François-André VINCENT (1746-1816) du 19 octobre au 19 janvier 2014 au Musée des Beaux Arts de Tours et du 8 février 2014 au 11 mai 2014 au Musée Fabre de Montpellier.
L'exposition, qui va se terminer bientôt à Tours et qui part ensuite pour Montpellier, sous-titrée "Un artiste entre Fragonard et David", fait partie de ce nouveau genre d'expositions subventionnées par le Ministère de la Culture et qu'on nomme plaisamment des"expositions d'intérêt national", un label qui se révèle, à la pratique, de qualité. Elle bénéficie en plus du soutien de FRAME, cet organisme franco-américain dont je vous ai déjà parlé et qui s'est fixé pour mission de "favoriser la circulation et l’échange d’œuvres d’art, d’informations, d’idées, de technologies et de ressources. L’objectif en est l’instauration de partenariats durables pour des projets communs enrichissant les musées participants et proposant leurs trésors respectifs à un plus large public de part et d’autre de l’Atlantique". Autant dire qu'elle était en tous points passionnante et bien construite.
L'artiste dont elle offrait une très riche rétrospective d'une centaine d'oeuvres est un peintre très peu et mal connu, né à Paris fin décembre 1476, d'un père miniaturiste genevois, dont il fut l'élève avant d'avoir pour maître Vien et de remporter le deuxième prix du concours de Rome alors qu'il avait tout juste 18 ans. En 1768, il obtient le Grand Prix avec Germanicus apaisant la sédition dans son camp (Paris, École Nationale Supérieure des Beaux-Arts), ce qui lui donne accès à l’École Royale des Élèves Protégés. Ce qui lui vaut, en 1771, de partir pour Rome où il séjourne jusqu’en 1775 à l’Académie de France, alors installée au Palais Mancini. Durant ces quatre années, Vincent dessine beaucoup, réalisant en particulier de nombreuses caricatures de ses condisciples dont l'exposition offre de nombreux exemples. Vincent rencontre Bergeret et Fragonard lors de leur passage à Rome (décembre 1773 - avril 1774), puis les accompagne à Naples. La rencontre avec Bergeret (que vous connaissez bien si vous avez lu Fragonard, L'invention du Bonheur de Sophie Chauveau) nous vaut trois toiles absolument craquantes que l'on peut dater avec une grande précision grâce au journal tenu par Pierre-Jacques Onésyme Bergeret de Grandcourt, comte de Nègrepelisse, trésorier général de la généralité de Montauban et qui s'était embarqué en 1774 pour un ambitieux voyage en Italie, en se faisant accompagner par Fragonard. Ce journal d'un "touriste" gourmand, soucieux d'avoir tout vu et très préoccupé d'être flatté, rassuré, de ses habitudes de confort mises à mal par le périple, ses soucis de santé et un vraie soif de découverte, pourrait être ridicule s'il n'était parfois teinté d'une dose sympathique d'autodérision qui fait la joie des lecteurs d'aujourd'hui.
Grâce à lui, on connaît donc avec précision la date de réalisation de ce portrait du mécène par Vincent (Besançon, Musée des Beaux-Arts), une silhouette "impérieusement débraillée" , qui se laisse croquer sans aucun complexe, le ventre en avant, sans perruque et en habit d'intérieur. Plus soucieux de son statut d'amateur éclairé que de son aspect physique, il se laisse portraiturer avec un rien de caricature, c'est presque un portrait-charge, mais bienveillant. Et pour dire combien il est épris d'archéologie, connaisseur et curieux, il demande au peintre de le camper contre une base antique, au milieu d'un joli fatras de plans, livres et autres portefeuilles de gravures et dessins. Sur la base de marbre sur laquelle il s'appuie, pendant négligemment mais clairement identifiable, son cordon rouge de l'Ordre du Saint Esprit et l'on aperçoit le coin d'une gravure représentant, ça pose tout de même, le portrait de Clément XIV. Quelques statues anciennes, égyptienne ou romaine, surgissent dans l'ombre pour compléter le tableau.
