... pastèques roulant sur le sable, pastèques mûres à souhait que le pacha tranche allègrement, en en faisant jaillir un jus écarlate. D’aucuns ont crié à la censure et Dieu sait que le mot roule joyeusement sous les plumes des journaleux à la moindre suspicion de liberté écorchée. D’autant que le metteur en scène a aussi été prié de supprimer les inscriptions arabes du drapeau noir qui sert de fond à la prise de vidéo des otages ligotés, à genoux autour de Pedrillo enterré dans le sable et dont seule la tête dépasse, entourés de leurs geôliers menaçant de lui couper la tête à grands coups de sabre. Par mesure de sécurité, et pour éviter que les images détournées puissent en être utilisées sur internet hors contexte, aucun filage photo de la production n’a été réalisé. Il m'a d'ailleurs été très difficile de trouver des images pour illustrer cet article.
Que penser de cette mise en scène sulfureuse qui mêle djihadistes enturbannés, vieux fusils (pas kalachnikov tout de même comme le disent de nombreux articles, car on est en 1915) en bandoulière et campement militaire en plein désert ? Après réécriture des dialogues, elle présente l’opéra comme se déroulant dans les années 15-20, au moment où de graves conflits ébranlèrent la Palestine (1). Mozart l’écrivit en 1782 ; Vienne vivait encore dans le souvenir de la terreur qui s’était emparée de la population cent ans plus tôt, quand l’armée turque était aux portes de la ville. Dans le souci de dédramatiser ces peurs et d’affirmer sa foi en l’avenir, portée par les idéaux de cette fin de XVIIIe siècle, le musicien présente des Européens prisonniers d’un Pacha ottoman qui dépasse ses propres haines, sa rancœur, voire même sa jalousie et se comporte avec magnanimité et tolérance. Un vrai humaniste.
Pour éviter la « turquerie », sans doute considérée comme ringarde, le metteur en scène modifie le texte du Singspiel de Mozart en parlant des puits de pétrole, des 70 vierges promises aux martyrs et de haine raciale. Le tout dans une approximation historique dérangeante (1). La réécriture, dans un Singspiel, du synopsis n'a, en soi, rien de choquant. Même s'il est un peu énervant qu'on nous le serve en anglais, assorti de quelques jurons, dans un opéra allemand sous-titré en française. D'ailleurs le texte des parties chantées, écrit par Johann Gottlieb Stephanie, lui, est intact. Et, c'est vrai, ce texte dénonce la folie meurtrière d’Osmin, en particulier quand il énonce dans un air fameux ce qu’il a envie de faire à Pedrillo « D’abord, décapité, puis pendu, puis embroché sur des barreaux brûlants, puis brûlé, puis ligoté, et noyé, pour finir écorché ». Mais justement, le personnage d’Osmin est prévu par le librettiste comme un faire-valoir à la sagesse et à la maîtrise de soi du pacha. Et Kušej s’arroge avec arrogance le droit de changer complètement le sens profond et la morale de l’histoire.
Pour éviter la « turquerie », sans doute considérée comme ringarde, le metteur en scène modifie le texte du Singspiel de Mozart en parlant des puits de pétrole, des 70 vierges promises aux martyrs et de haine raciale. Le tout dans une approximation historique dérangeante (1). La réécriture, dans un Singspiel, du synopsis n'a, en soi, rien de choquant. Même s'il est un peu énervant qu'on nous le serve en anglais, assorti de quelques jurons, dans un opéra allemand sous-titré en française. D'ailleurs le texte des parties chantées, écrit par Johann Gottlieb Stephanie, lui, est intact. Et, c'est vrai, ce texte dénonce la folie meurtrière d’Osmin, en particulier quand il énonce dans un air fameux ce qu’il a envie de faire à Pedrillo « D’abord, décapité, puis pendu, puis embroché sur des barreaux brûlants, puis brûlé, puis ligoté, et noyé, pour finir écorché ». Mais justement, le personnage d’Osmin est prévu par le librettiste comme un faire-valoir à la sagesse et à la maîtrise de soi du pacha. Et Kušej s’arroge avec arrogance le droit de changer complètement le sens profond et la morale de l’histoire.
J’ai trouvé, quant à moi, et sans vouloir faire polémique, que cette inversion des valeurs, allant dans le sens des modes et flattant les inquiétudes face à des extrémismes comme l’Histoire en a connu bien d’autres, est une facilité dangereuse et, surtout, affiche un total mépris de ceux qui souffrent de ces troubles : que ce soit ceux dont les familles sont en danger ou les musulmans dont les valeurs n’ont rien à voir avec le terrorisme et qui ne se reconnaissent pas dans ces caricatures. Je suis sortie du spectacle terriblement mal à l’aise et fortement perturbée par ce jeu inconsidéré avec des choses graves et qui nous dépassent, trouvant que la provocation n’avait, en la matière, aucune justification et n’était porteuse d’aucun message clair. Or le flou, fut-il artistique, ne sied pas quand on prétend parler de Daesh. C’est trop grave. Je trouve que c’est une question de respect et que les trublions qui bravent la décence se font, d’abord et surtout, plaisir à bon compte.
