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GASTON BALANDE, DEUXIÈME : le "Musée" de SAUJON (1)

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Balande la crucifixion de Saujon (2)
GASTON BALANDE, DEUXIÈME : le "Musée" de SAUJON (2)

Je vous épargnerai l'histoire de notre valeureux peintre local dont je vous ai déjà, sur plusieurs billets, raconté en détail la carrière, le style et la vie, puisque j'ai même consacré un billet à son fils ! Mais depuis cette découverte, j'avais très envie de voir la collection de toiles de ce peintre que possède et expose la mairie de Saujon. Cet artiste, qui a laissé près de 3500 toiles et qui disait "peindre c'est ma joie de vivre", cet homme qui, à plus de 90 ans, à quelques mois de sa mort, dessinait et peignait encore, continuant même à mener esquisses et projets comme s'il avait de nombreuses années devant lui pour mener à bien ses entreprises, avait été, je l'ai raconté plus haut, conservateur du musée de La Rochelle. Et, à ce titre, il savait l'importance de la diffusion et de la transmission au public d'une oeuvre pour assurer la renommée de l'artiste. Nombre de ses toiles sont aujourd'hui dans des collections privées mais, grâce à la donation qu'il fit avant sa mort à la mairie de Saujon et que sa veuve eut à cœur de concrétiser, on peut mieux le connaitre en découvrant un choix d'oeuvres léguées à sa commune, sinon natale mais au moins d'enfance (il est né rappellons-le, par les hasards d'une idylle romanesque, à Madrid... mais l'idylle ayant tourné court, il a grandi à Saujon chez ses grands parents). Peu d'expositions lui ont été consacrées (je ne comprends pas que le musée de Royan ne l'ait pas encore fait), et même si nombre de musées détiennent quelques toiles (1), cette collection saujonnaise est d'autant plus précieuse et passionnante à visiter.
La ville de Saujon n'a pas , vu sa taille, les moyens d'entretenir un musée : mais la solution choisie est un bon compromis. La mairie, très joliment installée dans un bâtiment XIXe intelligemment rénové, abrite la trentaine d'oeuvres de l'artiste et on peut, soit lors des journées du patrimoine, soit en demandant une visite guidée à l'Office de tourisme (surtout en juillet-août, mais en fait tout au long de l'année puisque c'est sur rendez-vous), découvrir les multiples facettes de l'oeuvre de Gaston Balande. Nous avons eu la chance de faire cette visite avec Jessica, une jeune femme adorable, très documentée, très compétente et passionnée de surcroît, et je puis vous assurer que cela vaut absolument le détour. 

Déneigement du campement de Nieuport (1917) : une composition originale que cette scène. Au centre, la barre des habitations du camp, dans les tons de jaune. En bas, les hommes, taches bleues assez bien détaillés, s'affairent, pendant qu'en haut, sur un ciel gris assez pesant, des branches cassées, en tous sens, qui semblent répondre à l'agitation des soldats, comme autant de contrepoints désordonnés.

D'autant que Saujon possède un éventail très représentatif de la carrière du peintre, de ses premières toiles encore très classiques, à ses œuvres les plus récentes (il est mort en 1971), lumineuses et pleines de caractère, en passant par une série importante de ses oeuvres de guerre, celles qu'il fit en 1917, en particulier à Verdun, alors qu'il était missionné par l'Administration des Beaux-Arts pour, comme nombre de ses collègues artistes, peindre sur le vif des scènes de guerre.  

Souville - La descente du cabaret rouge (1917)- Le chemin clair sur lequel cheminent quelques silhouettes fatiguées, coupe la toile en une audacieuse diagonale, délimitant deux zones complémentaires : à droite, la colline nue, ravagée, percée de toutes parts de trous et de tranchées. La terre est nue mais sa teinte, tout en rondeurs, évoque des tas de foin, jaune, lumineuse, vivante malgré la pesanteur de la scène. Tandis qu'à gauche, dans une harmonie de bruns et de mauves, tout n'est que désolation : les arbres déchiquetés s'élèvent comme un champ de croix dans un cimetière, marquant de verticales sombres ce lointain effrayant.

Je ne montrerai pas ici toutes les toiles de Saujon, car certaines figurent déjà dans mes précédents articles, mais préfère m'arrêter  sur certaines, plus particulièrement révélatrices du talent du peintre.