Mais le plus charmant de l'histoire, et le plus cocasse aussi, est la toile qui figurait à l'exposition à côté de Bergeret : le portrait, réalisé quelques jours avant son maître, de sa petite levrette Diane (musée des Beaux-Arts de Besançon). Il semble qu'il fut exécuté par Vincent pour faire plaisir à son mécène, et le rendu est ici aussi élégant, aristocratique et raffiné que le portrait du maître était fantaisiste ! La chienne a pris la pose propre aux lévriers, installée avec affectation sur un coussin de velours bleu, la patte avant gauche légèrement fléchie, la tête dédaigneusement tournée pour ne pas regarder le peintre ! Et l'animal est, malicieusement, représenté avec beaucoup plus de sérieux que son noble maître !
La troisième toile qui éclaire d'une jolie anecdote ce séjour romain s'intitule sobrement "la leçon de dessin" (collection particulière). On a la chance qu'elle soit datée au jour près, du 10 mars 1774. Et, en se référant au journal de Bergeret qui évoque, le 9 mars, une "leçon de dessin qui nous a occupé toute la journée, sans voir de monde". On peut alors supposer, d'autant qu'il évoque plus loin "des amusements particuliers" et même "un amusement de curiosité ne pouvant être décrit", que la jeune femme pourrait être Jeanne Vignier, la maîtresse du financier et sa future épouse, et Bergeret lui-même gentiment rajeuni et dans l'ombre !
Au retour de Rome, alors que Vincent fait escale à Marseille, il réalise ce triple portrait d'atelier (Paris, Musée du Louvre) qui tient de la pochade et du souvenir de voyage. A gauche, tourné vers le spectateur, c'est Vincent lui-même, vêtu d’un extravagant costume « espagnol », à collerette et cape ornée d'un large galon doré, arborant un chapeau de feutre à large bord piqué d'une grande plume blanche. A droite, ceint d'une cape d'un rouge éclatant et tenant à la main un compas, c'est l’architecte Rousseau. Il porte un drôle de couvre-chef, une sorte de serre-tête retenant ses cheveux et, par dessus, toute de travers, une perruque en désordre qui a l’air d’un bonnet en poils de mouton. Entre les deux artistes, le peintre Philippe-Henri Coclers van Wyck liégeois d’origine, est présenté comme "le compagnon d'armes" de Vincent : devant une toile vierge, placée sur un chevalet,les deux hommes sont en train de se livrer, avec un sérieux presque adolescent, à l’échange des pinceaux. Cette fraternisation entre artistes a quelque chose de touchant et de délicieusement potache.
Après son séjour italien, Vincent est assuré d'un réel succès à Paris. En 1777, il est agréé à l’Académie avec ce Saint Jérôme au désert, (Montpellier, Musée Fabre) tout à fait imprégné de l'observation du Guerchin, oeuvre lyrique et grave dont on admire la puissance. L'intensité des regards échangés, la savante diagonale dessinée par les mains des deux protagonistes, l'élégant chromatisme qui oppose au manteau rouge du saint les bleus grisés des voiles de l'ange, le fond sombre et pourtant structuré de la scène, tout cela sent très fortement son influence du XVIIème bolognais.
Durant ces années-là, il expose de nombreuses toiles au Salon (dont les portraits de Bergeret réalisés à Rome) et obtient un énorme succès au Salon avec son Président Molé et les factieux (Paris, Palais Bourbon). Répondant à une commande royale où on le chargea de traiter cet épisode de la Frende, la toile fit date. Contrairement à ses condisciples qui reconstituaient des scènes historiques approximatives, surtout soucieux de plaire, Vincent se documente avec soin : il veut être précis, et juste. Il utilise semble-t-il des gravure de Callot pour peindre ses émeutiers, le visage de Molé vient d'un portrait gravé de Claude Mellan qui date de 1650, sa robe d'apparat est inspirée d'une toile de Philippe de Champaigne. Il fait même réaliser, à petite échelle, l'habit du Président pour en reproduire les plis sur manequin. Robe qu'on retrouve dans l'inventaire de ses biens après décès lors de la vente de son atelier. Il reproduit avec exactitude le cadre urbain dans lequel se déroule l'événement qu'on reconnaît encore précisément d'après les descriptions d'époque. Dans une perspective très marquée accentuée par la direction de la hallebarde de l'agresseur de Molé, la scène du premier plan est dramatisée par l’attitude d'escrimeur de cet homme vêtu d'un orange audacieux, surtout à proximité du rouge de la simarre et du vert des hauts-de-chausses. La toile, très colorée, pleine de fureur et de bruit, est exécutée dans une touche énergique et très efficace. Elle remporte un vif succès, on en complimente "la fierté", "le coloris vigoureux et chaud", et même si certains la critiquent, on parle à son égard de "chef-d'oeuvre accompli".
