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ÉGLISES EN QUÊTE DE MODERNITÉ

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Les 3 décennies immortalisées sous le nom flamboyant de Trente Glorieuses ont été, pour l'architecture et la construction en général, une période particulièrement faste. Il s'agissait, bien sûr, de faire face aux destructions de la guerre, mais aussi à une formidable poussée démographique (+10 millions d'habitants entre 1954 et 1968) accompagnée d'une croissance économique formidablement demandeuse de nouvelles installations. L’urbanisation galopante engendrait, en matière d'équipements, de nombreux besoins et partout, les chantiers allaient bon train. En matière religieuse, comme dans tous les autres domaines, la demande était forte : non contente d'avoir à reconstruire 4 000 églises détruites pendant la guerre, la communauté catholique voyait, aux alentours des grandes villes et dans les banlieues, ses lieux de cultes devenir trop étroit et rêvait, comme tout un chacun, de modernité.


J'ai vécu - intensément, car les débats furent houleux et les critiques acerbes - ce genre d'épopée durant ma petite enfance. J'habitais alors une jolie banlieue bordelaise, le Pont de la Maye, quartier du village de Villenave d'Ornon, rêvant d'indépendance. Quand mes parents y achetèrent une maison nantie d'un grand terrain, ils eurent l'impression de "partir à la campagne", dans un lieu qui, quelques années plus tard, se révéla n'être plus qu'une extension de la ville trop proche. Le Pont de la Maye était alors pourvu de mairie, école primaire, collège et, bien sûr, église. Saint-Delphin, au vocable assez inusité, était une église construite en 1852 sur un terrain donné à l'Église par un certain cardinal Donnet. C'est lui qui choisit de mettre le lieu sous l'invocation de Delphinus, évêque de Bordeaux au IVème siècle et honoré le 24 décembre. « L'étendue du savoir de saint Delphin, l'héroïsme de sa charité, l'élan qu'il donna à toutes les branches des connaissances divines et huitaines, ses luttes avec le paganisme et l'hérésie, les conversions qu'il opéra, les oratoires nombreux dont il dota le pays, en ont fait le digne émule des Irénée, des Martin et des Hilaire. Mais rien ne lui fut plus d'honneur que la conversion de saint Paulin, qui apportait à son église naissante le prestige de son nom, de ses talents, de ses dignités et de ses vertus.(1)».

De style néo-gothique, elle intégrait l’ancien porche de l’hôpital de Bordeaux. Les édiles des années 60 la jugeant vétuste, il fut décidé qu'il coûterait moins cher d'en construire une nouvelle plutôt que de la réparer. Il faut dire que les bâtiments du XIXème triomphant (tout à fait dans le genre d'Abadie) n'avaient plus la cote en ces années-là et qu'on regardait avec dédain ces clochetons trop neufs et ces pinacles mal patinés. L'argument massue, pour mettre à bas une construction qui, nous en jugerions ainsi aujourd'hui, ne déméritait pas, fut qu'elle était trop petite. Pensez, il m'arriva - c'est vrai - le jour de la messe des Rameaux, plus courue encore que celle de Pâques en ces temps historiques, de passer la cérémonie dehors, attendant avec tout le bon peuple assemblé et muni de branches de laurier joliment enrubannés, que le prêtre vint bénir nos palmes. 


Alors que les bâtisseurs du XIXème avaient eu à coeur d'intégrer dans leur église neuve quelques traces du passé, ceux des années glorieuses ont préféré tout raser.

Certains s'insurgèrent contre la destruction mais la modernité l'emporta et on démolit sans autre forme de procès l'église de 1852, pour la remplacer par un édifice moderne, clair et vaste. On abattit les murs de pierre et, je m'en souviens comme si c'était hier, on les mit en caisses. D'aucuns raillèrent en disant qu'il s'agit là d'un enfumage, pour rassurer le péquin, et que ces caisses finiraient bien vite à la décharge. Que nenni, pour une fois les alarmistes avaient tort : le porche XVème, miraculeusement épargné, est actuellement entreposé au musée d'Aquitaine. 

Papa, qui faisait partie des passéistes, au nom d'un grand respect pour les bâtisseurs anciens, qu'ils fussent médiévaux ou néo-gothiques, prédit, en soupirant, que bientôt ce "hall de gare" (il en raillait la taille et non la facture) serait vide car, selon lui, les catholiques commençaient à déserter les lieux de culte et tout cela n'aboutirait qu'à une gabegie de plus. Il avait malheureusement raison, et l'église à peine achevée, en 1965, on vit baisser la fréquentation religieuse et les messes du dimanche furent peu à peu désertées. 


