Pour connaitre les Salons et les potins qui courraient, nous disposons de l'excellente Revue Blanche, de certains numéros de l'Illustration, et, à Rouen, de cette étonnante toile de Jules-Alexandre Grün (1868-1938) fort opportunément nommée : un vendredi au Salon des artistes français. Il peint le Salon de 1912, et sous son pinceau allègre, on découvre un témoignage unique de la société parisienne de la Belle Époque. Le « Tout-Paris », du peintre doyen Harpignies (assis à droite la canne à la main) en conversation avec le sous-directeur des beaux-arts Dujardin-Beaumetz, à Ginette Lantelme (au centre du tableau), la femme du directeur du journal le Matin, dont la beauté émerveillait Paris, en passant par Angelo Mariani (à gauche de Mme Lantelme), l’inventeur à succès du « vin Mariani » — l’ancêtre du Coca-Cola —, Grunberg, le célèbre médecin (en bas à l’extrême gauche) et les peintres Guillemet, Rochegrosse, Baschet et Grün lui-même, et tant d'autres... parle, devise, sourit, fait des bons mots et des mondanités !
Dominant la salle, de grandes sculptures surplombent cette assemblée caquetante. On remarque particulièrement, à droite, un monument à Corot réalisé en 1909 par Raoul Larche, auteur de La Sève (ou Floraison) qu'on aperçoit au fond à gauche.
Le peintre, quoi que peu connu, maîtrise parfaitement l'art du portrait, un certain humour (il fut caricaturiste) et fait jouer avec talent lumières et étoffes. Il réussit à entasser dans cette toile, qui mesure tout de même 6 mètres de large, un nombre impressionnant de contemporains.
Sur la gauche, de dos et vêtue d'une élégante robe jaune, soutachée de vert : Renée Maupin.
Assise, et levant la tête vers elle, vêtue et chapeauté de blanc, un long sautoir aux larges perles : Geneviève Fossey dite Ginette Lantelme.
Sur la droite, l'homme à la calvitie marque qui se penche galamment vers une belle qui feuillette le catalogue du Salo : Antonin Mercier (1845-1916).
Penché vers le groupe, barbiche blanche et haut de forme impeccable, c'est Léon Bonnat.
A sa droite, canotier, veste à col de velours et cravate bleue : Joseph Bail (1862-1921).
Pas vraiment un innovateur Joseph Bail, dont voici "la lectrice", exposée au Salon de 1912.
Le vieil homme assis, dont on voit, de dos, le crâne et la chevelure blanche est Arthur Meyer (1844-1924)
Penchés vers lui, Pierre Quentin-Bauchard, canotier et col cassé, et Emile Boisseau (1842-1923), qui parle avec les mains !
Derrière eux, 4 personnes, Sem (Goursat, dit) (1863-1934) dont on aperçoit la mèche sombre, de profil près de lui Léonce Bénédicte (1859-1925), tête nue lui aussi, puis Henry Mapauze (Charles Lapause dit) (1867-1920) qui arbore un large sourire sous son feutre gris clair, et, rieuse et charmante, Danièle Lesueur (Jeanne Loiseau dite) (1854-1920).
Au premier plan à droite, deux hommes aux longues barbes blanches : de dos, avec un haut de forme, c'est Diogène Maillart (1840-1926) sur l'épaule duquel Angelo Mariani ( 1868-1914) pose une main très "latine" !! Au-dessus du chapeau de Mariani, les yeux baissés et le chapeau emplumé, Hélène Dufau (1869-1937).
A sa gauche, discutant avec un autre groupe, Louise Abbéma (1853-1927) arbore, l'air pincé, une sorte de cravate jaune. Près d'elle, le sourire abrité par son canotier, Raphaël Falcou (1862-1949) semble écouter Jean Paul Laurens (1838-1921) qui pérore cigarette au bec.
Jean-Paul Laurens, qui fut pourtant le maître de nombreux excellents peintres, ne fait pas preuve d'un talent renversant dans cette "Première séance des Jeux floraux, 3 mars 1324", exposée elle aussi au Salon de 1912.
A leur gauche, toujours en fond, Albert Dawant (1852-1923) (de profil), Ferdinand Roybet (1840-1920), chapeau melon et barbichette pointue et Joseph Saint-Germier (1860-1925) entourent un autre fumeur qui mord son cigare, François Flameng (1860-1925) .
Autour d'Henri Harpignies (1819-1916), fort âgé et appuyé sur sa canne, un petit groupe de courtisans flatteurs : assis comme lui et parlant avec entrain, Henri-Charles Dujardin-Neaumetz (1852-1913) porte beau ! Debout derrière, Victor Lalou (1850-1937), tête nue, et Maurice Donnay (1859-1945) écoutent attentivement, tandis que les deux autres regardent en riant Yvette Gilbert (1867-1944), rousse et flamboyante qui s'évente doucement. Celui de gauche, large moustache blanche et soufflant négligemment la fumée de sa cigarette, n'est pas un peintre : c'est Gabriel Fauré. A sa gauche, Antoine Guillemet, moustache rousse et chapeau melon s’appuie sur sa canne : il a l'air très conquis !! Franz Jourdain (1847-1935), plus proche d'Yvette, la détaille de derrière ses lunettes et la contemple avec une évidente nostalgie !