Reçu à l'Académie en 1782, la notoriété du peintre ne fait que s'affirmer et il expose régulièrement et avec succès. Il est même nommé en 1790 comme Garde des Dessins du Roi.
Contrairement à Fragonard, la révolution n'interrompt pas la carrière de l'artiste qui fut, durant cette période, un acteur de poids. Certes plus porté sur la conciliation et la temporisation que farouchement réformateur, il n'est cependant pas opportuniste. C'est un homme de conviction, un homme des Lumières, un progressiste sincère, même s'il reste prudent. Ce qui ne l'empêcha pas, comme tant d'autres, de souffrir de cette période, affrontant de sérieuses difficultés financières. Sa sœur, impliquée dans la conspiration du baron de Batz, fut arrêtée le 15 mars 1794 et guillotinée après un procès de pure forme. Sa compagne, Adélaïde Labille-Guiard fut aussi fort inquiétée et sa sœur guillotinée. Elle avait été la portraitiste officielle de Mesdames et du Comte de Provence, et quel qu’aient été ses engagements, son "féminisme" et sa loyauté à l'égard de la Révolution, elle fut sévèrement mise à l'index et ne s'en remit sans doute pas. Vincent, quant à lui, considéré comme peintre comme l'égal de David, n'eut pas son entregent, eut même à souffrir de féroces critiques sur sa gestion du Museum et préféra invoquer sa santé défaillante pour se retirer de la scène parisienne. Il se retira dans la maison de Pontault-en-Brie qu'il avait acquise en 1792 avec Adélaïde et son frère. Pourtant, en 1794 il reçut le premier prix, avec Gérard, au Concours de l’an II dont le projet est d’exalter les moments les plus glorieux de la Révolution.
Peu à peu les esprits s'apaisent. En 1798, Vincent montre au Salon La Leçon d’Agriculture (musée des Beaux-Arts de Bordeaux), un véritable manifeste social auquel il a consacré de nombreuses études et beaucoup de temps. Il en parle ainsi "Pénétré de cette vérité que l'agriculture est la base de la prospérité des États, le peintre a représenté un père de famille qui, accompagné de sa femme et de sa jeune fille, vient visiter un laboureur au milieu de ses travaux. Il lui rend hommage en assistant à la leçon qu'il l'a prié de donner à son fils, dont il regarderait l'éducation comme imparfaite sans cette connaissance". Le tableau définitif très mutilé par un incendie, est à la fois portraits, paysage, scène de genre, scène animalière, et allégorie, aussi peu académique que possible. Certes les personnages, plus "urbains" que nature, habit raffinés quoique discrets, étoffes légères et aux teintes délicates, souliers trop fin pour patauger dans les labours, pourraient paraître ridicules si la scène n'était dominée, enrobée presque, par la silhouette musculeuse et presque tutélaire du paysan. L'ample et très démonstratif geste de son bras gauche, reprenant en inversé la main et le bras du Dieu le Père de Michel-Ange donnant la vie à Adam - l'allusion n'est pas fortuite - traverse majestueusement la toile de part en part, prolongée par l'échine des bœufs, soulignée par l'inclinaison du bâton. Ce thème rural, naturaliste et nerveux se veut et s'affirme très pédagogique, et l'homme de convictions qu'est Vincent le travaille avec un soin extrême (il reste de nombreux croquis, et plusieurs versions préparatoires qui en témoignent.
