Terminée depuis le 22 juin, l'exposition L'obsession nordique à Rovigo est un de ces manifestations passionnantes qui caractérisent le Palazzo Roverella, comme le fut par exemple l'exposition consacrée à Goupil, que nous avons eu la chance de visiter à Bordeaux. Les "nordiques" de la fin du XIXème, début XXème, Böcklin, Hodler, Klimt, Klinger, von Stuck, Khnopff et des scandinaves de tendances variées, comme Zorn, Larsson ou Munch, ont influencé les peintres italiens de cette époque. Fascinés par leur approche de l'art, ils en ont souvent embrassé les convictions quitte à réinterpréter à leur mode, plus latine, plus chaude, leurs suggestions.
En fait, cette influence a commencé à s'exprimer avec la Biennale de Venise (créée en 1895), où, à côté des résidus de l'art dit pompier et des manifestations d'un académisme qui régnait en maître dans nombre d'écoles de peinture, les "nordiques" inventèrent un langage neuf, qui séduisit les artistes italiens. Tous, jeunes et vieux, s'entichèrent de cette peinture venue du froid, au point de voir naître chez eux une sorte "d'obsession nordique" (expression créée par un critique italien, Vittorio Pica, à l'occasion de la biennale de 1901), paradoxale dans ce pays qui avait été, pendant longtemps, la seule source d'invention artistique.
L'exposition s'ouvrait par une série d’œuvres, dont celle de Böklin, considérées comme emblématiques de cette évolution. La première section s'intitulait "Centaures, tritons et sirènes des Alpes à la Lagune", et montrait comment la culture nordique, avec tout ce qu'elle a d'onirique, d'irrationnel, de wagnérien en un mot, a séduit les artistes de la péninsule.
L'exposition s'ouvrait par une série d’œuvres, dont celle de Böklin, considérées comme emblématiques de cette évolution. La première section s'intitulait "Centaures, tritons et sirènes des Alpes à la Lagune", et montrait comment la culture nordique, avec tout ce qu'elle a d'onirique, d'irrationnel, de wagnérien en un mot, a séduit les artistes de la péninsule.
Le peintre suisse Arnold Böcklin (1827-1901) demeure mal connu en France. Il fut très apprécié lors la biennale de 1901 et dans les années 1910-1920, les peintres surréalistes - Giorgio de Chirico et Max Ernst en particulier, furent puissamment inspirés par sa vision fantastique de la mythologie. Böcklin a passé une grande partie de sa vie en Italie, où il a été très fortement marqué par l'art pompéien et par la Renaissance italienne. Sa toile "Ruine sur la mer", tout à fait dans l'esprit de son oeuvre mythique, l'Ile des Morts, fit puissante impression auprès de ses confrères italiens. Témoin L'île mystérieuse de Teodora Wolf Ferrari, fortement influence par le suisse, mais réinterprétant le thème à sa façon. Dans les deux cas, une île, une tour en ruine entouré d'oiseaux noirs, et des cyprès. Mais autant l'un est sombre et tourmenté (remarquez le sommet des arbres pliés par le vent, la mer épaisse, et l'ambiance nocturne, autant l'autre est serine, la mer est d'huile et les cyprès parfaitement droits, évoquant un lever de soleil ou un crépuscule paisible.
La section suivante mettait en avant l'amour de la nature qui caractérise les œuvres du Nord et que les Italiens ont repris à leur compte.
Heure Sacrée de Ferdinand Hodler : une des multiples versions d'un thème traité sous différents formats et différentes compositions par le peintre. La toile, aux teintes savantes, est d'une composition audacieuse et solide. Le peintre est résolument novateur, tant dans sa sobriété que par le traitement vigoureux des plis élégants de la tunique. La femme repose dans un environnement de nature, évoquée par des teintes douces, quelques fleurs rouges éparses et le tourbillon qui entoure ses pieds.
Plus classique, Cesare Laurenti peint une toile qui pourrait évoquer les macchiaioli, à part que sa composition est entièrement décentrée vers la gauche, où la jeune femme pose en parfait parallèle avec le tronc de l'arbre dont le feuillage embrasse toute la largeur de la toile.
