La National Gallery, lors de notre séjour londonien, offrait une exposition, sans doute passionnante mais que nous n'avons pas eu envie de revoir, tant la foule y était dense : il s'agissait, sous un autre nom, de Durand-Ruel, le Pari de l'Impressionnisme.
Un autre accrochage offrait, dans la salle des peintres espagnols du XVIIe, un hommage au Greco, sans doute pour occuper l'espace laissé vacant par la Vénus au miroir de Vélasquez, prêtée au Grand Palais. Avec, sans doute, un échange de bons procédés puisque la Crucifixion du Louvre avait été prêtée pour l'occasion.
Une dernière exposition cependant s'offrait à nous : Peder Balke. Kezaco ? Un nom jamais entendu... j'étais, allez savoir pourquoi, persuadée qu'il devait s'agir d'un peintre contemporain (pourtant je sais que la National Gallery s'arrête au début du XXe), sans grand intérêt. La lecture de la présentation nous incita cependant à aller la visiter, et bien nous en prit : ce fut une belle découverte. Peintre totalement méconnu sous nos climats, ce norvégien de la deuxième moitié du XIXe traite d'un thème unique, le Grand Nord et, quoique non "professionnel"à cause de la mévente de ses toiles (pas assez pour pouvoir en vivre), le fait avec un réel talent. Talent dont l'exposition rendait, de façon très perceptible et donc fort intéressante, l’évolution.
La vie de Peder Balke
Peter Andersen (de son vrai nom) est né en 1804 sur l'île de Helgøya, dans le comté de Hedmark, Norvège. Il était d'origine paysanne, modeste et ses parents étaient de simples laboureurs au service de propriétaires plus aisés. Il perdit sans doute son père jeune (son auto-biographie ne le mentionne pas) et son enfance fut d'autant plus misérable que la Norvège connut en 1812 une véritable famine. Il commença donc à travailler aux champs dès l'âge de 12 ans, faisant des travaux saisonniers et pêchant à l'occasion pour aider à nourrir sa famille. Pourtant il manifesta très tôt un goût pour le dessin qu'il put approfondir en entrant en apprentissage chez un certain Anders Skaedderstuen, assez demandé pour décorer les villas des riches fermiers des alentours ou restaurer les fresques des églises. Vers 1825, il eut la chance de faire un assez long chantier à la ferme Vestre Balke à Toten, appartenant à une famille qui le prit en affection, le traitant comme leur propre fils et non comme un étranger et encourageant ses activités artistiques. C'est en hommage à ses bienfaiteurs qu'il adopta, ensuite, le nom de Peder Blake comme signature de peintre. Il raconte dans ses mémoires combien cette période fut heureuse pour lui, d'autant plus qu'Anders Balke lui donna les moyens de suivre des cours et de perfectionner sa technique.
En 1826, Blake quitte Toten pour Christiania où il est accepté comme élève chez Henrich August Grosch (1763-1843), chez lequel il ne se plait pas trop, puis chez Jen Funch, un peintre et décorateur danois. Ses progrès sont sensibles et, en 1833, il décore les pièces de réception de ses bienfaiteurs de Toten, pour les remercier de leur soutien. Sa première peinture documentée date de 1828-29 et manifeste un style encore raide, quoique très lumineux. De l'automne 1829 au printemps 1833, il fut l'élève de Carl Johan Fahlcrantz (1774-1861) à l'académie d'art de Stockholm. Balke a été aussi l'élève de Johan Christian Dahl de 1843 à 1844.
C'est durant cette période qu'il entreprit, au cours de l'été 1830, le premier voyage qui devait marquer sa vie de peintre. Il traversa à pied le Telemark, le Rjukan, le Vestfjorddalen au-delà de Røldal et Kinsarvik jusqu'à Bergen, pour ensuite revenir sur Vossevangen et Gudvangen, puis encore plus loin jusqu'à Fillefjell, Valdres et de là, à travers les montagnes jusqu'à Hallingdal. De retour à Stockholm au printemps 1831, il se tailla rapidement une solide réputation parmi les norvégiens de la ville et invité, reconnu, put commencer à vendre quelques oeuvres. Il se vit même acheter une toile par la famille royale, Le pont naturel d'Eiker, toile qui évoque un peu Hubert Robert et qui figure encore dans les collections royales. Parrallèlement, il continuait à se former et c'est grâce au soutien et aux encouragements de ses maîtres, Due et Rathke, qui lui fournirent toutes les recommandations nécessaires, qu'il put entreprendre ce qui fut son voyage initiatique et le déterminant de son talent à venir. C'est en avril 1832 qu'il partit de Toten en direction de Trondheim pour un voyage vers le Grand Nord qui devait durer environ 6 mois. De là, parfois en barque, parfois à pieds, il longea toute la longue et fastueuse côte norvégienne pour atteindre Vardø, tout au nord, où il passa une semaine à croquer le délicieux fort miniature qui jouxte la petite cité.
