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ZURBARAN : LA (RE)DÉCOUVERTE

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C'était en 1968... j'avais 13 ans et demi, vous dire si j'étais minote ! Après avoir fait pleurer notre prof d'allemand en l'accueillant debout les bras croisés à côté de notre bureau dont nous claquâmes, en signe de révolte contre je ne sais quel abus supposé d'autorité, le couvercle en pente - et ce fut là, ma seule participation active aux mouvements printaniers, mais j'étais chez les bonnes sœurs ! -, après avoir passé le brevet, on appelait cela le BEPC, dans des conditions de confort absolu, j'obtins de mes parents le droit de partir seule à Marseille, pour le mariage d'une quelconque cousine. L'été de mes premières émotions d'adolescente ; qu'elles soient affectives ou artistiques. Les premières étaient la découverte de l'amitié, avec un grand A, un Eden dont je ne me suis jamais remise tant j'en garde une nostalgie vivace. Pour les émotions artistiques, les cousins qui m'hébergeaient n'avaient guère envie de me distraire, alors je prenais le bus et, déjà, courais musées et salles obscures... Un homme et une femme, par exemple, que je n'ai jamais eu envie de revoir tant le souvenir en reste teinté d'un souffle d'émancipation délicieux. Et, au musée des Beaux Arts de la capitale phocéenne, deux découvertes majeures, en tout cas pour moi à l'époque : un coup de foudre pour un paysage de Ruysdaël, qui m'a fait découvrir les paysagistes néerlandais du siècle d'Or. Et une révélation pour Zurbarán, un peintre encore peu connu, puisque, à l'époque les peintres espagnols en cours se limitaient à Vélasquez, Goya ou Greco. J'ai gardé un vif souvenir des deux toiles admirées à l'époque, oeuvres dont j'ai appris depuis, à ma grande déception depuis que ce ne sont "que" des attributions, et dont les sujets, on ne peut plus classiques chez ce peintre sont le Reniement de Saint Pierre et un Franciscain. J'espère les revoir bientôt lors d'un prochain passage à Marseille !!

Le Zurbarán de Bordeaux, signalé par Joconde, que je n'ai jamais vu !! Il représente un épisode de la vie de Saint Pierre Nolasque. Il semble pourtant qu'il ait été restauré en 1968.

Il fallut attendre la passion de Maria Luisa Cartula pour ce peintre et la grande exposition rétrospective organisée en 1987-1988 qui s'est tenue successivement à New York, Metropolitan Museum, Paris, Galeries nationales du Grand Palais et Madrid, Musée national du Prado, pour mieux cerner cet artiste majeur du XVIIème siècle espagnol. Et ce n'est que 6 ans plus tard que le Francisco de Zurbarán de María Luisa Cartula fut édité et traduit en français par Odile Delenda. Laquelle consacra un nouvel ouvrage au peintre en 1999, opportunément intitulé "Sur la terre comme au ciel, Zurbarán". Cependant, le premier catalogue raisonné du peintre en français fut publié en 1960 par Paul Guinard et réédité en 1988, à l'occasion de l'exposition au Grand Palais, par les Editions du Temps.
Cet ouvrage explique, en introduction, les raisons de la méconnaissance des peintres espagnols du XVIIème, auteurs de centaines de grands ensembles monastiques dont très peu sont encore visibles et répertoriés. Presque tous les maîtres du Siècle d'Or ont peint, pour des couvents, des ensembles qui firent leur renommée et dont beaucoup ont disparu sans laisser de trace, ou subsistent, éparpillés dans différents musées, souvent incomplets, isolés de leur contexte et ayant perdu une grande partie de leur sens. Certes, en France, nous avons connu pareille dispersion à la suite de la Révolution Française, en Italie les épopées napoléoniennes ont fait bien des dégâts, mais les vicissitudes connues par les grands cycles espagnols sont encore plus graves.

Le repentir de Saint Pierre : au musée des Beaux Arts de Marseille, attribué à Zurbarán, qui  a inclus cette scène dans le retable de la chapelle Saint Pierre à la cathédrale de Séville (vers 1635). Il y a des rapports stylistiques évidents entre le retable de Séville et le tableau de Marseille. On trouve une identité frappante dans la facture et la tonalité générale, le traitement de l'anatomie et de la barbe, la posture pathétique des mains jointes.

Jusqu’au XVIIIème, protégés dans les couvents où, en l'absence de guerres religieuses ils continuaient à s'entasser,  tenus à l'écart de la convoitise des grands collectionneurs et des marchands à cause de l'inconfort des voyages et de l'austérité des sujets qu'ils traitaient, ces ensembles restèrent en place jusqu'en 1808, ignorés des amateurs d'art mais intacts. Après l'invasion française de 1808 à 1814, accompagnée de destruction et saccage de nombre de couvents (1), les mesures prises contre les ordres religieux entre 1809 et 1868 furent dramatiques pour ces chefs d'oeuvre. Pendant plus d'un demi-siècle, les bourrasques se succèdent, les couvents ferment, les œuvres d'art sont entassées n'importe où, on prévoit de les réunir dans des musées qui ne voient jamais le jour, les monastères se dégradent lentement et les fresques qu'ils contiennent disparaissent peu à peu. Les tableaux, eux, sont recueillis par milliers dans des dépôts de fortune, granges, sociétés savantes locales, où l'on ne sait trop qu'en faire et, pour la plupart, vont pourrir dans des greniers ou sont vendus à tort et à travers. Ainsi, alors que l'inventaire du musée de Séville compte en 1840 pas moins de 2094 numéros, il n'en a plus, en 1854 que 444 jugés utiles, auxquels s'ajoute, dans un inventaire annexe 357 tableaux "inutiles" dont on perd rapidement la trace.

