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MATISSE A FERRARE

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« Ce qui m’intéresse le plus, ce n’est ni la nature morte, ni le paysage, c’est la figure. C’est elle qui me permet d’exprimer le mieux le sentiment pour ainsi dire religieux que je possède de la vie.» (1908) Il fallait un biais pour présenter Matisse aux italiens (l'exposition a tout de même réussi à en déplacer plus de 125 000) et le thème choisi tournait autour de cette phrase de l'artiste.


Sous titrée "la force de la ligne, l'émotion des couleurs", l'exposition présentée jusqu'au 15 juin au Palais dei Diamanti de Ferrare avait pour ambition d'offrir un panorama presque didactique de la démarche créative du peintre. Des toiles en provenance de Beaubourg, de la Tate, du MoMa de New York, de Denver, de Philadelphie, de Copenhague, du musée Thyssen à Madrid, de Suisse, de France et d'ailleurs.
La commissaire de l'exposition avait fait le choix de montrer toute la carrière de l'artiste, à travers le thème, quasi obsessionnel chez lui, de la représentation humaine : sous forme picturale, dessinée, en papier découpé bien sûr, mais aussi, souvent en parallèle, sculptée.


Conçue comme une sorte de voyage dans l'atelier du maître, la manifestation insistait sur sa fascination ses modèles féminins, sur leurs rapports quelquefois extrêmes, jusqu'à l'exaspération, tant le peintre reprenait ses toiles à l'infini, jusqu'à l'épuration de la forme et du geste. Par des rapprochements judicieux, elle permettait aussi de mieux comprendre le cheminement créatif de l'artiste.


Narrateur de l'âme, sa peinture est vraiment le fruit d'un cheminement spirituel, Matisse cherche, dans chacun de ses modèles, à saisir l'esprit et à le traduire par le trait le plus clair possible. Ainsi il reprend ses toiles jusqu'à l'usure, jusqu'à l'épuisement de façon à ne conserver qu'une synthèse des formes qui s'imposent à première vue. Ainsi le Nu Rose (1935, Baltimore, Museum of Art) où les traits de Lydia, son modèle d'alors, apparaissent encore à gauche du visage nu actuel, réduit à un simple ovale.


Et, à cet égard, le parallèle entre sculpture et peinture, était fort bien mené : J’ai fait de la sculpture comme un peintre. Je n’ai pas fait de la sculpture comme un sculpteur. Ce que dit la sculpture n’est pas ce que dit la peinture. Ce sont deux routes parallèles, mais qu’on ne peut pas confondre. (Matisse)


Le peintre se nourrit d'une forme, il travaille la matière pour perfectionner son approche de la ligne, il cherche à atteindre, grâce à l'observation et à la notion de distance, une plus grande efficacité dans l'expression. Il ne reporte pas les formes d’une technique à l’autre. Ses sculptures ne sont pas des études préparatoires mais un répertoire d’expériences sensibles qui lui permettent de découvrir, et d'approfondir les arcanes de l’art.


La maîtrise des volumes, de leur perception et de leur rendu, l’exercice permanent du regard observant la manière dont chaque élément d’un corps, d’un visage s’imbrique, permettent à l'artiste de nourrir et de faire évoluer son travail de peintre : simplification des traits, modulation des proportions des corps, l’accentuation des formes par des simplifications donnent un élan intérieur à des poses statiques. « Pour exprimer la forme, je me livre parfois à la sculpture, qui permet, au lieu d’être placée devant une surface plane, de tourner autour de l’objet et de le mieux connaître.»


La présentation des exemplaires IV et V de Jeannette étaient particulièrement frappante, à l'égard de l'évolution de son cheminement formel, qui de plus en plus vers l'essentiel. J'ai mis ici la série complète des 5 bustes de Jeanne Vaderin, exécutés entre 1910 et 1913. Alors que les deux premières têtes restent encore très proches de l’apparence réelle de la jeune femme, les trois bustes suivants sont de plus en plus abstraits. Jeannette IV semble composée de plusieurs blocs : le socle, l’amorce de la poitrine, le cou, la tête et les cheveux en grosses masses séparées. Jeannette V, haut front bombé et cheveux réduits à un chignon théorique, oreilles saillantes et visage dissymétrique, fit scandale : seul Picasso, qui reprit plus de 20 ans plus tard cette décomposition sans concession du visage humain, l'admira.


Arrêt sur la Jeune Femme en blanc sur fond rouge, prêté par le musée de Lyon, une des dernières toiles de chevalet de l'artiste. En 1943, Matisse quitte Nice et les ateliers de l'hôtel Régina pour s'établir à Vence dans la villa Le Rêve. De 1946 à 1948, il se consacre à une série d'intérieurs, série à laquelle ce tableau peut être rattaché.  Le modèle d'origine haïtienne nous est connu par les photographies du livre de Louis Aragon, Henri Matisse, roman (1971) et par le film de François Campaux (1945-1946) montrant précisément l'artiste en train de peindre ce tableau. L'exposition en présentait un très court extrait : voici le film entier : l'exécution du visage de la jolie haïtienne commence à 4mn11, la séquence en vitesse normale étant suivie d'un ralenti fort émouvant. À prendre le temps de visionner, cela éclaire vraiment le geste du créateur.




Disposée en diagonale, la jeune femme est vue comme du dessus, en perspective plongeante. On a l'impression que Matisse s'est juché sur une échelle pour la peintre. L'espace semble se dilater à partir du rectangle noir marquant l'emplacement de la porte, en haut à gauche. Assise dans une bergère recouverte d'un tissu rayé orange et or, elle est allongée sur une fourrure gris clair tachetée de brun, qu'Aragon a décrit comme le revers d'un "manteau doublé de tigre blanc du Tibet". Manteau qu'on aperçoit d'ailleurs sur les épaules de la dame, dans le film. Les masses colorées structurent le sujet, autour du coeur blanc formé par le bustier du modèle et ses bras nonchalamment croisés. L’atmosphère est sereine, souriante et aimable. ON a le sentiment que le motif se résout dans l'éclat lumineux de la robe blanche qui explose en plis légèrement ondulants, en bas à droite. Après cette toile, le peintre se consacrera au projet de la chapelle de Vence et à la technique des gouaches découpées. Une exposition qui nous a donné envie de retourner à Vence !



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