Martin Kušej fait un spectacle qu'il prétend édifiant parce qu'il le met aux prises avec l'actualité : et que veut-il démonter quand il rajoute à la fin mozartienne où le bon pacha libère ses prisonniers qui célèbrent en chantant sa tolérance et son humanité, une image choc qui glace le public d'effroi. La musique s'arrête et Osmin revient sur scène en brandissant des chemises ensanglantées qu'il tend avec défi au pacha. Que prétend-il encore quand il fait du même pacha un personnage complexe, manifestement occidentalisé et aux limites de la folie, qui se livre à un étrange rituel sadomasochiste en se roulant sur un lit de roses dont les épines le déchirent, comme les flèches d'un Saint Sébastien de pacotille ? Il ne dénonce rien, ménage les djihadistes dont il fait une peinture soft (au moins jusqu'à la dernière image) et semble plus soucieux de provoquer que de réfléchir.
Martin Kušej fait un spectacle qu'il prétend édifiant parce qu'il le met aux prises avec l'actualité : et que veut-il démonter quand il rajoute à la fin mozartienne où le bon pacha libère ses prisonniers qui célèbrent en chantant sa tolérance et son humanité, une image choc qui glace le public d'effroi. La musique s'arrête et Osmin revient sur scène en brandissant des chemises ensanglantées qu'il tend avec défi au pacha. Que prétend-il encore quand il fait du même pacha un personnage complexe, manifestement occidentalisé et aux limites de la folie, qui se livre à un étrange rituel sadomasochiste en se roulant sur un lit de roses dont les épines le déchirent, comme les flèches d'un Saint Sébastien de pacotille ? Il ne dénonce rien, ménage les djihadistes dont il fait une peinture soft (au moins jusqu'à la dernière image) et semble plus soucieux de provoquer que de réfléchir.
N'est-il par barbare à souhait Osmin, quand il offre à Blonde, pour lui prouver son amour, le coeur encore palpitant de la bête que ses hommes viennent d'égorger, en lui disant que c'est un morceau de roi... morceau qu'elle finira par dévorer quelques instants plus tard, taraudée par la faim.
Quant à la qualité musicale, je partage l’avis général des critiques qui s’accordent à dire que le ténor qui chante Belmonte, Daniel Behle, domine la distribution. J’ai, quant à moi, peu aimé la voix de Jane Archibald qui interprète Constance. Non qu’elle chante mal, au contraire, mais c’est une question de timbre, et on a en déjà parlé sur le blog de JF, cela ne se raisonne pas ! L'excellent basse Franz-Josef Selig doit renoncer aux ressorts comiques du rôle d'Osmin, qui "s'entendent" dans la musique de Mozart et, cruel et méchant barbu, est obligé de chanter tous ses airs avec le plus grand sérieux. Les autres rôles avaient des voix plutôt agréables mais désavantagées par le plein air. Comme étaient pénalisés les instruments baroques de l’excellent Freiburger Barockorchester, très finement dirigés par l’excellent Jérémie Rohrer, totalement décalé en comparaison avec les brutalités que nous montre la scène ... mais n’offrant que des sons un peu désincarnés, secs et minces, étalés qu’ils étaient dans cette longue fosse à l’air libre de la cour inhospitalière du théâtre de l’Archevêché. Qui est un vrai supplice pour l’acoustique.
Article illustré de quelques rares photos trouvées sur le Net
la plupart sont Patrick Berger/ArtComArt © Pascal Victor
la plupart sont Patrick Berger/ArtComArt © Pascal Victor
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Note
Note
(1) Mais j’avoue n’avoir pas très bien saisi cette transposition historique car l’affaire est la suivante.
En 1916, une révolte arabe contre l'empire ottomanéclate dans le Hedjaz, dirigée par le chérif de La Mecque. Les troupes ottomanes défendent Médine, terminus du chemin de fer du Hedjaz. L'émir Fayçal, le fils du chérif, prend la tête d'une partie de l'armée chérifienne, accompagné par l'officier de liaison britannique TE Lawrence et poursuit au nord de Médine les actions de guérilla.
Les actions se termineront en 1918 quand, après une dure bataille, les anglais finissent par vaincre les ottomans, et la SDN crée la Palestine sous mandat britannique en 1920, au profit des arabes. On ne voit pas très bien dans ces conditions comment des arabes auraient pris des anglais en otage en 1915 ou 1920 ?? Ce sont donc forcément des turcs qui agissent contre l’ennemi britannique. Le metteur en scène en fait donc des djihadistes, ce qui me semble une sacrée liberté prise avec l’Histoire.