Après une incursion vers l'intérieur, à Vadsø et à Varangerforden, il reprit le chemin du retour pour Stockholm où il rentra en septembre. Il avait dans ses cartons de l'inspiration pour le restant de ses jours. Et, dès son arrivée, il commence à réaliser et à vendre quelques toiles.
Amoureux depuis quelques années d'une jeune fille de Toten, qu'il ne pouvait épouser n'étant pas encore établi, il avait demandé à Anders Balke de veiller sur sa bien-aimée. Mais dès le printemps 1833, un peu assuré d'un point de vue financier, il décide de retourner à Toten où l'attendent plusieurs chantiers de décoration. C'est ainsi qu'il peut épouser Karen Ingvaldstatter Eriksen (1812-1905) dès l'automne de cette même année et construire une famille qui, au total, comptera 8 enfants nés entre 1835 et 1859. Il vit alors de la réalisation de nombreuses décorations murales dans les maisons bourgeoises des environs, toute d'une style très traditionnel, inspiré des peintres du XVIIIe.
Mais Balke rêve d'autre chose et veut devenir artiste peintre, même si les possibilités de vendre sont très limitées. Il part pour Berlin, puis Leipzig et enfin Dresde où il passe quelques temps avant de rejoindre Munich, Strasbourg et, enfin, Paris. Son "tour d'Italie" en quelque sorte, puisqu'il en profite pour visiter les musées et se former l'oeil et le goût. Il découvre Huet, Isabey, la peinture romantique au Salon et, finalement, rejoint le Havre où il s'embarque sur le Norway pour regagner la Norvège. Il peint des marines, très romantiques, mais ne trouve pas de poste et doit vendre pour vivre. Or, il est difficile de vendre, les occasions d'organiser des expositions sont rares et même s'il finit par se constituer une petite clientèle, il ne gagne pas suffisamment d'argent pour faire vivre sa famille, de plus en plus nombreuse. Il peine à trouver des marchés et pourtant, dans les années 1840, peint de plus en plus. Des dissenssions avec la Société des Arts de Christinia lui ferment d'autres portes, et il décide alors, ayant abandonné tout espoir de vivre de son art en Norvège ou au Danemark, de retourner à Berlin, puis à Paris. Il sait que Louis-Philippe a, en 1795 alors qu'il était en exil, fait le voyage de Trondheim au Cap Nord et espère lui vendre quelques unes de ses toiles. De fait en 1846-47, le roi lui commande, pour le Château de Versailles une trentaine de peintures destinées à commémorer son voyage. Il lui a fait parvenir une carte de son périple, avec son itinéraire marqué en rouge et le peintre lui propose 54 croquis, exécutés à la hâte parmi lesquels le roi en retient 33 (1). Malheureusement, la Révolution de février 1848 vient mettre fin à ce beau projet et la commande pour Louis-Philippe est abandonnée. Il repart pour Berlin, où il connait un certain succès puis rentre ouvre un atelier de dessin et d'art à Christiania. Mais, de nouveau, il souffre de frictions avec la bonne société danoise qui l'accuse d'être, carrément, un communiste, et, malgré l'ardent soutien de son ancien professeur Dahl, il a du mal à émerger. Dahl souligne qu'il n'est pas communiste, qu'il est simple modéré et sensible... et qu'il y a une vraie touche de génie dans ses peintures. Rien n'y fait. Il faut dire qu'il était fort engagé dans les questions sociales et qu'il préconisait des subventions pour les artistes et des pensions pour les hommes et les femmes. Il combat aussi pour le suffrage universel. La bonne société nordique n'appréciait guère !
