Et oui, le message est dores et déjà, vrai, tenez-vous le pour acquis ! L'ami lyonnais va encore me demander si j'ai digéré de travers, ou quel mauvais vent me titille. Mais me voilà de nouveau en train de piquer une rogne monumentale, et, je l'avoue, toujours un peu pour la même raison : l'invasion de mon espace privé, l'intrusion dans mes plate-bandes, l'ingérence dans ma ordinateur. Au motif, toujours, très louable et ô combien apprécié (me dit-on) de nos semblables, de m'aider. Cette fois-ci c'est sous forme d'une jolie récompense, en forme de points et autres avantages ni sonnants ni trébuchants mais réputés indispensables, que l'affaire s'est matérialisée. L'autre soir, j'ai dû changer mes cartouches d'encre. Et voilà que le lendemain matin, en relançant mon ordi, s'ouvre tout benoitement ce message :
Et me voilà partie au quart de tour, "Mais qu'ils me lâchent les baskets les fâcheux, je fais ce que je veux et on n'a pas à me féliciter et à me récompenser... s'ils continuent je mets des cartouches low cost, moi !! Un bonus, non mais ... n'importe quoi". Quand je vois que les hypocrites affirment qu'ils protègent la confidentialité, je t'en fiche ! Ils m'espionnent pour savoir ce que j'utilise comme marque de cartouches et ils osent parler de respect de la vie privé. Les parasites !!
Les fourbes, ils ne collectent de données sur votre ordi que pour vous donner des points, ben voyons, voire pour empêcher les autres utilisateurs d’accéder à vos récompenses ! Mais de quoi je me mêle ??? Bande de tartufes, pharisiens de bas étage ...
... et comme j'ai choisi de refuser que vous stockiez mes données, privée de Bonus. Mais je suis contente moi, que vous gardiez vos primes à la petite semaine, je n'ai rien à faire du cadeau Bonux !! Qu'on me laisse mener mon imprimante comme je l'entends et décider seule de la marque de mes cartouches, sans me pister, sans me traquer, sans m'espincher par-dessous le clavier !!
Et pourtant ... mes colères, aussi redondantes qu'inutiles, sont un peu comme un combat de dernière garde. Durant que j'effectuais autour de mon ordi ma danse de Sioux en criant "Mort aux Judas et aux traitres qui trifouillent dans "mes" affaires", Alter était en train de se régaler d'un article dont il ne put s'empêcher, histoire de calmer cette ire redondante, de me claironner le titre "La vie privée est une anomalie". Au motif que le postier d'autrefois connaissait tous les expéditeurs des lettres reçues dans le village et la teneur de toutes les confidences téléphoniques et que l'intimité serait une notion essentiellement urbaine et post-industrielle, on veut nous faire accroire que l'anonymat ne serait plus compatible avec nos sociétés modernes. Et c'est pour notre plus grand bien que Google nous espionne. D'ailleurs si pour le moment il essaie (encore un peu) de ne pas franchir certains limites toujours jugées taboues, ce n'est nullement par respect mais simplement pour éviter de trop nous braquer. Le maître mot, pour notre plus grand bonheur, c'est la personnalisation. « Une idée serait que de plus en plus de recherches soient effectuées en votre nom, sans que vous ayez à les taper. Je pense véritablement que la plupart des gens ne souhaitent pas que Google réponde à leurs questions. Ils veulent que Google leur dise quelle est la prochaine action qu’ils devraient faire.»
D'ailleurs, ces espèces de revendications farfelues du type de celles que votre Michelaise égrène comme autant d'incantations inutiles, prétendant faire ce qu'elle veut et pas ce que décide la machine, c'est louche : l'anonymat cache toujours quelque chose de pas très net, et, de ce fait, il est dangereux. Idéal pour cacher les actions malfaisantes. « Si vous faites quelque chose que vous souhaitez que personne ne sache, peut-être devriez vous commencer par ne pas le faire.» et pan dans les dents ! Non mais ... Qui sait ce que Michelaise peut bien concocter de répréhensible à ne jamais vouloir qu'on mette son nez dans ses affaires, à pester dès qu'on tente de l'aider et de résoudre à sa place toutes les difficultés. Comment, elle veut des aspérités ? Qui sait si Google ne va pas bientôt lui recommander un bon psy, elle semble en avoir diablement besoin. A-t-on idée de s'insurger contre un « futur où vous n’oublirez rien. Dans ce futur nouveau, vous ne serez jamais perdu. Nous connaîtrons votre position au mètre près et bientôt au centimètre près. Vous ne serez jamais seul, vous ne vous ennuierez jamais, les idées ne viendront jamais à vous manquer. » Quel monde paradisiaque...
