C'est la fin de ma journée de cours, je rejoins ma petite auto sur le parking boueux du lycée, une espèce de bourbier calcaire où tout essai de porter des escarpins se solde par une foulure de cheville. Devant moi des jeunes sautent, et crient, très excités. L'un d'entre eux tient à la main ce petit jeu bien démodé auquel nous jouions étant gosses : une cocotte à laquelle on fait faire quelques révérences avant de proposer au choix d'un tiers son intérieur, et d'ouvrir, d'un air mystérieux, le volet correspondant. Apparaît alors un message qui peut être d'inspiration diverse : citation, gage, récompense, pensée profonde, plaisanterie, bref, votre cocotte est ce que vous décidez d'en faire.
Il existe même des cocottes de ramadan !!
Je me dis "tiens, ils sont mignons ces galapiats, de jouer ainsi à des jeux de mômes". Celui qui tient la cocotte bondit, gambade et s'amuse follement. Il crie à un copain "tu veux jouer, dis, tu veux jouer ?". L'autre propose un chiffre, le détenteur de la cocotte fait galoper sa petite pyramide, s'arrête, ouvre la couleur choisie par le premier et se met à hurler "Enc... tu as trop d'chance, oh quel enc...". Et voilà, Michelaise qui retombe brutalement sur terre. Scotchée derrière son volant, votre servante prend un air hagard et se répète au moins trois ou quatre fois "Mais pourquoi enc... ? Pour quelle raison le traite-t-il d'enc...". Perplexe et déçue de voir l'enfance se dissoudre dans l'adolescence, avec ce qu'elle a de plus bravache et inutilement provocatrice, Michelaise démarre et regagne ses pénates en écoutant France Inter.
Sur la route du retour, elle laisse en bruit de fond l'émission assez drôle de Charline Vanhoenacker et Guillaume Meurice, Si tu écoutes, j'annule tout. L'invité du jour est Babouse, le dessinateur de L'Humanité qui collabore aussi à Charlie Hebdo. Et là, c'est un festival d'enc..., de b... dans l'c..., j'en passe et de plus illustrées. Au point qu'un des journalistes finit par demander à l'invité s'il est toujours aussi scatologique dans ses propos (ses dessins sont pourtant plutôt softs !). Michelaise, qui en a son comptant pour la journée d'images salaces teintées de relents injurieux, éteint la radio et se promet d'en faire un billet. Pour tenter d'éclaircir ce qui nous vaut cet étalage de termes crus et, finalement, presque violents.
La voici donc sur son moteur de recherche préféré, cherchant sur la toile quelques informations sur cette tendance fort bien portée dans les cours de lycée. Et voilà que le premier site sur lequel elle tombe lui propose le livre d'un agrégé de lettres, Gros mots, petit dictionnaire des noms d'oiseaux. Gilles Guilleron y propose 300 gros mots, injures et autres goujateries pour parsemer vos colères de touches originales et insulter votre prochain dignement ! Ou au moins, en sachant ce que signifie ce que vous avancez ! On y apprend ceci :
Il faut vous dire que Michelaise a une prédilection pour les injures en registre soutenu, avec leur petit air désuet et leur sens parfois à la limite du compréhensible. Elle préfère traiter ceux qu'elle veut assaisonner de fesse-Mathieu, blanc-bec et autre coquin, faquin, gredin, polisson, pleutre, bellâtre - super celui-là, avec son â - infâme ou scélérat ! Quand elle est gentille, elle vous qualifie de galopin, de zazou, de croque-lardon, ou, pourquoi pas, de fat ! Finalement, cela a tout de même plus de saveur qu'enc... qu'on trouve à toutes les sauces et parfois hors de propos.