Puis, après une section consacrée aux "gens du Nord", le parcours montrait un aspect particulièrement attachant de la peinture nordique, la poésie du silence.
Vilhelm Hammershoi s'est fait le héraut de ces intérieurs énigmatiques et silencieux. La disposition générale est toujours la même : porte, entrouvertes ou fermées, fenêtres très lumineuses (ici, elle est juste suggérée dans la pièce du fond) , peu de meubles, des teintes brunes chaudes mais sourdes... et, parfois, un personnage, le plus souvent une femme.
L'atmosphère est toujours très sereine, on pense à un moment d'isolement volontaire, pour se mettre à l'abri des bruits du monde. La gamme colorée, tout en camaïeux de gris et d'ors pâles, est douce et plutôt claire. On ose à peine parler devant les toiles d'Hammershoi : tout y est recueillement et paix tranquille.
Ici, comme souvent, la femme est observée de dos, on voit sa nuque, très sensuelle (ah ! les nuques d'Hammershoi, à damner un saint !!) et, penchée vers l'avant, on suppose qu'elle lit. D'ailleurs, un ouvrage posé sur la petite table ovale marquetée auprès de laquelle elle est assise, confirme cette supposition. Assise, mais sur l'avant de la chaise et sur le bout des fesses, la lectrice n'est pas détendue, abandonnée dans sa lecture : peut-être lit-elle un livre de prières ?
En face d'elle, devant la boiserie blanche, une autre chaise semblable, et, à droite, un cadre avec un discret portrait de femme. Au centre, une porte grande ouverte. La lumière qui arrive du fond éclaire la pièce voisine, où l'on voit encore deux portes, dont l'une au moins est aussi largement ouverte vers un couloir baigné de soleil. Le temps est suspendu, la scène s'ouvre vers un ailleurs qui pourrait être mystérieux mais que la perspective ouvre et invente.
Tout à fait différente, l'ambiance qui règne chez Larsson évoque la fête, le rire, la joie de vivre. Pourtant, là encore, le modèle, sa femme, lit. Enveloppée dans un châle épais, elle est concentrée sur son livre, qu'elle tient ouvert d'un petit doigt autoritaire. L'ambiance de la pièce est gaie, décorée de multiples objets aux couleurs vives et claires, fleurs, lampe dont on sait qu'elle avait été dessinée par l'artiste, meubles confortables.
Le suédois s'était fait une spécialité de la description de sa vie familiale dans l’univers coloré de sa maison du village de Sundborn, dans la région pittoresque de Dalécarlie. L’album « Notre maison » et les suivants qui connurent une grande diffusion, ont inspiré les jeunes couples sur le point de fonder un foyer. Ils firent de lui le porte-étendard d’une nation fière de son confort domestique et de ses valeurs humanistes. Ne respire-t-elle pas la santé et la bonne humeur cette toile, présente elle aussi à l'exposition, représentant Martina, leur jeune servante, à l'entrée de sa cuisine ??
Mais revenons à notre toile : Mme Larrson lit ... pas un livre de prières elle ! C'est sûr ...
Elle lit ... et elle se laisse emporter par le récit. Son imagination vagabonde : regardez les reflets dans les vitres du vaisselier : deux personnages de profil, en habit plus ou moins historique. C'est un portrait du couple : elle, devant, affublée d'un large chapeau vénitien ou renaissance, et lui, derrière, blond, grand, il nous offre son auto-portrait en abyme ! Et, sur le côte, peinte au-dessus de la porte qui s'ouvre vers une entrée ensoleillée, une des multiples devises dont le peintre était friand : "Bien faire et laisser dire".
Une salle décrivait, avec paysages de neige et de fjords, l'amour des saisons qui caractérise les peintres de ces latitudes. Au point de parler de paysage de l'âme.
Akseli Gallen-Kallela (1865-1931) est un finlandais réaliste, puisant souvent ses sujets dans la vie rurale, qui s'affirme par un style personnel d'inspiration néo-romantique, caractérisé notamment par des contours marqués et des couleurs tranchées. Il peint souvent des scènes de neige, comme cette "tanière du lynx", où les moutonnements du paysage évoquent la fourrure immaculée de l'animal caché dans son refuge.