Carte postale datant de 1971, peu d'années après la consécration de l'église Saint Delphin (site Archipostcards de D.Liaudet)

Le pire restait à venir : l'église moderne, construite par le tout jeune et pourtant brillant cabinet Salier, Courtois, Lajus et Sadirac, fut inaugurée en grande pompe le 24 décembre 1965, date de la saint Delphin. Un superbe bâtiment plein d'élan, audacieux, simple et pourtant savant. Précédé par un petit parvis clos, propre à rassembler la communauté avant l'office, l'entrée se fait par une sorte de porche ouvert, qui permet d'accéder en douceur à l'intérieur. Ce dernier, autant qu'il m'en souvienne, est très lumineux et fort agréablement proportionné. Il fut rapidement trop grand pour les rares fidèles qui restaient fidèles à Saint Delphin, les plus grincheux ayant carrément changé de paroisse, les autres, déroutés par tant de modernité, finissant par abandonner l'office, d'autant que cela correspondit, fort malencontreusement à la "fin de la messe en latin", Vatican II étant aussi passé par là !



Les fidèles partis, l'argent vint à manquer et, aujourd'hui, cette belle réalisation des années 60 au plus beau de leur veine créative, est misérable, voire pitoyable. Coincée entre la route de Toulouse et une zone commerciale sauvage aux affiches agressives, l'église fait d'autant plus piètre figure que les architectes furent modestes et ne la dotèrent que d'un clocher en H, situé à hauteur d'homme, à gauche de l'entrée. 



La murette qui clôturait discrètement l'espace devant l'église a été détruite, et il ne reste au visiteur que des murs sales, un parvis mal ajusté, rien qui invite à s'y rassembler, et encore moins à entrer. C'est la grande misère qui touche actuellement les constructions d'après-guerre, démodées à leur tour et considérées avec autant de mépris par nos contemporains, que celui qu'on affichait dans les années 60 à l'égard du néo-gothique. Cela ne valait pas la peine de détruire pour en arriver là, au risque de voir ce nouveau bâtiment rasé à son tour, ce qui, une fois de plus, serait une perte pour l'urbanisme.



Mais, vous dites-vous, que nous vaut, Michelaise, entre deux articles sur Rome ou Paris, en passant par Tours ou Rouen, cet accès de nostalgie aux accents de souvenirs d'enfance ?? Tout simplement une curiosité qui me prit, lors de notre très exotique séjour à la Porte de Pantin, pour un édifice situé juste à côté de notre hôtel. Il arborait, déroutante au bord du périphérique, une croix expressive, derrière laquelle on devinait, en regardant attentivement, une abside à la forme on ne peut plus classique. Une église, ma foi !! Ayant épuisé les ressources touristiques du lieu après le mitraillage en bonne et due forme, mais sans soleil, de la Cité de la Musique, il me fallait compléter ma visite du quartier !!


Ici, la construction de l'église ne s'est pas faite sur les ruines d'une autre. Comme dans de nombreux quartiers périphériques de la capitale, l'expansion démographique des années 50-60 était telle que les bâtiments existants étaient notoirement insuffisants pour accueillir tous les fidèles. Il fallait construire de nouveaux lieux de culte et, comme ces quartiers étaient pauvres, on le fit à l'économie. Ce sont les paroissiens qui, versant chaque mois, pendant 20 mois, de petites sommes au curé, permirent, à la fin des années 50 que soit édifiée la chapelle Sainte Claire, devenue plus tard église paroissiale.


Installée sur un terrain exigu et grevé de servitudes, affligé d'un fort dénivelé, coincée entre la ligne de chemin de fer et les boulevards, juste en face du marché aux bestiaux, ses plans furent confiés à André Le Donné, qui conçut une église de plan carré. Le choeur est construit en porte à faux dans un grand cul-de-four seulement éclairé par un vitrage en demi-lune, situé à son sommet, qui diffuse une lumière efficace, quoiqu'indirecte.


La nef, 20 mètres par 20, est en béton armé, sobre mais non brut, donnant au lieu, selon l'architecte, "la noble pauvreté d'une crèche". Pour vitraux quelques carreaux de couleur, translucides, aucune ornementation, aucun effet décoratif, tout est très nu, et pourtant élégant. Le seul luxe de cette structure très minimaliste est l'autel en mosaïque, orné du traditionnel ichtus, à la ravennate.