Un des rares paysages représentés par Vincent, et le seul qui soit parvenu jusqu'à nous. Le traditionnel Temple de la Sybille réorganise l'espace réel en incluant sous le monument romain grottes et murets et s'anime de personnages au repos. -Marseille, musée Borelli
L'artiste dont elle offrait une très riche rétrospective d'une centaine d'oeuvres est un peintre très peu et mal connu, né à Paris fin décembre 1476, d'un père miniaturiste genevois, dont il fut l'élève avant d'avoir pour maître Vien et de remporter le deuxième prix du concours de Rome alors qu'il avait tout juste 18 ans. En 1768, il obtient le Grand Prix avec Germanicus apaisant la sédition dans son camp (Paris, École Nationale Supérieure des Beaux-Arts), ce qui lui donne accès à l’École Royale des Élèves Protégés. Ce qui lui vaut, en 1771, de partir pour Rome où il séjourne jusqu’en 1775 à l’Académie de France, alors installée au Palais Mancini. Durant ces quatre années, Vincent dessine beaucoup, réalisant en particulier de nombreuses caricatures de ses condisciples dont l'exposition offre de nombreux exemples. Vincent rencontre Bergeret et Fragonard lors de leur passage à Rome (décembre 1773 - avril 1774), puis les accompagne à Naples. La rencontre avec Bergeret (que vous connaissez bien si vous avez lu Fragonard, L'invention du Bonheur de Sophie Chauveau) nous vaut trois toiles absolument craquantes que l'on peut dater avec une grande précision grâce au journal tenu par Pierre-Jacques Onésyme Bergeret de Grandcourt, comte de Nègrepelisse, trésorier général de la généralité de Montauban et qui s'était embarqué en 1774 pour un ambitieux voyage en Italie, en se faisant accompagner par Fragonard. Ce journal d'un "touriste" gourmand, soucieux d'avoir tout vu et très préoccupé d'être flatté, rassuré, de ses habitudes de confort mises à mal par le périple, ses soucis de santé et un vraie soif de découverte, pourrait être ridicule s'il n'était parfois teinté d'une dose sympathique d'autodérision qui fait la joie des lecteurs d'aujourd'hui.
Grâce à lui, on connaît donc avec précision la date de réalisation de ce portrait du mécène par Vincent (Besançon, Musée des Beaux-Arts), une silhouette "impérieusement débraillée" , qui se laisse croquer sans aucun complexe, le ventre en avant, sans perruque et en habit d'intérieur. Plus soucieux de son statut d'amateur éclairé que de son aspect physique, il se laisse portraiturer avec un rien de caricature, c'est presque un portrait-charge, mais bienveillant. Et pour dire combien il est épris d'archéologie, connaisseur et curieux, il demande au peintre de le camper contre une base antique, au milieu d'un joli fatras de plans, livres et autres portefeuilles de gravures et dessins. Sur la base de marbre sur laquelle il s'appuie, pendant négligemment mais clairement identifiable, son cordon rouge de l'Ordre du Saint Esprit et l'on aperçoit le coin d'une gravure représentant, ça pose tout de même, le portrait de Clément XIV. Quelques statues anciennes, égyptienne ou romaine, surgissent dans l'ombre pour compléter le tableau.
Mais le plus charmant de l'histoire, et le plus cocasse aussi, est la toile qui figurait à l'exposition à côté de Bergeret : le portrait, réalisé quelques jours avant son maître, de sa petite levrette Diane (musée des Beaux-Arts de Besançon). Il semble qu'il fut exécuté par Vincent pour faire plaisir à son mécène, et le rendu est ici aussi élégant, aristocratique et raffiné que le portrait du maître était fantaisiste ! La chienne a pris la pose propre aux lévriers, installée avec affectation sur un coussin de velours bleu, la patte avant gauche légèrement fléchie, la tête dédaigneusement tournée pour ne pas regarder le peintre ! Et l'animal est, malicieusement, représenté avec beaucoup plus de sérieux que son noble maître !
La troisième toile qui éclaire d'une jolie anecdote ce séjour romain s'intitule sobrement "la leçon de dessin" (collection particulière). On a la chance qu'elle soit datée au jour près, du 10 mars 1774. Et, en se référant au journal de Bergeret qui évoque, le 9 mars, une "leçon de dessin qui nous a occupé toute la journée, sans voir de monde". On peut alors supposer, d'autant qu'il évoque plus loin "des amusements particuliers" et même "un amusement de curiosité ne pouvant être décrit", que la jeune femme pourrait être Jeanne Vignier, la maîtresse du financier et sa future épouse, et Bergeret lui-même gentiment rajeuni et dans l'ombre !
