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Les Rouart : de l'Impressionnisme au réalisme magique

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La propriété des Caillebotte, à Yerres en région parisienne, récemment rendue à la visite et comportant un bel espace muséal, offre jusqu'au 5 juillet une passionnante exposition qui vaut vraiment la visite. Certes on y admire surtout ce qu'il était convenu il y a peu encore qu'appeler des "petits maîtres", mais la singularité de l'exposition est qu'on y cotoie trois générations de passionnés de la palette, d'enragés de la peinture : les Rouart. Rien que le titre est prometteur : Les Rouart : de l'Impressionnisme au réalisme magique !


Pour bien comprendre l'intention des commissaires de l'exposition, le mieux est de regarder cette généralogie des Rouart, où les "carrés" blancs traduisent l'aventure picturale de cette famille amoureuse des arts :  Henri Rouart (1833-1912), élève de Corot, son fils Ernest (1874-1942), élève de Degas et époux de Julie Manet — elle-même fille de Berthe Morisot — et enfin le petit-fils d’Henri Rouart, Augustin Rouart (1907-1997), proche de Maurice Denis, moderne des années 1930. Nous avions relu, avant d'y aller, le délicieux livre de Dominique Bona Deux soeurs, consacré aux filles d'Henri Lerolle portraiturées au piano par Renoir et qui épousèrent deux des fils d'Henri Rouart. Juste histoire de se mettre dans l'ambiance de cette famille hors normes qui aimait tant communier avec l'art des autres qu'on y constitua de magnifiques collections mais qu'on y resta toujours modeste, n'essayant jamais de rivaliser avec les artistes dont on promouvait généreusement la carrière. 

Henri Rouart L'étang du domaine de l'Hermitage 1885


Henri Rouart (1833 – 1912) 
Ingénieur, peintre, collectionneur et mécène, Henri Rouart se passionne très jeune pour la peinture : il a croisé Degas sur les bancs du lycée et c'est sans doute de leur profonde amitié que lui vint ce goût. Très jeune, formé par Corot et Millet, il obtient des prix de dessin. Il se met ensuite à peindre, exposant dès 1864 au Salon puis régulièrement aux côtés des impressionnistes.

Henri Rouart La seine aux environs de Rouen, 1880

Sa réussite industrielle lui permet de s'adonner à sa passion. Il fréquente galeries, ateliers d'artistes et salles des ventes et achète maîtres anciens et œuvres contemporaines. Fort aisé, il constitue tout au long de sa vie une collection exceptionnelle ( Corot, Delacroix, Millet, Jongkind, Courbet, Daumier, Degas, Manet, Monet, Cézanne, Renoir, Morisot, Gauguin…) qui envahit son hôtel particulier de la rue de Lisbonne. Vers la cinquantaine, il abandonne toute activité professionnelle pour se consacrer enfin et sans frein à sa passion. Peintre de paysage, il réalisa aussi de beaux portraits, attentif à saisir ses proches dans leur cadre intime.

Henri Rouart, femme cousant à sa fenêtre 

Signac note dans son journal le 16 février 1898 : "C’est affolant : du haut en bas la maison est pleine de tableaux qui, dans toutes les pièces, dans les antichambres, dans les escaliers, garnissent les murs du plancher au plafond. Il n’y a plus une place vide. C’est une profusion de merveilles : Corot, Delacroix, Millet, Jongkind, Courbet, Daumier, Degas. J’en ai vu tant que je sors ahuri…."

Henri Rouart, Louis Rouart lisant, aquerelle, 1895

Après la mort d’Henri Rouart, en 1912, la vente de cette collection attira les convoitises des plus grands marchands, connaisseurs et représentants de musées du monde entier. Rien d’étonnant dans cette ambiance que sa passion pour la peinture fut ensuite partagée par tous les membres de la famille.


Ernest Rouart, Femme dans le jardin de la Queue-en-Brie, 1885-90

Ernest Rouart (1874 – 1942)
Comme son père, Ernest Rouart entreprend des études de mathématiques avant de se tourner vers la peinture. C'est Degas, grand ami de la famille, qui lui donne ses premiers cours de dessin puis, plus tard, lui fait rencontrer sa future épouse Julie Manet, fille de Berthe Morisot. Ernest Rouart a beaucoup contribué à la mise en valeur du courant impressionniste, organisant des expositions majeures et s’intéressant notamment au travail d’Édouard Manet, Edgar Degas et bien sûr Berthe Morisot. Julie Manet peignait aussi et l’un de leurs fils, Denis Rouart, fut conservateur du Musée des Beaux-Arts de Nancy de 1946 à 1969.

