jusqu'au 26 janvier 2014
Son cheminement se découpait en sections :
- La nuit, ambivalente, espace et temps d'inquiétude, voire de terreur mais qui, normalement, apaise et invite au recueillement.
Allégorie de la nuit par Battista Dossi qui, avec l'Aurore et le Jour, devait orner un salon du Duc d'Ercole d'Este à Ferrare : elle figure La Nuit comme une majestueuse femme endormie, à côté de monstres qu’éclaire un château en flammes. Vision inspirée de la "Maison du sommeil" des Métamorphoses d'Ovide ((XI, 592)
- La vacance de l'âme - Dormir, rêver peut-être : le concept de "vacance de l'âme" ayant été inventé par Marsile Ficin, en référence à Platon, pose que l’inspiration surgit dans les moments de dépossession du sujet, caractérisés par la perte de raison. Dans sa Théologie platonicienne (1482), Ficin explique qu’il est possible à l’âme, médiatrice entre le corps et le monde, de se libérer temporairement des servitudes de la matière : l’occasion en est fournie, notamment, par le sommeil et par la mélancolie. Détachée plus ou moins complètement du corps, l’âme du dormeur peut s’élever vers un principe supérieur et divin ; elle accède à l’état prophétique, de même qu’à l’inspiration poétique. Mais cela peut être aussi l'abandon à la puissance démoniaque du rêve, l'entrée dans un monde nouveau, incertain, où l’ordre naturel des choses est rompu, où abondent les métamorphoses et les merveilles.
La Sainte Famille de Bronzino : la peinture renaissante, fascinée par le concept de "Vacance de l'âme" multiplie les images de dormeurs, en les insérant dans un contexte mythologique ou chrétien.
- La vacance de l'âme - Inspiration, ravissement, allégorie : considéré comme un état propice à l’inspiration créatrice, le rêve peut engendrer le génie poétique.
Le songe de Pâris de Pieter Coecke Van Aelst -1530-1540) : aux côtés de Pâris en armure, endormi sous une arbre, se tient Mercure. Debout devant lui, les trois déesses accompagnées de leur attribut iconographique, le paon pour Junon, l'épée et le casque pour Minerve, Cupidon et ses flèches pour Vénus. C'est en dormant que Pâris pourra déterminer à laquelle des trois il doit offrir la Pomme d'Or.
- Visions de l'au-delà : le rêve ouvre l’homme à l’autre que soi. Alors les absents, les morts et les non encore nés peuvent rencontrer les vivants ; le passé et l’avenir peuvent coïncider avec le présent et l’imaginaire s’enlacer au réel.
Le classique rêve de Jacob : « Jacob quitta Beer-Sheva, et s'en alla vers Haran. Il arriva en ce lieu et y resta pour la nuit car le soleil s'était couché. Prenant une des pierres de l'endroit, il la mit sous sa tête et s'allongea pour dormir. Et il rêva qu'il y avait une échelle reposant sur la terre et dont l'autre extrémité atteignait le ciel ; et il aperçut les anges de Dieu qui la montaient et la descendaient ! Et il vit Dieu qui se trouvait en haut et qui lui disait : « Je suis Dieu, le Dieu d’Abraham et le Dieu d’Isaac ton père ; la terre sur laquelle tu reposes, je la donnerai à toi et à tes descendants ; et tes descendants seront comme la poussière de la terre, et ils s’établiront vers l’ouest et vers l’est, vers le nord et vers le sud ; et par toi et tes descendants, toutes les familles sur la terre seront bénies. Vois, je suis avec toi et te protégerai là où que tu ailles, et je te ramènerai à cette terre ; car je ne te laisserai pas tant que je n'aurai pas accompli tout ce dont je viens de te parler. » Jacob se réveilla alors de son sommeil et dit : « Sûrement Dieu est présent ici et je ne le sais pas. » et il était effrayé et dit : « Il n’y a rien que la maison de Dieu et ceci est la porte du ciel. »
Un sujet nettement moins répandu : le Rêve de la Vierge, ici par Michele di Matteo Lambertini (vers 1440) : cette vision qu'a Marie en dormant illustre le lien doctrinal entre l'Arbre du péché originel et la Croix de la Rédemption. Cette dernière serait, en effet, selon une très ancienne tradition, faite du même bois que l'arbre du jardin d'Eden, dont Eve croqua la pomme. C'est donc un rêve qui synthétise Chute et Salut.
- Rêves énigmatiques et visions cauchemardesques : la section regroupe des œuvres inquiétantes et mystérieuses, où intervient souvent explicitement le Démon : le Séparateur, le grand Transgresseur, qui fait naître des cauchemars.
La vision de Tondal, école de H.Bosch : au premier plan, à gauche, le chevalier Tondal va obtenir son salut, sous la protection de son ange gardien, en faisant en rêve l'expérience des châtiments réservés aux pécheurs.
Au centre, la tête aux yeux vides et la "grande cuve de la colère de Dieu" font allusion à des passages bibliques, tandis qu'au fond les grils rougeoyants évoquent la fournaise de l'Enfer.