Interprété par un italien, ici Ugo Valeri (1873-1911), coutumier de la Biennale et admirateur de l'art nordique, le romantisme de Gallen-Kallela prend des teintes plus sombres, celle de la terre en hiver, des arbres dénudés, qu'éclairent quelques nuages traités avec les mêmes arrondis que le finlandais !
Plus loin, une section s'intitulait "masques et visages". Elle insistait sur la fascination qu'exerça sur les artistes l'étude scientifique de la psyché et la naissance de la psychanalyse, changeant leur regard sur les modèles, dépassant le paraître pour peindre plus juste, s'attachant à rendre dans leurs portraits la psychologie des personnages.
Léo Putz, né et mort à Merano, province autonome de Bolzano, est, de naissance, allemand, il fit ses études à Munich. Mais il est, comme sa ville l'est devenue ensuite, aussi italien et offre une synthèse éblouissante de cette obsession nordique développée par l'exposition. Présentée dans la section "masques et visages" ce sublime portrait Femme en bleu, traité en larges aplats d'un camaïeu éblouissant de bleus, illustrait parfaitement la fascination des peintres du début du XXème pour l'introspection et la psychanalyse. La femme, fine, racée, d'une élégance à peine tempérée par un fichu jeté sur ses épaules, est surprise dans une intimité d'après-toilette : elle vient d'élaborer le savant et impeccable chignon qui couronne le délicat ovale de son visage pensif. Et, penchée en équilibre instable sur le dossier d'un siège Récamier, elle s'est assurée, à l'aide de son double reflet saisi dans un miroir à main, que l'arrière de la coiffure est aussi parfaite que l'avant ! Son air songeur évoque la soirée où elle va se rendre bientôt, et les rêves de séduction qu'elle caresse.
Vénus sans fourrure permettait d'admirer quelques nus voluptueux, tandis que la salle "Virtuosité en noir et blanc" s'intéressait aux gravures et dessins, reprenant une tradition de la Biennale qui leur consacrait toujours une salle entière. Ici, une série très amusante d’eaux-fortes de Max Klinger, narrant l'histoire d'un gant auquel il arrive tout une série de mésaventures pendables et cocasses.
Une toile inhabituelle, de Giulio Aristide Sartorio, artiste romain, pétri de culture classique si importante pour les participants à la Biennale, inaugure cette section, mêlant couleur et noir et blanc. Le sujet, La lecture, ne peut à lui seul expliquer cette innovation. Son sous-titre, Claudia et Catulle, permet de mieux comprendre l'idée du peintre. L'usage du noir et blanc pour représenter l'homme laisse supposer qu'il est mort au moment où la jeune femme prend connaissance de l'écrit qu'elle tient dans ses mains. Et pourtant, ravi par la douce lecture et fasciné par la beauté de la lectrice, il semble sur le point de ressusciter... grâce à l'amour ?!
Une toile inhabituelle, de Giulio Aristide Sartorio, artiste romain, pétri de culture classique si importante pour les participants à la Biennale, inaugure cette section, mêlant couleur et noir et blanc. Le sujet, La lecture, ne peut à lui seul expliquer cette innovation. Son sous-titre, Claudia et Catulle, permet de mieux comprendre l'idée du peintre. L'usage du noir et blanc pour représenter l'homme laisse supposer qu'il est mort au moment où la jeune femme prend connaissance de l'écrit qu'elle tient dans ses mains. Et pourtant, ravi par la douce lecture et fasciné par la beauté de la lectrice, il semble sur le point de ressusciter... grâce à l'amour ?!
La preuve ?? Une de ses deux chausses (celle de gauche, à droite de la toile) est colorée, alors que tout le reste est dans des tons de gris. L'Hermès, perché sur la colonne centrale et la scène déployée sur le marbre situé derrière Catulle, représentant vraisemblablement Orphée tentant de libérer Eurydice des Enfers - après avoir endormi de sa musique enchanteresse Cerbère, le monstrueux chien à trois têtes qui en gardait l'entrée - viennent étayer cette proposition !