Berthe Morisot (1841-1895) Eugène Manet et sa fille Julie au jardin, 1883

Ernest épouse, on l'a dit, Julie Manet en mai 1900 fille unique de Berthe Morisot et d'Eugène Manet, le frère du peintre Edouard Manet. Berthe est morte en 1895, et Ernest Rouart se consacrera, avec son épouse, à mettre en valeur l'oeuvre de sa belle-mère. Il aura soin aussi de protéger au mieux la collection de son père : malgré sa dispersion en 1912, il tentera de racheter certaines oeuvres auxquelles il tenait le plus.

Ernest Rouart, Portrait de Julie Manet peignant, 1905

Amoureux passionné de l'art mais aussi peintre exigeant, il expose pour la première fois en 1899, puis chaque année au Salon des Indépendants, où il côtoie les artistes de sa généralat : Bonnard, Vuillard, Maurice Denis, le Douanier Rousseau.


Très amis avec Paul Valéry et son épouse, le couple Manet-Rouart se maria le même jour et partagea avec eux le même immeuble durant toute sa vie. Ce qui vaut la présence dans l'exposition de cette émouvante photo représentant les deux femmes, Julie Manet-Rouart et Jeannie Valery posant vers 1960 devant leur portrait gamines par Berthe Morisot. Elles ont toutes deux plus de 80 ans !

Julie Manet, portrait d'Augustin Rouart enfant, 1911


Augustin Rouart (1907 – 1997) 
Augustin Rouart n'est pas le fils d'Ernest, mais son neveu. C'est grâce à son frère Philippe qu'il commence à peindre et à dessiner. Soutenu par son grand-père Henri, dont il est très poche, à exercer son art pour lequel il est vraiment doué, il rompt avec l’impressionnisme pour construire une œuvre originale. Influencé à ses débuts par les nabis et notamment par Maurice Denis, il reste néanmoins en marge des mouvements artistiques de son époque. Il choisit de peindre ce qu'il voit, la réalité simple et calme. Fervent admirateur d'Hans Holbein, de Nicolas Poussin ou d'Ingres, il a le trait savant, la touche élégante et la forme classique. Devant ses tableaux, on est séduit par la force des couleurs, la simplicité des compositions, la sérénité des sujets. Son fils, l’académicien Jean-Marie Rouart, l’évoque en ces termes : « On pourrait à son propos […], parler de réalisme magique. Des tableaux comme Lagrimas y penas, Le Petit Pêcheur, Le Nageur, illustrent sa tentation du merveilleux. […] Si j’ai parlé chez lui de la passion de la lumière, il n’était pas moins obsédé par la vérité – vérité de l’art s’entend – dont la nature donne l’exemple […]. Loin d’être réaliste, il cherchait à transmettre cette poésie du réel qui enchante notre vision devant un paysage, ceux du Béarn ou de Noirmoutier en l’occurrence, ou devant des fleurs. »
De fait, j'ai eu un vrai coup de foudre par ce peintre qui dessine admirablement et manie la couleur et la touche avec une tendresse, une humanité qui font de ses toiles de vraies fêtes pour l'oeil. Je vous offre une visite en images, pour le plaisir de l’œil et des sens.


Augustin Rouart
Enfant endormi, tempera sur carton, 1946

Augustin Rouart
Garçon au pyjama bleu, huile sur papier d'Arches préparé, 1954

Augustin Rouart
L'enfant au citron, portrait de Jean-Marie Rouart, 1945

Augustin Rouart
Autoportrait au pinceau, tempera sur toile, 1944

Augustin Rouart
Nature morte

Augustin Rouart
La balise rouge, 1962

Augustin Rouart, 
Le bateau vert, 1972

Le "réalisme magique" désigne un courant de la modernité artistique, principalement littéraire et picturale. L'expression, apparue sous la plus du philosophe allemand, Novalis, à la fin du XVIIIe siècle, est définie en 1925 pour la première fois par un historien d'art, Franz Roh (1890-1965) : il regroupe sous cette appellation un ensemble d'artistes européens dont les créations dépeignent une réalité métamorphosée par l'imaginaire et le fantastique. La dimension surnaturelle ou poétique des oeuvres ne se définit pas par une esthétique précise mais plutôt par une démarche intellectuelle ou spirituelle. On admet qu'Augustin Rouart se soit inscrit dans cette interprétation du monde propre à certains modernes des années 30 à 40. "Il rejoignait ceux qui, après les extraordinaires renouvellements plastiques du début du XXe siècle, pensaient qu'il fallait calmer le jeun renouer le fil du temps, retrouver le bonheur du classicisme" (Bruno Foucart). Et c'est bien ainsi qu'on ressent sa peinture : apaisante, onirique, portant à la rêverie, et terriblement proche de nous, de notre vécu et de nos sensations les plus intimes. L'usage de la tempera, qu'il manie avec brio, a gardé à ses œuvres toute leur fraîcheur initiale.

Augustin Rouart
Le métro, la nuit, 1947

Augustin Rouart
Femme dans les vagues, 1947

Augustin Rouart,
Le petit pêcheur, 1943

Augustin Rouart
Lagrimas y penas, 1943

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