)

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Pas question de vous imposer ici tous les Guerchin présents à l'exposition, mais seulement un petit choix de toiles particulièrement belles.

Vénus, Mars et Amour par Le Guerchin,

La toile qui ouvre l'exposition  est emblématique de l'esprit de la manifestation. Elle vient de la Galerie Estense de Modène et fut "découverte" par Denis Mahon. La mise en espace est d'une inventivité formidable : Cupidon est représenté à l'instant où, après avoir fait "la mise au point", il s'apprête à tirer une flèche vers le spectateur. 


Un effet de lumière assez vif donne l'impression que l'arc et le bras sortent quasiment du tableau, presqu'en trompe-l'oeil, et l'effet est accentué par le geste de Vénus qui point un doigt élégant vers cette cible extérieure, nous. La flèche étant strictement perpendiculaire à l'arc, elle se limite à une pointe invisible et pourtant très menaçante !


La composition, d'un classicisme parfait, est d'une efficacité impressionnante. Deux diagonales se croisent précisément au centre obscur de la toile, et la flèche prête à partir se situe juste un peu au dessus de ce point. La diagonale haut droit-bas gauche passe par le visage de Vénus et suit avec précision ses jambes, l'enfermant dans le coin inférieur droit de la toile. Cette partie est de couleurs chaudes : la chair douce et claire, le tissu jaune d'un or profond qui recouvre les cuisses de la déesse créent une ambiance très lumineuse. Vénus, dans cette "demie-toile", est comme protégée des regards indiscrets de Mars, qui écarte avec autorité un rideau, faisant apparaître derrière lui un ciel nuageux et, au loin, une ville fortifiée éclairée par un rayon pâle. 


Ici les teintes sont bleutées, argentées et métalliques, seulement réchauffées le vêtement rouge que le dieu porte sur l'épaule gauche. Le seul lien entre ces deux zones chromatiques complémentaires est, bien sûr Cupidon qui empiète sur les deux espaces, créant ainsi l'union parfaite du sujet.


Mars, équipé de pied en cap, casque rutilant, plumet encore agité par la course qui vient de l'amener en ces lieux, cuirasse étincelante, lance martiale, a un regard farouche et conquérant. On a identifié avec précision François 1er, auquel la toile était destinée...


et ce avec d'autant plus de certitude que les armes qui ornent le carquois sur lequel Vénus s'appuie langoureusement, y posant une main presque possessive, sont les siennes.


Mais revenons à cette composition exemplaire : c'est justement à cette main raffinée qu'aboutit la deuxième diagonale du tableau. Elle part du visage du roi - ou du dieu -, suit la courbe des cuisses de la belle, passe par son ventre très sensuel et se termine sur ces doigts effilés et légers. 

La Vierge au passereau par Le Guerchin,


La toile, en en provenance de la Pinacothèque de Bologne à qui Mahon l'offrit, est une merveille de douceur et d'intimité doucement partagée. L'enfant joufflu et confiant est en équilibre sur le genou de sa mère qui le serre tendrement contre elle. Tous deux regardent avec une attention soutenue et complice le petit oiseau, à la patte tenue par une ficelle que la Vierge présent sur son index tendu. Une lumière chaude et diffuse, venant de la droite du tableau, éclaire les épaules de l'enfant, laissant son visage rosé dans l'ombre, et pose un éclat précis sur la main de la mère et sur l'oiseau.


Le thème est un grand classique de l'iconographie religieuse mais Guerchin le traite sans solennité majestueuse, ramenant la scène à une sphère intime et familiale. C'est une histoire de la vie de tous les jours : Marie est une jeune femme aux cheveux enveloppés dans un ruban de tissu simple, Jésus manifeste une fascination enfantine pour le jeu que lui propose sa mère. La petite ficelle qui retient l'oiseau prisonnier ajoute encore du réalisme à l'image. La scène est familière et spontanée, et riche d'une forte intensité émotionnelle. Pas d'anges, aucune auréole, aucun signe de la divinité de l'Enfant : c'est, en apparence, un instant de tendresse intense entre la mère et son bébé. Pourtant l'on sait, en tant que spectateur, que cet oiseau symbolise les souffrances futures de Jésus et préfigure son sacrifice. 


