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Boldini à Forli : le spectacle de la modernité (4)

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Boldini et les maîtres du passé : 
"C'est un classique"

Les commissaires de l'exposition se sont emparés, en français dans le texte, de cette remarque émise le 7 mai 1931 par un concitoyen de Boldini, le ferrarais De Pisi, peintre lui aussi, lors de l'exposition posthume organisée par la Galerie Charpentier, 4 mois après la mort du maître. Et la dernière salle de l'exposition (1) offre, par un rapprochement audacieux mais convaincant, les sources d'inspiration avérée de l'artiste. On sait qu'il admirait Vélasquez, Goya et Van Dyck et ces juxtapositions n'ont rien de gratuit ou de fortuit. 

Le général espagnol - 1867

En ce qui concerne l'influence de Vélasquez, les organisateurs ne pouvaient plus mal tomber : avec l'expostion du Grand Palais, on imagine que tous les Vélasquez "prêtables"étaient déjà réservés et, manifestement, ils n'ont pas pu obtenir de prêt de toile du peintre du Siècle d'Or espagnol. Mais point n'était besoin d'un tableau pour prouver l'admiration du ferrarais pour ce grand maître.


Son Général espagnol, oeuvre de jeunesse qui date de son séjour florentin, parle d'elle-même. Je me suis amusée à la rapprocher de deux portraits de Vélasquez, l'un de ce malheureux Philippe IV, plus laid que nature et l'autre de l'artiste lui-même, pour confirmer l'impression qui en émane et montrer que la comparaison n'a rien d'immérité. Et si c'est loin d'être l'oeuvre la plus affriolante de l'exposition, elle révèle une maîtrise et un classicisme digne des plus grands.


Le deuxième appariement pouvait, a priori, sembler plus hasardeux : mais il faut bien avouer qu'entre le portrait de la princesse Eulalia d'Espagne par l'italien et celui de Tadea Arias de Enriquez par Goya, il y a une parenté de style qui mérite qu'on la souligne. L'effigie rigoureuse de la princesse espagnole, son air un peu pincé et son attitude pleine de noblesse traduisent avec vigueur le caractère ibérique du sujet ! Traitée sans une tonalité de gris bleutées, et faisant, par contraste avec la sévérité du modèle, aux légèretés des dentelles, la toile présente une majesté bien proche de certains sujets de Goya.


Dire que les portraits de Boldini ont la classe de ceux d'Antoon Van Dyck n'est pas une vile flatterie : c'est une vérité que l'on ressent particulièrement devant ses portraits d'homme. Témoin celui d'Henry Poidatz, dont le regard franc et la moustache conquérante n'ont rien à envier à ceux de Cornelis de Wael, peint par Van Dyck en compagnie de son frère, Lucas, en 1627. Et dire d'un portraitiste qu'il fait penser au célèbre flamand est certainement un compliment d'importance.


Pour le portrait de René Colle de 1873, pas besoin d'explication : on pense, même si la toile de ce dernier est restée au Louvre, qui n'est pas très prêteur, au célèbre portrait de Monsieur Bertin par Ingres. La fermeté de la pose, l'acuité du regard et l'élégance discrète du chromatisme sont au rendez-vous. On le sait, l'influence qu'a eu le Portrait de monsieur Bertin sur les artistes est considérable, même s'« il faut se garder de voir dans tout portrait d'homme en noir représenté à mi-corps la marque de l'illustre toile ». Mais ici, sans conteste, Boldini a été sensible à cette célèbre référence : les mains aux doigts écartés posées sur les cuisses, le visage de face qui fixe le spectateur; l'habit noir qui fait chanter le blanc de la chemise, jusqu'à la discrète chaîne de montre qui brille dans la poche de l'homme, tout est là pour montrer que Boldini reconnaissait en Ingres un maître en portrait digne de lui ! Seul le point de vue, légèrement surplombant qui donne l'impression que le peintre est placé un peu au-dessus du modèle, permet au ferrarais de se différencier de son inspirateur.


Le dernier rapprochement est presque, quoiqu'étant, et de loin, le plus osé, le plus évident. Osé, car mettre côte à côte, un cardinal et une demie-mondaine est presqu'iconoclaste ! Or, il semble avéré que la Dame de Biarritz était une de ces femmes, également appelées «grandes horizontales», «cocotes» ou «courtisanes», entretenues par ceux qu’on nommait les viveurs du Boulevard. Charlotte Bartley, puisqu'il s'agit d'elle, rencontra plusieurs fois Boldini et fut donc joliment portraiturée par lui.(3)
Certes les épaules découvertes de la "dame", son généreux décolleté et ses lèvres vermeilles n'ont rien de bien sacerdotal, et cette femme-fleur (4) de la Belle Époque n'a aucun rapport avec le strict ecclésiastique du sévère flamand du XVIIe siècle (1623).  Mais la pose de profil, la forme ovale et très affinée du visage, le regard pensif posé vers les lointains, de même que le chromatisme d'un rouge profond du tableau en font une oeuvre digne des cimaises les plus respectables ! Je me suis permis, car j'ai trouvé l'affaire savoureuse, de recadrer la peinture de Van Dyck pour en rapprocher encore la ressemblance avec celle du peintre mondain !

FIN

..................

(1) Exposition à Forli : Boldini, le spectacle de la modernité, jusqu'au 15 juin 2015. Une manifestation extraordinaire, riche de plus de 250 oeuvres, toiles et sculptures de Boldini, bien sûr, mais aussi de ses amis macchiaioli, de ses amis français, Helleu, Sem, du sculpteur Troubetskoi, du peintre de Nittus, de Zandomeneghi, assortis d'un Goya et deux 2 Van Dyck...  etc etc !  Une des plus belles expositions jamais vues, par l'intelligence de son cheminement, la richesse de ses trésors et le choix des œuvres présentées.

(2) Jean-Pierre Cuzin Catalogue Ingres et les modernes, 2008

(3) Et non Mademoiselle de Gillespie ainsi que le veut la critique. Voir les recherches menées par un descendant de Charlotte, photo de la peinture en place dans le salon de la dame en 1920 !


" en 1912, Charlotte avait posé pour Giovanni Boldini - je savais que ce tableau avait longtemps été accroché au mur de son salon de la villa « Capucina » à Anglet. Elle avait fini par le vendre en 1929, au moment du grand krach boursier. En 2010, j'ai découvert sur internet que ce tableau avait été vendu chez Christie’s à Londres. Il était curieusement intitulé « Mlle de Gillespie - La Dame de Biarritz ». Interpellé par l'identité du modèle, j’ai mené des recherches dans nos archives familiales pour rétablir la vérité. J'ai correspondu avec une experte de l'art italienne, Francesca Dini, pour l'aider à rédiger un article sur l'histoire du tableau".
Il est à noter que le catalogue de l'exposition ne fait nullement mention de cette identification, ce qui est bien dommage ! Il fait mention d'une vente de la toile par Boldini directement au Baron Maurice de Rotschild et semble pour acquis que le titre "La dame de Biarritz" aurait donné par l'artiste lui-même à la toile. Le catalogue ne mentionne pas plus Mademoiselle de Gillespie, ce qui pourrait penser à croire qu'on s'interroge encore sur l'identité de cette jolie brune. Après tout, les arguments de son arrière petit-fils sont convaincants !

(4) l'expression, concernant les modèles de Boldini, est de Silvestra Bietoletti.

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