Accompagné de "de ta race", éventuellement précédé de "p..." pour donner "p... d'enc... de ta race maudite", il frise l'apostrophe raciale et peut vous valoir la prison. La 17e chambre du Tribunal correctionnel de Paris eut à en juger en 2005 et, décidant que l'injure n'était pas raciste intrinsèquement, relaxa le prévenu. Ce qui est amusant, ce sont ses attendus ! Elle releva d'abord le caractère commun de l'expression : « assez largement répandue dans certains milieux, notamment chez beaucoup de jeunes gens, quels que soient leur « origine » ou leur sentiment d'appartenance». Puis se livra à son analyse sémantique : « Exprimant généralement un violent dépit mêlé d'une incoercible colère, elle est indifféremment utilisée sous forme d'interjection — la présence d'un tiers n'est pas indispensable — ou d'insulte particulièrement blessante, l'origine du tiers victime n'étant alors nullement déterminante. […] Comme d'autres insultes de la même veine, désormais devenues courantes — sinon communes — telles que « ta race », « fils de ta race », « putain de ta race », « je sodomise ta race », « va niquer ta race », « la putain de sa/ta race », « j'ai niqué ton chien », l'expression poursuivie ne stigmatise pas l'origine particulière ou identitaire réelle ou supposée de l'autre en le renvoyant à la race imaginaire de tous ceux que le locuteur entend, à cet instant, distinguer de lui. […] En renvoyant son interlocuteur à une race — mot à très forte charge émotionnelle et unanimement proscrit — non autrement qualifiée, ni précisée, le propos se veut performatif, faisant naître sur l'instant la race métaphorique et indistincte des gêneurs et des fâcheux à maudire. ». Pas de doute les juges se sont sacrément documenté, et se sont donné beaucoup de mal pour comprendre l'apostrophe. Le tribunal finit par une analyse contextuelle, faisant observer que « les propos comprenant « ta race » sont fréquemment utilisés entre personnes de même origine, que ce soit dans le « spectacle de rue » ou dans les œuvres de fiction ».
Et, quitte à se cultiver, Michelaise qui est originaire du Sud-Ouest où l'on use et abuse d'un terme que le savant magister propose de traduire en langage soutenu par "essai de la nature", en profite pour se documenter plus avant !
Accompagné de "de ta race", éventuellement précédé de "p..." pour donner "p... d'enc... de ta race maudite", il frise l'apostrophe raciale et peut vous valoir la prison. La 17e chambre du Tribunal correctionnel de Paris eut à en juger en 2005 et, décidant que l'injure n'était pas raciste intrinsèquement, relaxa le prévenu. Ce qui est amusant, ce sont ses attendus ! Elle releva d'abord le caractère commun de l'expression : « assez largement répandue dans certains milieux, notamment chez beaucoup de jeunes gens, quels que soient leur « origine » ou leur sentiment d'appartenance». Puis se livra à son analyse sémantique : « Exprimant généralement un violent dépit mêlé d'une incoercible colère, elle est indifféremment utilisée sous forme d'interjection — la présence d'un tiers n'est pas indispensable — ou d'insulte particulièrement blessante, l'origine du tiers victime n'étant alors nullement déterminante. […] Comme d'autres insultes de la même veine, désormais devenues courantes — sinon communes — telles que « ta race », « fils de ta race », « putain de ta race », « je sodomise ta race », « va niquer ta race », « la putain de sa/ta race », « j'ai niqué ton chien », l'expression poursuivie ne stigmatise pas l'origine particulière ou identitaire réelle ou supposée de l'autre en le renvoyant à la race imaginaire de tous ceux que le locuteur entend, à cet instant, distinguer de lui. […] En renvoyant son interlocuteur à une race — mot à très forte charge émotionnelle et unanimement proscrit — non autrement qualifiée, ni précisée, le propos se veut performatif, faisant naître sur l'instant la race métaphorique et indistincte des gêneurs et des fâcheux à maudire. ». Pas de doute les juges se sont sacrément documenté, et se sont donné beaucoup de mal pour comprendre l'apostrophe. Le tribunal finit par une analyse contextuelle, faisant observer que « les propos comprenant « ta race » sont fréquemment utilisés entre personnes de même origine, que ce soit dans le « spectacle de rue » ou dans les œuvres de fiction ».
On le sait, quoiqu'injurieux, le terme est (presque) passé dans le langage courant. Les jeunes, qui en usent et en abusent, l'utilisent comme un jeu oratoire, une sorte de mise en scène, une joute entre copains. C'est un code de reconnaissance plus qu'une véritable insulte. Le ludique est plus important que le dessein de nuire ou de blesser. Il n'empêche que, malgré toutes ces arguties et autres façon de couper les cheveux en quatre, Michelaise reste fidèle à elle-même et trouve beaucoup plus drôle, car finalement moins banal, de maugréer "vieille baderne, tête de pioche, babouin ou ... plus simplement "analphabète" quand elle est aux prises avec l'aridité des rapports humains.