Le hasard de nos pérégrinations nous a permis, au cours de ce même week-end, de visiter à la Cité de l'Architecture et du Patrimoine une toute petite exposition consacrée justement à ces églises des années 45-75, "en quête de modernité". L'argument de l'exposition, centrée autour des églises de Meurthe-et-Moselle, est la mise en lumière de ces églises, souvent implantées à l'écart des centres anciens, mal aimées, mal entretenues et injustement ignorées. 50 ans après leur construction, ces constructions arrivent à une période dangereuse de la vie d'un bâtiment : désaffection, abandon, destruction, mise en vente, elles sont souvent menacées de disparaître. Or, elles sont un "réel florilège de l'architecture et de l'art contemporain de la seconde moitié du XXème siècle".



C'est pourquoi il est important d'en parler, d'aller les visiter, de mieux comprendre l'esprit dans lequel elles ont été construites : réaction à l'art Saint Sulpicien, stratégie d'urbanisme d'églises, politique d'optimum paroissial (une église pour 10 000 habitants dans les zones nouvellement urbanisées), effort soutenu par la revue l'Art Sacré qui fut, durant toute la seconde moitié du XXème un vecteur déterminant dans l'évolution de l'art au service de la religion (3). Certaines, comme Notre Dame à Royan (en pleine restauration), ou Notre Dame des Pauvres à Issy (dont on vient de restaurer les vitraux), ont la chance de voir se constituer des associations de défense, de réhabilitation, qui visent à les entretenir, à les remettre en état, à leur trouver un usage quand elles ne sont plus utiles en tant que lieu de culte. Il est important que notre époque évite les erreurs du passé et ne massacre pas son patrimoine !! Le comité de vigilance brutaliste dont fait partie Claude Liaudet, dont je vous ai déjà parlé, oeuvre avec ardeur en ce sens.


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NOTES

(1) Selon le Dictionnaire des noms de Baptême par G. Balèze - Paris - 1863. Editions Hachette. Voir ici la vie de Saint Delphin.

(2) Selon le site du Quartier Mériadeck, "l'agence Salier-Courtois-Lajus-Sadirac est fondée en 1955. Elle est l'association entre les architectes Adrien Courtois (1921-1980) et Yves Salier (1918-2013), qui travaillaient ensemble chez Claude Ferret (l'architecte de la reconstruction de Royan), avec lequel ils réalisèrent, entre autres, la Caserne des Pompiers de la Benauge à Bordeaux. Le dessinateur Michel Sadirac (1933-1999) puis Pierre Lajus (1930) rejoignirent l'agence dès 1964. L'essentiel de leur production se porta sur la réalisation de maisons individuelles, mais l'agence réalisa également des ensemble collectifs, bureaux ou édifices religieux. Bien que leur travail se situe majoritairement en Gironde, dans l'agglomération Bordelaise et autour du Bassin d'Arcachon, l'agence se forgea une réputation nationale, par la qualité de ses réalisations, mais également pour son langage contemporain s'articulant élégamment avec la culture architecturale de la région. L'architecture californienne des années 50, à travers Marcel Breuer, Richard Neutra, ou encore Mies Van Der Rohe, constitua leur inspiration principale. De ces références naît un langage propre à l'agence, autour d'une certaine fluidité des espaces et de l'enchaînement des volumes. Les toits terrasses, les systèmes constructifs en bois, l'utilisation du béton blanc sont autant de signes de leur filiation, qu'ils ont su adapter, réinterpréter."« L’École de Bordeaux » a révolutionné l’architecture publique et privée locale. Voir ici les réalisations du cabinet Salier-Courtois-Lajus-Sadirac.

(3) Selon les auteurs du livre "La Revue l'Art Sacré","le surgissement, en 1950, très médiatisé, des églises d'Assy, de Vence et d'Audincourt, conçues ou ornées par de très grands artistes, donna une considérable audience à la question d'un art « sacré » contemporain. La revue « L'Art sacré » se situe au cœur de cette histoire. Fondée en 1935 par Joseph Pichard, passée aux Éditions du Cerf en 1937, son orientation principale fut le fruit du travail de deux dominicains d'exception, Marie-Alain Couturier et Pie-Raymond Régamey. Durant les années décisives qui suivirent la Seconde Guerre mondiale et qui précédèrent le concile Vatican II, ils défendirent l'idée de la nécessité d'accueillir dans l'Église des œuvres de haute spiritualité issues de l'art des grands créateurs. Cela heurtait aussi bien les tenants de l'art dit de « Saint-Sulpice », que ceux qui prônaient un art « moyennement » moderne. La « Querelle » qui en résulta enflamma une large part de la société.

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