En 1855, Balke achète 8 âcres de terre en bordure de la ville de Chrstiania dans une banlieue agréable et y crée Kunstnerlund (Bosquet d'artistes), plus couramment connu depuis sous le nom de Balkeby (la ville de Balke). Les terrains sont loués ou vendus à des ouvriers et à des artisans, exemptés d'impôts en vertu de leur bail. Les occupants de ces parcelles pouvaient emprunter de l'argent à Balke à 5% et construire le bâtiment eux-mêmes. En 1865, il y avait 300 personnes dans Balkeby, et le quartier continuait à se développer. En 1870, Blake est élu au conseil local mais doit démissionner après des accusations (infondées) de fraude électorale. Balkeby fut l'occasion pour une population modeste d'avoir sa propre maison à une distance raisonnable de la ville, surtout après l'apparition des tramways à chevaux en 1875. En 1878, date à laquelle la zone a été intégrée dans la ville de Chrsitiania le quartier comptait environ 60 bâtiments et la population du quartier s'élevait à presque 1100 personnes. Balke avait mis en place des règles strictes pour les bâtiments, y compris pour les plus grands, afin de prévenir les incendies. Cependant, le 13 juin 1879, de nombreuses maisons de Balkeby furent détruites par les flammes. La propre maison de Balke disparait lors de cet incendie.
Sans se décourager, en 1880, il fonde avec son fils Karl, l'Association des travailleurs de l'Ouest. On l'appelle le patriarche de Balkeby, mais ce surnom cache qu'en fait il vit dans la gêne, même s'il essaie de ne pas le laisser paraître. Il ne vend absolument rien et survit en organisant des loteries d'art dont les lots sont de dessins ou en réalisant quelques portraits pour des gens aisés. Mais il continue à peindre. Et, nous le verrons, cette période de Balkeby, est sans doute la plus créative de sa vie d'artiste. Mais usé par toutes ces épreuves, en 1883, il subit une attaque, et, suite de la disparation de sa maison, fortement hypothéquée, il est mis en banqueroute. Il meurt en février 1887, salué comme citoyen de mérite mais totalement oublié comme artiste. Pourtant il a peint jusqu'à la fin de sa vie, et nous verrons que durant ces années sombres son style évoluera encore.
(1) Sur ces 33 esquisses (tableaux à l'huile sur carton), 26 sont encore conservées au Louvre et 7 sont perdues. 2 tableaux achevés de l'artiste représentant également des sites nordiques, et sans doute en rapport avec cette commande, sont déposés au musée du Tréport depuis 1896
Balkeby (1860-1870)
Comme tant d'autres qui avaient perdu leur résidence dans Balbeby, Peder Blake après l'incendie. Sur cette photo, la famille Balke, avec les nouveaux logements dans le fond. On essaye de réparer les bâitments brûlés mais cela ne put se faire à cause de problèmes techniques. Le quartier fut donc déplacé et reconstruit plus loin.
Sans se décourager, en 1880, il fonde avec son fils Karl, l'Association des travailleurs de l'Ouest. On l'appelle le patriarche de Balkeby, mais ce surnom cache qu'en fait il vit dans la gêne, même s'il essaie de ne pas le laisser paraître. Il ne vend absolument rien et survit en organisant des loteries d'art dont les lots sont de dessins ou en réalisant quelques portraits pour des gens aisés. Mais il continue à peindre. Et, nous le verrons, cette période de Balkeby, est sans doute la plus créative de sa vie d'artiste. Mais usé par toutes ces épreuves, en 1883, il subit une attaque, et, suite de la disparation de sa maison, fortement hypothéquée, il est mis en banqueroute. Il meurt en février 1887, salué comme citoyen de mérite mais totalement oublié comme artiste. Pourtant il a peint jusqu'à la fin de sa vie, et nous verrons que durant ces années sombres son style évoluera encore.
A suivre : l'oeuvre peint de Peder Balke
-----------------(1) Sur ces 33 esquisses (tableaux à l'huile sur carton), 26 sont encore conservées au Louvre et 7 sont perdues. 2 tableaux achevés de l'artiste représentant également des sites nordiques, et sans doute en rapport avec cette commande, sont déposés au musée du Tréport depuis 1896