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L'ÉVOLUTION DU GOÛT : BÉCASSES AUX PLEUROTES

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Les apprêts d'un festin

Il y a, en ce moment, des travaux à la maison et nous avons pour les faire une petite équipe d'artisans, jeunes, charmants, serviables ... et chasseurs. Vous connaissez déjà, si vous êtes des lecteurs assidus de ce blog, l'un d'entre eux, "mon" peintre, qui est le poète toutes catégories de la poésie de l'affût et qui plus est un traqueur hors pair de bécasses. Il est l'autre jour arrivé avec un tableau de chasse que je n'ai pas photographié mais qui aurait valu le cliché : un faisan, trois bécasses et une petite sarcelle. Il chasse mais n'aime pas manger son gibier et en fait profiter les heureux mortels que nous sommes. Ses copains, l'électricien, le plombier, le carreleur ont admiré un peu jaloux ses prises, remarqué en riant qu'il les avait soigneusement baguées, et ont révélé tour à tour leur tableau du week-end, qui trois bécasses aussi, qui rien du tout ! Tous ont en commun que finalement, ce qui leur fait briller les yeux ce n'est pas le plat qui en résulte mais l'émotion de la prise, le cœur qui bat la chamade quand les chiens se mettent à l'arrêt et l'angoisse de rater la bête et de décevoir leurs fidèles compagnons. Savez-vous de quoi ils rêvent tous ? D'une petite caméra à fixer sur leur front ou au collier des chiens pour garder souvenir de ces moments intenses où tout se joue et s'accomplit, dans la fraîcheur grisante du petit matin. Car souvent, ils vont faire un tour à la chasse avant d'entamer leur journée, c'est leur mise en jambes !

Plumes du peintre

Ce sont de tous jeunes quadragénaires, nourris de mets sans doute trop aseptisés pour leur faire apprécier, comme nous, les saveurs relevées du gibier faisandé, des cuissons mijotées et des fumets corsés. Ils ne semblent pas vraiment passionnés par nos recettes et nous laissent bien volontiers le produit de leur chasse pour en faire nos agapes post-festives. C'est l'électricien qui nous a remontré, pour la troisième (et dernière fois, Alter a juré qu'il saurait désormais les trouver seul), comment trouver dans le plumage mordoré les précieuses plumes du peintre qui sont recherchées, nous dit-on, par les aquarellistes, et que les chasseurs parfois collectionnent en guise de trophée.

Le pain toasté placé sous la bécasse, tartiné dans un premier temps de foie gras, puis du mélange de déglaçage de cuisson.

Si vous saviez quel festin nous ont valu les bécasses dégustées religieusement à leur santé. Inutile d'en redire la recette, celle mon ami Marc, grand amateur de ces petits oiseaux devant l'Éternel : elle est là et je n'ai pas même eu besoin de la relire tant elle simple, évidente et savoureuse. J'ai simplement, en plus, tartiné les toasts de présentation de la bête de fois gras, en lieu et place du beurre salé préconisé par Marc, et rajouté aussi quelques copeaux de fois lors du déglaçage de la marmite, pour le plus grand bien de la préparation aux entrailles dont on tartine le pain placé sous la bécasse pour le service.