Au retour de Rome, alors que Vincent fait escale à Marseille, il réalise ce triple portrait d'atelier (Paris, Musée du Louvre) qui tient de la pochade et du souvenir de voyage. A gauche, tourné vers le spectateur, c'est Vincent lui-même, vêtu d’un extravagant costume « espagnol », à collerette et cape ornée d'un large galon doré, arborant un chapeau de feutre à large bord piqué d'une grande plume blanche. A droite, ceint d'une cape d'un rouge éclatant et tenant à la main un compas, c'est l’architecte Rousseau. Il porte un drôle de couvre-chef, une sorte de serre-tête retenant ses cheveux et, par dessus, toute de travers, une perruque en désordre qui a l’air d’un bonnet en poils de mouton. Entre les deux artistes, le peintre Philippe-Henri Coclers van Wyck liégeois d’origine, est présenté comme "le compagnon d'armes" de Vincent : devant une toile vierge, placée sur un chevalet,les deux hommes sont en train de se livrer, avec un sérieux presque adolescent, à l’échange des pinceaux. Cette fraternisation entre artistes a quelque chose de touchant et de délicieusement potache.
Après son séjour italien, Vincent est assuré d'un réel succès à Paris. En 1777, il est agréé à l’Académie avec ce Saint Jérôme au désert, (Montpellier, Musée Fabre) tout à fait imprégné de l'observation du Guerchin, oeuvre lyrique et grave dont on admire la puissance. L'intensité des regards échangés, la savante diagonale dessinée par les mains des deux protagonistes, l'élégant chromatisme qui oppose au manteau rouge du saint les bleus grisés des voiles de l'ange, le fond sombre et pourtant structuré de la scène, tout cela sent très fortement son influence du XVIIème bolognais.
Durant ces années-là, il expose de nombreuses toiles au Salon (dont les portraits de Bergeret réalisés à Rome) et obtient un énorme succès au Salon avec son Président Molé et les factieux (Paris, Palais Bourbon). Répondant à une commande royale où on le chargea de traiter cet épisode de la Frende, la toile fit date. Contrairement à ses condisciples qui reconstituaient des scènes historiques approximatives, surtout soucieux de plaire, Vincent se documente avec soin : il veut être précis, et juste. Il utilise semble-t-il des gravure de Callot pour peindre ses émeutiers, le visage de Molé vient d'un portrait gravé de Claude Mellan qui date de 1650, sa robe d'apparat est inspirée d'une toile de Philippe de Champaigne. Il fait même réaliser, à petite échelle, l'habit du Président pour en reproduire les plis sur manequin. Robe qu'on retrouve dans l'inventaire de ses biens après décès lors de la vente de son atelier. Il reproduit avec exactitude le cadre urbain dans lequel se déroule l'événement qu'on reconnaît encore précisément d'après les descriptions d'époque. Dans une perspective très marquée accentuée par la direction de la hallebarde de l'agresseur de Molé, la scène du premier plan est dramatisée par l’attitude d'escrimeur de cet homme vêtu d'un orange audacieux, surtout à proximité du rouge de la simarre et du vert des hauts-de-chausses. La toile, très colorée, pleine de fureur et de bruit, est exécutée dans une touche énergique et très efficace. Elle remporte un vif succès, on en complimente "la fierté", "le coloris vigoureux et chaud", et même si certains la critiquent, on parle à son égard de "chef-d'oeuvre accompli".
Reçu à l'Académie en 1782, la notoriété du peintre ne fait que s'affirmer et il expose régulièrement et avec succès. Il est même nommé en 1790 comme Garde des Dessins du Roi.
Portrait de Sara Calmer dans un paysage propose une jeune femme au teint délicat, vêtue d'une véritable arc-en-ciel, rouge, bleu, orangé, violine... son immense chapeau à plume s'orne d'une petit cocarde tricolore, on est en 1793-94, c'est l'an II !! Elle tient une missive décachetée et son air songeur montre qu'elle rêve à l'expéditeur de ce courrier dont on peut douter qu'il soit amoureux.