Et puisque je parlais de sa mission durant la Grande Guerre, ces deux toiles peintes à Verdun, en 1917 et représentant le même sujet, Ruines à Belleville, sont intéressantes à comparer : celle du haut, de facture assez classique, détaille avec précision les ruines au premier plan et, de teintes assez sourdes, traduit l'observation directe et le rendu d'une scène de manière "documentaire", ainsi qu'on l'avait chargé de le faire. Tandis que dans la deuxième, la "touche" Balande s'exprime plus librement : formes simplifiées, entourées d'un trait épais qui leur donne un aspect de vitrail, couleurs franches et en larges aplats, lumière vibrante, presque "gaie" malgré le tragique de la scène. La composition est plus efficace, cela tient à rien, poutre légèrement plus longue, porte un peu plus basse, maisons légèrement plus grandes, mais il est incontestable que la toile du bas est parfaitement mis en espace et que la position particulière du peintre, installé à l'intérieur de la ruine, prend tout son relief. 


Mais revenons en arrière. En 1912, une bourse de voyage vient récompenser deux toiles du jeune peintre, dont le retour de pêche qui fait d'ailleurs partie de la collection de Saujon : une toile a priori assez sombre mais qui s'éclaire dès qu'on recule, une composition audacieuse coupée en diagonale, une perspective inhabituelle, bref tout ce qui fera le style du peintre tout au long de sa carrière. Gaston peut donc, avec cette bourse, entreprendre un long voyage initiatique, en Hollande, Belgique, Afrique du Nord et Espagne.


C'est d'Espagne qu'il rapportera l'Asile de vieillards de Tolède, une toile éblouissante dans sa sobriété de teintes, émouvante par son observation très humaine du sujet et particulièrement réussie. Notre jeune guide nous disait, quant à elle, que c'était même sa préférée. Elle y a du mérite car ce n'est sans doute pas la plus facile. Mais Balande y fait, encore une fois, déjà la preuve de son sens très abouti de la composition : au centre, le mur blanc explose de lumière, éclairant la scène étalée en dessous. Et là, le peintre utilise une gamme inouïe de bruns, sombres, chauds, éteints, bref un camaïeu de tristesse et de pauvreté parfaitement décliné.


Les silhouettes, anonymes sur la gauche, sont plus caractérisées à droite jusqu'à, pour l'une d'entre elle (l'homme au béret, qui semble borgne), être un vrai portrait. Il semble d'ailleurs que le jeune homme avait obtenu l'autorisation de visiter cet asile pour y croquer quelques portraits de vieillards, sujet, on le sait, fort classique dans la formation d'un jeune artiste.


A cet étalage de misère et de vieillesse, sans concession mais très humain, répond, en haut de la toile, une foule indistincte et sombre qui se promène sous les arbres. Et là, les teintes chantent : les murs sont ocres, les entourages d'un rouge orangé plutôt vif, et le ciel castillan, d'un bleu tonitruant, illumine la composition, même s'il ne tient qu'une toute petite place sur le tableau ! Déjà, dans ses toiles de jeunesse, Balande aime à simplifier le trait, allant à l'essentiel et mettant en relief ce qu'il veut mettre en valeur dans le sujet qu'il traite.


Une simplification qui confine à l'épuration dans cette toile de 1925, Notre-Dame vue de l'île Saint-Louis, où, dans une contreplongée audacieuse, Balande nous donne l'impression d'avoir peint l'île de la Cité à plat ventre depuis le quai d'en face. Traitée dans un strict camaïeu de gris bleutés, la composition fait jaillir les tours de la cathédrale vers le ciel, en inclinant la ville vers l'arrière, comme si le peintre avait voulu la repousser. Plus de la moitié du tableau représente la Seine, qui est le vrai sujet de la toile, sans que cela provoque le moindre déséquilibre. L'eau est traitée comme une estampe japonaise et, dès ces années-là, Balande commence à user d'une technique que le caractérise : les formes ceintes d'un trait noir, dessinées, comme serties de plomb. Ici, cela donne à ce premier plan un côté épuré, flottant, tout à fait magique. 


Mais la vraie réussite de ce tableau, c'est cette petite bande de hauts de portes aux couleurs vives, totalement improbables dans cette grisaille distinguée (Jessica nous disait "mais je n'ai jamais vu de pareilles couleurs sur l'île de la Cité"), posant au centre de la toile une fenêtre de lumière accentuée par l'unique façade jaune de cette île idéalisée. 

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(1) On peut, au hasard des accrochages, en voir au Petit Palais à Paris, à Pau, à Limoges, La Rochelle, Angoulême, Saintes, Coganc, Dijon, Le Hâvre, Gap, Avignon, Dunkerque, Calais, Alençon, Annecy, Tarbes, Sarguemines, Fontenay-le-Comte, Collioure, Vincennes, Buenos-Aires, Los-Angeles ou Genève...

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