Ici encore, la composition de cette oeuvre de jeunesse de l'artiste (1615-1616) est parfaite : deux lignes partent de l'oiseau pour rejoindre les coins droits de la toile. Celle du haut passer la coque rosée de l'oeille de marie, suite la pointe de son nez et aboutit sur la queue du passerau. L'autre repart du même point, traverse la main de la Vierge, passe les deux genoux bien ronds du bébé pour se perdre dans le vêtement sombre de sa mère. Ce V concentre tout l'attention des personnages et du spectateur sur le sujet anecdotique de la toile, créant une zone chaleureuse au centre du tableau, un refuge qui concentre tout l'amour maternel,  exprimé ainsi avec force et retenue. L'atmosphère est douce et floue, accentuant le caractère intime de l'instant saisi. 

La Sibylle Persique  par Le Guerchin


Les Sibylles étaient des prophétesses, des femmes faisant oeuvre de divination. Elles étaient, selon les Anciens, au nombre de 12 et la sibylle persique est la fille de Berosos et d’Erymanthé, on la nomme parfois Sabbé. Les Pères de l'Église n'ignoreront pas ces textes obscurs qui circulent encore largement à leur époque. À leur suite et pendant longtemps, les auteurs chrétiens ont cherché, avec plus ou moins de bonheur, à voir dans les vaticinations des Sibylles des marques sans équivoque de l'attente du Messie sauveur par le monde païen. Ceci explique qu'elles sont fréquemment représentées dans l'art chrétien, particulièrement à la Renaissance ou encore à l'époque baroque. 


Il faut dire que ce sont des sujets attrayants pour les peintres qui peuvent ainsi, sous couvert de religion, réaliser de fort jolies femmes, aux traits pensifs, à la mine rêveuse ...


... vêtues de riches étoffes qui leur permettent de mettre en avant leur talent à représenter les étoffes. Les draperies rouges et pourpres de Persica, son élégant décolleté bordé d'un bleu vif, ses manches d'un blanc éblouissant, sont autant de délicieux prétextes que Le Guerchin manie avec un plaisir manifeste. Un jeu d’ombre et de lumière module la composition, qui émerge sur un arrière-plan sombre.


 L’équilibre serin de la composition, visage, buste, vêtements, pureté des traits, l’intériorité de l’expression, nature morte au livre sont d'un très grand classicisme. En principe, l'attribut de la Sibylle Persique est une lanterne symbolisant la lumière apportée par le Messie et elle foule au pied le serpent de Genèse qui a abusé Ève. Ici, aucun de ces éléments, mais l'inscription portée sur la tranche du livre sur lequel elle s'appuie est clair et ne laisse aucun doute quant à sa dénomination.

Amnon chasse sa soeur Tamar par Le Guerchin

Amnon est le fils aîné de David, demi-frère de Tamar, fille aussi de David mais d'une autre mère. Elle était d'une grande beauté, et Amnon en tomba amoureux. Cette passion le tourmentait car elle lui semblait sans issue. Yonadab, un ami, lui dit : " D'où vient, fils du roi, que tu sois si faible chaque matin ? Ne m'expliqueras-tu pas ? " Amnon lui dit : " Tamar, la sœur d'Absalon, mon frère, moi, je l'aime. " Alors Yonadab lui dit : " Couche-toi sur ta couche, fais le malade et quand ton père viendra te voir , tu lui diras : ''Que ma sœur Tamar vienne et qu'elle me prépare à manger, qu'elle prépare la nourriture à mes yeux pour que je voie et je mangerai de sa main. " Il se s'agit pas là d'un conseil félon ou malhonnête : rappelons que dans la Bible l'union entre d'un homme et sa demi-sœur n'était pas considérée, à cette époque, comme un inceste. 