Le rêve du Docteur de Dürer - Au premier plan, une femme, éveillée, avec une longue chevelure libre et ondulée, est nue, belle et plantureuse. A ses pieds, un angelot joue à grimper sur des échasses. Au deuxième plan un homme dort : il n'est pas dans un lit mais dans une sorte de cathèdre et sa tête repose sur un épais coussin. Il s'est assoupi alors qu'il travaillait ou, pire peut-être, pendant la prière.
A son côté, un diable assez horrible, comme il se doit, dirige un soufflet vers son oreille. Selon Panofsky c'est la paresse, ou plus certainement l'acédie (c'est-à-dire le péché de la tristesse et de la désolation spirituelle), une forme de dépression spirituelle qui est un véritable mal de l'âme. Et bien sûr, le diable profite de cet état de faiblesse du "moine" qui se laisse aller, pour lui suggérer soit des mauvaises actions soit des mauvaises pensées. Panofsky imagine donc que c'est à cette superbe séductrice qu'est en train de rêver le malheureux pécheur.
Pourtant dans une étude récente, Claude Makowsky démontre d’une façon convaincante que le docteur endormi derrière son fourneau vers lequel le diable actionne un soufflet, n’est pas en proie à un rêve luxurieux. Il s’agit selon toute probabilité d’une polémique contre les alchimistes, qui, à force d’attendre devant leur athanor que le plomb se transforme en or, sont dans l’incapacité de répondre aux invitations de dame fortune.
Et, de fait, le geste de la femme, qui serait alors Cybèle, la gardienne des savoirs, serait une mise en garde, voire une condamnation de l'alchimie, que le dormeur n'est pas en état de comprendre. Le titre de la planche, le rêve du docteur, fait pencher pour cette deuxième interprétation, car l'acédie que croit voir Panofsky est propre aux moines, et rien dans la gravure ne dénote un couvent ou une stalle de prière. Bien au contraire, la présence du poële prône en faveur de l'alchimiste.
Le putto, qui s'essaie à grimper sur des échasses, et la sphère qui évoque le monde difficile, voire impossible à conquérir, viennent encore à l'appui de cette interprétation.
- La vie est un rêve : section construite autour du dessin de Michel-Ange intitulé le Rêve ou Allégorie de la vie humaine, inspiré par une composition poétique de Pic de la Mirandole, invitant l’homme à se détacher des plaisirs charnels et à s’arracher au sommeil terrestre pour tourner ses regards vers le Ciel pur, où l’attend la félicité d’un éternel état de veille.
Francesco del Brina (d'après Michel-Ange) entre 1565 et 1586 : le Rêve de la vie humaine
Le sujet du dessin de Michel-Ange a beaucoup impressionné François Ier de Médicis, grand-duc de Toscane, un prince mélancolique et épris d’alchimie : il le choisit pour illustrer le verso d’un portrait peint par Alessandro Allori et représentant Bianca Capello, sa maîtresse puis seconde épouse. La nuit le fascine tant qu'il, lors de son mariage avec Jeanne d’Autriche, le 2 février 1566, il conçoit une fête nocturne consacrée au monde onirique : la Mascarade ou Triomphe des Rêves.
- L’aurore et le réveil : si le sommeil est proche de la mort, le réveil devrait être une résurrection. Avec lui font retour, en principe, la discipline et le contrôle de soi, la maîtrise logique et la raison. Mais, non seulement il n'est pas certain que le réveil nous éveille, mais certains réveils sont périlleux :
Eros et Psyché par Jacopo Zucchi (1589) : le père de Psyché, désespéré de voir que sa fille ne trouve pas d'époux, consulte la Pithie qui déclare que Psyché doit être abandonnée sur un rocher au sommet d'une colline, où viendra la chercher son futur époux, un monstrueux serpent volant. Désolé mais résigné, le père de Psyché obéit. Cependant, Zéphyr, le doux Vent de l'ouest, emporte la jeune femme jusqu'à une merveilleuse vallée où il la dépose délicatement dans l'herbe tendre, non loin d'un magnifique palais. Psyché y pénètre et y découvre un savoureux festin qui l'attendait. Puis elle s'endort dans une chambre somptueuse. Plus tard dans la nuit, son mystérieux époux (Éros) la rejoint, lui demandant de ne jamais chercher à connaitre son identité, cachée par l'obscurité de la chambre. Toutes les nuits, il lui rend visite puis la quitte avant l'aurore. Heureuse de cette union Psyché voudrait pourtant connaître le visage et le nom de son amant nocturne. Ses deux sœurs, folles de jalousie face à tant de richesse et de bonheur, à persuader Psyché que son époux n'est rien d'autre qu'un horrible monstre qui finira par la dévorer. Terrifiée à cette idée, elle profite du sommeil de son amant pour allumer une lampe à huile afin de percer le mystère. Elle découvre alors le jeune homme le plus radieux qu'elle ait jamais vu. Mais une goutte d'huile brûlante tombe sur l'épaule du dieu endormi, qui se réveille aussitôt et s'enfuit, furieux d'avoir été trahi.