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ESPRIT DU PIANO BORDEAUX 2013

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Esprit du Piano fête cette année son 4ème anniversaire et, cela se pratique de plus en plus couramment, s'est pour la première fois délocalisé en Chine en mai dernier, pour sa première édition étrangère. Le programme en est, comme toujours, ambitieux, mêlant artistes consacrés et jeunes talents, teinté d'un zeste de provocation avec l'invitation d'Abd Al Malik, pour une création mondiale : Pulsation et Résonances des Blocs : "le recueil de poèmes imaginaires d’une jeunesse française que je souhaiterais vous lire d’une seule traite, accompagné d’un piano seul. Comme une existence qui se vivrait et se raconterait simultanément".

Parmi les grands événements de cette mouture, la venue de la grande Leonskaja était incontournable. Elle se produit en de très rares occasions et Alter rêvait vraiment d'aller l'entendre, d'autant que son programme qualifié de "programme-portrait" décrit à merveille son univers pianistique. Après les Valses nobles et sentimentales de Ravel qui, nous dit-on, rendent explicitement hommage à Schubert dont la sonate D959 constituait le point d'orgue de cette soirée, une pièce d'Enesco, pas forcément folichonne mais rappelant fort à propos qu'elle commença sa carrière en remportant le prix Enesco et trois préludes de Debussy : un univers savant et superbe, étalé sur une petite centaine d'années, et insistant sur les liens secrets qui tissent une toile diaprée entre les compositeurs. 


Madame Leonskaja n'a plus rien à démontrer, elle peut donc laisser les démonstrations tonitruantes de virtuosité à d'autres et, simplement, jouer pour nous avec une passion, une intelligence et une sensibilité toutes dévouées à la partition. Elle fait jaillir du piano des mélodies d'un lyrisme absolu, déclinant pour nous une palette de sonorités entièrement réinventée. C'est subtil, immensément élégant, et d'une clarté parfaite. A la fin du concert on se demande bien pourquoi on a décidé de rester pour le concert du lendemain, c'est risqué de se prendre un vol plané fort décevant. Quand on entendu Madame Leonskaja, on se dit qu'il va être difficile d'entendre autre chose.


Mais c'est sans compter sur la personnalité de chacun et le concert du lendemain, l'intégrale du Clavier bien tempéré par Pietro de Maria, est un autre moment unique, magique, irremplaçable, quoique fort différent. L'étonnement commence avec la sonorité du piano :
- Qu'est-ce qu'il a fabriqué sur le piano Gérard, à ton avis ?? Tu crois qu'il a fait comme pour le concert d'Alexandre Tharaud à l'île de Ré ??


Le responsable du clavier, consulté, s'émerveille qu'on ait entendu sa modification (c'est bien la moindre des choses : il y a passé 2h30 le matin même, et va devoir refaire un accord à peu près aussi long pour rendre le piano "romantique" pour le lendemain) et part dans une explication technique savante (il croit que, parce qu'on a entendu la différence, on va comprendre) à base de hertz, de commas et autres schismas auxquels je n'entrave goutte malgré mon air passionné. L'idée est qu'il a fabriqué pour Pietro de Maria un "clavier absolument tempéré", parfaitement égal, et, de ce fait, très légèrement resserré par rapport au clavier de la veille, plus "séduisant", plus ouvert.

Le résultat est un Bach d'une lisibilité époustouflante, servi par un pianiste lumineux. Immensément concentré : l'attitude des pianistes avant le début du concert est, à cet égard, très amusante à observer. Autant Madame Leonskaja fonce sur le piano, s’installe avec fermeté et attaque avec une vigueur gourmande et déterminée (on l'a surnommé "la Lionne du clavier" et elle en a l'énergie, sans l'once d'une hésitation), autant le jeune vénitien a besoin de tout un rituel pour "entrer en musique". Il a demandé le "noir salle" (hier, nous étions en pleine lumière et cela ne gênait en rien l'artiste), il monte et descend son tabouret, caresse son clavier, réfléchit longuement, les mains calmement posées sur les touches avant de se lancer. Et là, il vous joue Bach de telle façon qu'on a l'impression que cette musique est régénérante : comme une musique des origines, comme si l'avenir s'annonçait désormais limpide et radieux. Quand on entend Bach joué de cette façon, on a l'impression que tout devient possible, que le monde vous appartient : c'est évident, accompli et parfait. Quelque chose qui ressemble à du bonheur à l'état pur. 

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