Allons Michelaise, cesse de radoter, débranche ton ordi et va élever des chèvres sur le Larzac, c'est bien de ton âge va... Que nenni, vous croyez qu'on peut s'en sortir aussi simplement ?? "L’avenir selon Google : si vous n’êtes pas connecté, vous êtes suspect", ben voyons !! Il ne manquait plus que cela. C'est l'apocalypse ! « The New Digital Age » - Eric Schmidt, 56 ans, pendant dix ans le PDG de Google et depuis deux ans son président exécutif et Jared Cohen, de 25 ans son cadet, un jeune premier intellectuel passé de la diplomatie auprès de Hillary Clinton à la tête de Google Ideas, le think tank du géant américain - annonce la fin de la vie privée et de l’anonymat à l’ère numérique, avec l’apparition de « la première génération d’êtres humains à avoir un dossier indélébile ». Les débats qui nous ont fort agités à propos de Fessedebouc et de la protection des données sont carrément dépassés : il va nous falloir assumer des « profils officiels » vérifiés pour avoir un accès complet aux données internet. Il nous faut (presque) dores et déjà accepter que toute notre (petite) histoire soit stockée dans un « cloud » et donc susceptible d’être vue par tous ceux qui disposent du savoir-faire suffisant. Mais surtout, le refus de se plier à cette ère du tout-connecté sera suspect aux yeux des autorités, tous régimes confondus : « Un gouvernement pourra suspecter que les personnes qui choisiront de rester totalement à l’extérieur ont quelque chose à cacher et sont donc plus susceptibles de violer la loi. Les gouvernements, par précaution antiterroriste, pourront faire un fichier des “gens cachés”. [...] Vous pourrez même être soumis à des nouvelles règles strictes incluant des contrôles plus rigoureux dans les aéroports et même des restrictions de voyage.» Nos données, déjà collectées à des fins commerciales, le sont aussi, et de plus en plus, à des fins judiciaires.
Et ne dites pas « Peu importe que Facebook ou Google connaissent mes goûts musicaux ou mes opinions ! » « Je n’ai rien à me reprocher. » car le problème va beaucoup plus loin. Elle atteint de proportions illimitées : identité, goûts, opinions, croyances, géolocalisation…, elle est peu régulée et le fichage constant des citoyens met en péril la présomption d’innocence. Vous êtes, à votre insu, profilé ou, du moins, profilable en permanence. C'est plus encore le rapprochement de données, a priori cloisonnées - vos goûts, le lieu où vous êtes, vos déplacements, vos opinions, vos pratiques - qui permet de créer un profil de plus en plus précis de vous. On détecte, avec une marge d'erreur négligeable, vos tendances politiques et religieuses, vos relations, vos achats, vos occupations, mais aussi vos déplacements (virtuels et physiques), vos horaires ou vos modes de transport. Et tout cela au nom, vous allez rire, de la confidentialité ! Mais oui, c'est à ce titre que les données personnelles collectées par les différents services de Google seront désormais réunies en une seule base de données.Et dès lors, on ne fonctionne plus que sur des voeux pieux : une fois un fichier mis en place, il ne reste plus qu’à espérer qu’il ne serve jamais à autre chose que le but initial pour lequel il a été conçu. Il suffit de prétendre instaurer un fichier des « gens honnêtes », et le tour est joué. Car on clame de plus en plus que « Les comportements que l’on veut cacher sont forcément des comportements malsains. Les gens honnêtes n’ont pas à avoir peur de la surveillance. »
Et le paradoxe est que cette récupération massive des données n’est pas réalisée de manière autoritaire. Les internautes participent joyeusement sur les réseaux sociaux au décloisonnement de leurs informations personnelles et à leur collecte. Faut-il pour autant abandonner le combat de la protection de la vie privée au motif que nous l'avons bien cherché et construit nous-même les bâtons pour nous battre ? Car comment accepter par exemple que Facebook conserve tous les messages privés et tous les e-mails ? Il y a déjà plusieurs mois, un utilisateur de Facebook a demandé à l’entreprise de lui communiquer toutes les données qu’elle avait conservées sur lui, en vertu de la directive de l’Union européenne à ce sujet. Le résultat est frappant : le fichier PDF rendu contient une quantité astronomique d’informations, dont l’ensemble des messages privés envoyés et reçus, supprimés ou non par l’utilisateur. Les conversations sur Skype ne sont pas mieux protégées et tout cela est aisément consultable grâce aux outils d’espionnage adéquats.
Conclus Michelaise, tu nous assommes avec ta science-fiction de bas étage ! Je lisais en 1978, un peu étonnée et pas franchement inquiète, comme tous ceux de ma génération, les attendus qui me semblaient un peu délirants et vaguement paranoïaques de la loi Informatique et Libertés (au pluriel, oui, oui !!) : les législateurs n'avaient alors pour ambition que de reconnaître de nouveaux droits aux citoyens à l'égard des grands systèmes centralisés d'information, dont les administrations commençaient à se doter. Mais pas plus eux que moi ne pouvions imaginer le développement d'Internet et ses débordements actuels, tsunami qui engloutit tous nos repères et fait de nous des proies idéales, quelle que soit notre vigilance, toujours prise en défaut par l'imagination de ceux qui inventent plus vite que leur ombre de nouveaux moyens de nous prouver que la vie privée n'a plus de sens. Et que, j'en suis désolée, ce n'est même plus une option.