La Sainte Apolline du Louvre

Louis-Philippe, souhaitant répondre au vœu de l'opinion qui, à travers la presse, déplorait la quasi absence de l'école espagnole au Louvre, décida, pour combler cette lacune, de profiter de la suppression des couvents espagnols pour acquérir des œuvres d'importance. Il mandata une mission qui, pendant 18 mois parcourut la péninsule et réunit 500 toiles, payées sur les fonds personnels du souverain, et qui furent souvent, appât du gain aidant, soustraites aux musées eux-mêmes. La collection fut installée au Louvre où elle resta jusqu'en 1848, mais Louis-Philippe l'emporta avec lui quand il fut obligé de se retirer, elle lui appartenait en propre ! Au cours des années qui suivirent, la dispersion des collections, comme celle du Prado, continua sans coup férir, faute de place, faute de moyens pour les entretenir ou, plus simplement, par appât du gain, vendues au plus offrant.
Après un demi-siècle de calme, la guerre civile de 1936-39 allait faire subir de nouvelles épreuves aux peintures monastiques restées en Espagne. Eglises incendiées, monuments détruits, tableaux arrachés à leur lieu d'origine ... les avanies furent, certes, moindre qu'au XIXème mais cette dernière époque fut encore très néfaste à la peinture monastique du XVIIème, pourtant si riche.
Zurbarán, dont l'oeuvre fut en majeure partie commandée par des couvents, n'échappa pas à ces tempêtes dévastatrices, et seul un cycle de sa main, celui du Guadalupe, est encore visible dans le cadre pour lequel il faut peint. On comprend mieux, à l'énoncé de ces calamités, pourquoi le peintre est resté longtemps mal connu et combien une exposition comme celle des BOZAR de Bruxelles est importante pour mieux redécouvrir son oeuvre. Car celle-ci s'inscrit dans la longue et riche histoire de la peinture monastique en Espagne, initié à l'aube du XVIIème siècle à l'occasion de la véritable frénésie de construction qui vit se multiplier les fondations religieuses et leur décoration par une foule d'artistes dont Zurbarán était sans doute l'un des plus talentueux.

L'immaculée Conception de Langon, peinte en 1661, exécutée avec une technique infiniment délicate, pendant les dernières années d’activité du peintre. Il confère au manteau un remarquable mouvement ondulant, qui évoque, dans un bleu éclatant d'un velouté idéal, une voile agitée par le vent. 

A l'occasion de la "redécouverte" du peintre, des recherches efficaces et éclairées ont permis de mettre au jour des archives importantes qui permettent de mieux connaitre sa carrière. Jusque là sa vie relevait plutôt de la légende, romantisée pour en faire "le Caravage espagnol", exemplaire pour son application à peindre d'après nature. L'ouverture, au début des années 20, d'archives notariales longtemps inaccessibles permit aux chercheurs d'enrichir et d'améliorer leur approche critique et permit le renouvellement des études consacrées au peintre. C'est après la tourmente de la Guerre Civile qu'intervient celle à qui Zurbarán doit sa véritable renaissance : Maria Luisa Cartula. Cette "femme du monde" qui rédigeait des essais pleins de finesse comme critique d'art, se vit commander par un éditeur une monographie de Zurbarán, pour une collection qui voulait "décrire l'évolution d'un être humain qui fut peintre". Exigeante, Maria Luisa Cartula ne put se satisfaire de l'exploitation de la pauvre documentation existante sur le peintre, et partit prospecter les archives municipales et paroissiales d'Estrémadure, région dont il était originaire, les archives notariales de Séville et de Madrid, où il mena une grande partie de sa carrière. Et à partir de ces travaux, menés avec un sérieux et un enthousiasme jamais pris en défaut, les toiles du peintre purent être identifiées, retrouvées dans le monde entier (en particulier en Amérique du sud), les datations furent précisées, les attributions révisées et l'exposition de 1988 posa les bases d'une véritable approche raisonnée de son oeuvre.
C'est dire l'importance, du point de vue de l'histoire de l'art, de l'exposition de Bruxelles qui constitue, en quelque sorte, le point d'orgue de presque cinquante années de recherches qui ont totalement modifié et reconstruit l'approche de ce peintre qui reste, pour moi, l'objet d'un émerveillement enfantin ... Un petit aller et retour à Bruxelles s'imposait, qui nous a permis d'en savoir plus !
A suivre :
Zurbaran : sa vie
Zurbaran : l'exposition Bozar (1)
Zurbaran : l'exposition Bozar (2)
Zurbaran : l'exposition Bozar (3)

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(1) Le Général Lejeune raconte ainsi dans ses Mémoires "Pour se garantir mieux de la fraîcheur des nuits, les soldats avaient apporté au camp tous les tableaux qu'ils avaient pu retirer des églises ou des couvents dont ils s'étaient emparés, et ces toiles, peintes ou vernissées, le abritaient parfaitement contre le soleil, la pluie, le froid, l'humidité... Cette exposition de peintures ressemblait à celle qu'on voyait autrefois à la place Dauphine lorsque les jeunes artistes n'étaient pas encore, en 1972, admis à l'honneur d'exposer leurs ouvrages au Louvre. Ce spectacle semblait faire plaisir à nos braves polonais qui sont catholiques et, en général, pleins de piété..."



La plupart des reproductions de ces articles proviennent de Wikipaintaing ou du site de l'exposition Zurbarán de Ferrare
Ouvrages utilisés pour les données historiques et biographiques : Zurbarán par Paul Guimard aux Editions du temps et le catalogue de l'exposition Bozar.



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