Contrairement à Fragonard, la révolution n'interrompt pas la carrière de l'artiste qui fut, durant cette période, un acteur de poids. Certes plus porté sur la conciliation et la temporisation que farouchement réformateur, il n'est cependant pas opportuniste. C'est un homme de conviction, un homme des Lumières, un progressiste sincère, même s'il reste prudent. Ce qui ne l'empêcha pas, comme tant d'autres, de souffrir de cette période, affrontant de sérieuses difficultés financières. Sa sœur, impliquée dans la conspiration du baron de Batz, fut arrêtée le 15 mars 1794 et guillotinée après un procès de pure forme. Sa compagne, Adélaïde Labille-Guiard fut aussi fort inquiétée et sa sœur guillotinée. Elle avait été la portraitiste officielle de Mesdames et du Comte de Provence, et quel qu’aient été ses engagements, son "féminisme" et sa loyauté à l'égard de la Révolution, elle fut sévèrement mise à l'index et ne s'en remit sans doute pas. Vincent, quant à lui, considéré comme peintre comme l'égal de David, n'eut pas son entregent, eut même à souffrir de féroces critiques sur sa gestion du Museum et préféra invoquer sa santé défaillante pour se retirer de la scène parisienne. Il se retira dans la maison de Pontault-en-Brie qu'il avait acquise en 1792 avec Adélaïde et son frère. Pourtant, en 1794 il reçut le premier prix, avec Gérard, au Concours de l’an II dont le projet est d’exalter les moments les plus glorieux de la Révolution.
Peu à peu les esprits s'apaisent. En 1798, Vincent montre au Salon La Leçon d’Agriculture (musée des Beaux-Arts de Bordeaux), un véritable manifeste social auquel il a consacré de nombreuses études et beaucoup de temps. Il en parle ainsi "Pénétré de cette vérité que l'agriculture est la base de la prospérité des États, le peintre a représenté un père de famille qui, accompagné de sa femme et de sa jeune fille, vient visiter un laboureur au milieu de ses travaux. Il lui rend hommage en assistant à la leçon qu'il l'a prié de donner à son fils, dont il regarderait l'éducation comme imparfaite sans cette connaissance". Le tableau définitif très mutilé par un incendie, est à la fois portraits, paysage, scène de genre, scène animalière, et allégorie, aussi peu académique que possible. Certes les personnages, plus "urbains" que nature, habit raffinés quoique discrets, étoffes légères et aux teintes délicates, souliers trop fin pour patauger dans les labours, pourraient paraître ridicules si la scène n'était dominée, enrobée presque, par la silhouette musculeuse et presque tutélaire du paysan. L'ample et très démonstratif geste de son bras gauche, reprenant en inversé la main et le bras du Dieu le Père de Michel-Ange donnant la vie à Adam - l'allusion n'est pas fortuite - traverse majestueusement la toile de part en part, prolongée par l'échine des bœufs, soulignée par l'inclinaison du bâton. Ce thème rural, naturaliste et nerveux se veut et s'affirme très pédagogique, et l'homme de convictions qu'est Vincent le travaille avec un soin extrême (il reste de nombreux croquis, et plusieurs versions préparatoires qui en témoignent.
Portrait du poète Antoine-Vincent Arnault, 1801 par Vincent. Le jeune auteur, âgé de 35 ans, est représenté en plein air, assis sur un rocher devant un ciel orageux. Sa pose est décontractée, il est représenté cheveux au vent, chemise largement ouverte et cherchant manifestement l'inspiration.