Nos oiseaux étaient, cette fois-ci, accompagnés de pleurotes. Maison ... si, si !! La pleurote était le cadeau tendance cette année, et les nôtres ont été précédées d'une anecdote qui mérite le récit, dans l'esprit des contes d'un auteur bien connu (1). Alter, qui s'en remet volontiers à moi pour toutes les opérations cadeaux des fêtes de fin d'année, aime bien cependant avoir une ou deux idées personnelles pour ses filles et, durant le mois de décembre, un jour, il me parla d'un produit marrant qu'il avait envie d'offrir à Koka : un kit de pleurotes en prêt à pousser. J'approuvai vivement et lui laissais le soin de concrétiser son idée. Or, alors que nous étions fin décembre, en train de faire la queue au musée Jacquemard-André, je surpris la conversation de deux dames très démonstratives, qui évoquaient leurs trouvailles en matière d'idées cadeaux. Et l'une, toute fière, expliquait à l'autre qu'elle avait trouvé un truc super, des pleurotes en prêt à pousser. Je pris alors Alter à part (nous étions avec Koka) pour lui demander s'il avait bien reçu les siennes, n'ayant pas souvenir de les avoir emballées. Sa mine s'allongea et il m'avoua, déçu, qu'il avait "zappé" : d'une page internet à l'autre, il avait carrément oublié de passer sa commande. Dommage, mais l'idée restait bonne, il lui en offrirait l'an prochain ! Quelques instants plus tard, je reçus un sms "Mais moi, je n'ai pas oublié ;-)"... la missive venait de Koka, à qui nos conciliabules n'avaient point échappé, et qui avait prévu très exactement le même cadeau pour son papa. Je vous laisse imaginer note fou rire ce jour-là, au grand dam des deux parisiennes qui nous trouvèrent fort inconvenantes, et la tête étonnée et ravie du sus-dit papa quand il ouvrit son présent le jour de Noël !

Champignons des temps modernes

Tout content, quoiqu'un peu contrit, il n'eut de cesse au retour que de mettre "ses" champignons en culture, suivant avec une précision admirable mode d'emploi et instructions. Et la récolte s'annonçant sympathique, il fut décidé que les pleurotes accompagneraient fort à propos nos superbes bécasses.


Ainsi fut fait : escorté par un Château Carbonnieux tout à fait digne de l'événement, le festin n'avait plus qu'à être dégusté. Sans serviette sur la tête pour en emprisonner les arômes comme le préconise Brillat-Savarin pour les ortolans, mais en goûtant, comme il le dit joliment "un plaisir inconnu du vulgaire". Le dîner s'est achevé dans la joie, par une pensée émue pour le peintre et ses trois chiens, les congratulations réciproques au caviste et à la cuisinière, et une profonde méditation sur les bienfaits et les justesses de la Création devant une belle flambée, digne de notre auteur normand. 

Article dédié à Koka
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(1) Extrait de l'introduction des Contes de la Bécasse du Maupassant :
Mais il existait dans la maison une vieille coutume, appelée le « conte de la Bécasse ». Au moment du passage de cette reine des gibiers, la même cérémonie recommençait à chaque dîner. Comme il adorait l’incomparable oiseau, on en mangeait tous les soirs un par convive ; mais on avait soin de laisser dans un plat toutes les têtes.
Alors le baron, officiant comme un évêque, se faisait apporter sur une assiette un peu de graisse, oignait avec soin les têtes précieuses en les tenant par le bout de la mince aiguille qui leur sert de bec. Une chandelle allumée était posée près de lui, et tout le monde se taisait, dans l’anxiété de l’attente. Puis il saisissait un des crânes ainsi préparés, le fixait sur une épingle, piquait l’épingle sur un bouchon, maintenait le tout en équilibre au moyen de petits bâtons croisés comme des balanciers, et plantait délicatement cet appareil sur un goulot de bouteille en manière de tourniquet. Tous les convives comptaient ensemble, d’une voix forte : – Une, – deux, – trois.
Et le baron, d’un coup de doigt, faisait vivement pivoter ce joujou. Celui des invités que désignait, en s’arrêtant, le long bec pointu devenait maître de toutes les têtes, régal exquis qui faisait loucher ses voisins. Il les prenait une à une et les faisait griller sur la chandelle. La graisse crépitait, la peau rissolée fumait, et l’élu du hasard croquait le crâne suiffé en le tenant par le nez et en poussant des exclamations de plaisir. Et chaque fois les dîneurs, levant leurs verres, buvaient à sa santé. Puis, quand il avait achevé le dernier, il devait, sur l’ordre du baron, conter une histoire pour indemniser les déshérités.

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