Alors pourquoi ce désespoir ? Ce qui semblait impossible à Amnon, ce n'était pas d'épouser Tamar mais simplement de lui parler, de l'approcher : fille du roi et vierge, elle vivait à l'écart de la présence des hommes, mêmes de ses frères. Yonadab veut seulement permettre à Amnon d'adresser quelques mots en privé à Tamar, rien de répréhensible. 

Amnon met en œuvre le plan de son ami et demande même que Tamar lui prépare deux gâteaux appelés ''cœurs'', ce qui laisse percer son désir secret. Ainsi que Yonadab l'avait prévu, le roi David envoie Tamar chez Amnon. Elle prend de la pâte, la pétrit, et prépare sous ses yeux les gâteaux en forme de cœur qu'elle fait cuire. Puis elle les lui présente mais il refuse de manger. Amnon demande à ce que tous sorte de la chambre et dit à Tamar : "Apporte le plat dans la chambre et je mangerai de ta main. " Tamar prit les ''cœurs'' et les lui apporte. Il la saisit et lui dit : " Viens, couche avec moi, ma sœur! " Elle lui dit : " Ne me violente pas, mon frère, car cela ne se fait pas en Israël. Ne commets pas cette infamie. Moi, où irais-je porter ma honte et toi tu seras comme un infâme en Israël ! Parle donc au roi : il ne me refusera pas à toi." Mais Amnon refuse de l'écouter et ne suit que la violence de son désir. Il se saisit d'elle, lui fait violence et coucha avec elle. Alors Amnon se prit à la haïr d'une haine encore plus forte que l'amour qu'il avait eu pour elle. Il lui dit : " Lève-toi ! Va-t-en ! ". Elle lui répond : " Non, mon frère, car me chasser serait un mal plus grand que l'autre que tu m'as fait. " Rien n'y fait, Tamar l'implore de la garder, de le pas la déshonorer plus, mais il appele un serviteur et lui déclare : " Chasse donc celle-là de chez moi, dehors, et verrouille la porte derrière elle. " 

Jetée dehors, Tamar se couvre la tête de cendres, déchire la tunique à manches longues, symbole de sa virginité perdue, et part en pleurant. Son frère Absalom (demi-frère donc d'Amnon) lui dit : " Serait-ce que ton frère Amnon a été avec toi? Maintenant, ma sœur, tais-toi. C'est ton frère : ne prends pas cette affaire à cœur . " Tamar demeure donc, abandonnée dans la maison de son frère Absalom. Lorsque le roi David apprend toute cette affaire, il est très irrité mais ne fait rien, ne punit pas Amnon pour il éprouve une très vive affection. 


Le Guerchin représente de façon très pudique, sans suggérer le viol par des tenues trop dénudées comme d'autres le firent, l'instant où Amnon jette sa sœur dehors. 



Son geste, très inspiré du Caravage - comme le strict profil tourné vers Tamar, et la main posée sur la hanche - indique la porte qu'on aperçoit comme un trou noir sur la droite.


La jeune femme lève les mains en signe de dénégation et de désespoir. La scène est très statique, sans doute pour accentuer son caractère tragique et définitif. 


Ce statisme est accentué par la composition linéaire de la scène : Guerchin nous offre une mise en espace totalement frontale, les yeux des personnages, leur bouches, leurs mains droites sont strictement au même niveau, figeant l'instant comme un cri. La violence est sous-jacente, prête à exploser... l'expulsion est suggérée par la ligne des mains gauches qui ouvre la composition vers la droite, vers cette porte d'infamie qui attend Tamar.


A suivre :
LES CARAVAGE DE DENIS MAHON (3)


Source pour l'histoire de Tamar : une conférence biblique ici.

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