C'est en 1800 que le peintre épouse Adélaïde Labille-Guiard, qu’il connaît depuis l’enfance : fille d'un modiste à la toilette, elle fut d'abord l'élève du père de Vincent, dont elle apprit l'art de la miniature. Mariée à 20 ans (en 1769) avec un fonctionnaire des finances, elle n'est pas heureuse en ménage, et continue fort heureusement à peindre. Après avoir pratiqué les arts très féminins de la miniature, puis du pastel (elle fut l'élève aussi de Quentin-Delatour) elle décide en 1775 de se mettre à la peinture à l'huile. Vincent vient de rentrer de Rome, il sera son nouveau maître. Au cours de ce long et méthodique apprentissage, elle est très vite reçue à l'Académie, le même jour qu'Elisabeth Vigée-Lebrun. Les mauvaises langues prétendent, comme chaque fois qu'une femme s'avise de peindre et d'avoir du talent, que Vincent est l'auteur de ses toiles les plus réussies.Témoin cette horrible libelle, dont elle obtiendra qu'elle soit retirée et détruite se terminant ainsi :
"A madame Guiard,
Que vois-je, ô ciel, l'ami Vincent ne va donc plus que d'une fesse
Son amour fait votre talent
L'amour meurt, le talent baisse
Résignez-vous fière Chloris, dites votre De Profundis"
Portrait de François-André Vincent par Adélaïde Labille-Guiard, exécuté en 1795.
Ces perfidies ne cesseront jamais et il est savoureux de constater, quand on observe aujourd'hui la cote des deux artistes, que souvent madame Labille-Guiard atteint des prix largement supérieurs à ceux de son supposé "nègre". Toujours est-il, dans ces conditions, qu'il est difficile d'apporter foi aux témoignages malveillants qui concernent aussi les rapports affectifs entre les deux amis. La jeune femme avait quitté le domicile conjugal dès 1783, mais chacun resta indépendant longtemps. Madame Guiard ne demande le divorce qu'en 1793, mais malgré leur cohabitation, leur travail en commun et leur très réel attachement, ils attendent encore 7 ans avant de se marier. Il est, de l'aveu même du spécialiste de Vincent J.P. Cuzin, très difficile de distinguer leur style. Mais monsieur Cuzin il refuse de croire que Vincent peignit pour elle, supposant au contraire que ce fut sans doute elle qui l'aida pour certaines de ses toiles. Leurs talents sont très proches, leur longue amitié et leur confiance mutuelle ont fait le reste.
La dernière toile de Vincent : il s'agit du portrait de François Andrieux, un écrivain ami du peintre. Le sobre tableau aux teintes d'automne saisit le fabuliste vu de face, le visage est illuminé par le blanc du col et de la chemise, le seul point de couleur étant la décoration de la Légion d'Honneur qu'arbore l'homme de lettres. Son manuscrit, qu'il tient dans la main gauche comme un bâton de maréchal dit que ses écrits lui survivront.
Malheureusement, sans doute brisée par ses déboires révolutionnaires, Adélaïde Labille-Guiard meurt en 1803, et c'est une de ses plus chères élèves, Marie-Gabrielle Capet, qui veille désormais sur le peintre. Nommé Chevalier de la Légion d’Honneur en 1805, puis Professeur à l’École Polytechnique en 1809., il continue à peindre, même s'il a moins de commandes officielles. Il se consacre, avec une réelle réussite, aux portraits. Il peint ses modèles avec une bienveillance et une attention qui enlève toute rigidité à ses portraits : ce sont souvent des effigies d'amis, de familiers, de collègues, toujours empreint de chaleur et d'un naturel de bon aloi. Le peintre meurt à Paris en 1816 et sa collection est vendue quelques mois après. Ce fut un dessinateur éblouissant, un peintre fort talentueux dont l'oeuvre, certes, n'a pas révolutionné l'Art de son siècle mais qui mérite largement mieux qu'un oubli méprisant. Cette exposition lui rend fort justement hommage, à voir à Montpellier à défaut d'avoir le temps d'aller à Tours.
L'essentiel des informations développées dans cet article, proviennent de la somme écrite par Jean-Pierre Cuzin, qui a consacré sa vie au peintre. A le réhabiliter, à faire son catalogue raisonné, à rechercher la trace de ses toiles, à en réhabiliter un grand nombre comme par hasard attribuées à Fragonard ou à Nattoire, bref à rendre justice à un talent injustement négligé, voire méconnu. Monsieur Cuzin, par ailleurs commissaire de l'exposition de Tours, a publié cette monographie monumentale du peintre chez Arthena, et je me suis permis aussi d'y puiser les illustrations de cet article.