En des temps pas si lointains, il était de bon ton, au moment des fêtes de fin d'année, de se livrer à un exercice obligé, mais finalement salutaire : celui de "l'envoi des vœux". On prenait sa plus belle plume, son inspiration des grands jours, on achetait une collection de jolies cartes oscillant entre une banalité de circonstance quant à la formule, et une originalité de bon aloi quant au décor, et, vogue la galère. Il ne restait plus qu'à, carnet d'adresses d'une main, brouillon avec trame de l'autre, rédiger une cinquantaine ou une centaine de cartes, allant de la plus insignifiante, pour les simples "connaissances", à la plus personnalisée, pour les personnes chères. On soignait particulièrement ceux qu'on aime beaucoup mais que le temps, la vie et les trépidations outrancières de la machine nous empêchent de voir souvent. Occasion idéale pour souhaiter, du fond du cœur et pour la dixième année consécutive, que, promis, cette nouvelle année serait, entre autres bonnes résolutions, celle de nos retrouvailles.
Le pensum, vilipendé par certains qui en critiquaient le côté convenu et les formules rebattues, avait pourtant le mérite de permettre un tri, parfois douloureux, des noms contenus dans les carnets d'adresses. On en barrait certains d'un trait hésitant, petite larme au coin de l’œil, pour les amis disparus, d'autres d'un trait rageur, pour ceux avec lesquels on s'était fâché dans l'année écoulée. On accumulait enfin des points d'interrogation de plus en plus nombreux en face de ceux qui, malgré nos invites annuelles, ne donnaient plus signe de vie depuis des années. Maintenant, le carnet d'adresses est obsolète : on stocke tout cela dans nos répertoires téléphoniques, tablettes et autres fournisseurs d'email. C'est ainsi que le jour où quelqu'un décède, ses amis ne sont même plus prévenus car la famille n'a pas trouvé le précieux petit calepin, aux pages à demi arrachées, aux coins cornés et bourré de surcharges illisibles qui permettait d'envoyer à tout ce petit monde l'annonce du départ d'un ami. On apprend les décès quelques mois plus tard, par la bande ou pire, par fessebouc, où il est de bon ton de s'émouvoir sur la disparition de gens qu'on ne connait ni d’Ève ni d'Adam mais auxquels certains de vos "contacts", engrangés de façon compulsive pour en avoir la plus grande liste possible, rendent un hommage ému. Chacun y va alors de sa compassion complaisante, histoire de s'émouvoir avec l'autre, pour ne pas être en reste.
Si vous ne savez pas quoi faire des cartes que, malgré mon article défaitiste, vous avez reçues, pourquoi pas le hérisson livre pour les présenter ? Idée Amomarqueterie
Mais les cartes de vœux avaient d'autres mérites. Elles maintenaient, fut-il distendu, fut-il de circonstance, un certain lien social, à l'ancienne mode. Le nouveau lien social, on le sait, ce sont les réseaux, et autres agitations internautiques qui permettent de tisser des relations, passées de convenues à virtuelles... ce qui ne vaut pas nécessairement mieux. Et l'on y va, de forum en plateforme d'échanges, de twitter en emails collectifs, en passant éventuellement par les envois presque traditionnels de cartes postales électroniques : les vœux s'envoient à la pelle, la "machine" balance automatiquement votre formule, piquée sur un site supposé fournir inspiration et formules originales, sur tout votre nouveau carnet d'adresses, celui de votre boîte électronique où tout est mélangé. C'est ainsi qu'en cette saison, on reçoit des vœux de gens qu'on ne connait pas mais auxquels, pour une raison ou une autre, on a envoyé un mail il y a 5 ou 6 ans. En lieu et place des cartes aux couleurs éclatantes, aux motifs désuets et paillettes pétillantes qu'on décachetait, lisait, commentait, avant de les placer, debout sur la tranche, sur une cheminée ou alignées comme à la parade sur un buffet vite encombré. Cette hétéroclite petite parade complétait la décoration de Noël, et voisinait parfois avec la crèche, qu'on faisait encore sans crainte du qu'en dira-t-on, dans un coin du séjour.
La dernière vertu de ces missives démodées était qu'on le gardait : ainsi, 30 ans ou 50 ans plus tard, on pouvait les relire, un jour de vague à l'âme ou d'opération rangement, l'oeil humide - "ah oui, untel, tu te rappelles, on a fait les 400 coups ensemble" - et la mémoire parfois défaillante - "machin, machin, mais qui cela peut-il bien être". On les glissait en vrac, janvier éteint et guirlandes rangées, dans une boîte à chaussures d'où elles viennent, encore parfois, nous lancer quelques clins d’œils complices.
Les temps ont changé et nos salons sont vierges de toutes ces manifestations tranquilles d'amitié, épisodique certes, mais fidèle. En revanche, nos portables regorgent de sms qu'il faudra effacer bientôt pour cause de saturation octéique ou qu'on perdra à la prochaine carte SIM fusillée. Nos boîtes email demandent un tri drastique, pour extraire du flot envahissant de "Meilleurs vœux" les seuls qui ne soient pas commerciaux, et nos langues n'ont plus à lécher, en protestant que c'est bien trop mauvais, une centaine de timbres au goût répugnant.
Loin de moi l'idée de faire du passéisme, les mœurs évoluent et c'est ainsi que doit aller le monde. Pourtant, soumise moi aussi au nouveau diktat technologique, et envoyant vœux ou souhaits d'anniversaire selon ces méthodes virtuelles qui sont devenues notre quotidien, il m'arrive de me donner du mal, de chercher une formule adéquate, une expression personnalisée, une rédaction individualisée, voire affectueuse ou sentie. Et je ne peux alors m'empêcher de penser "à quoi bon ?? cela va disparaître dans le flot continu des "nouveaux messages", voire partir directement à la corbeille, confondu avec une publicité"... J'ai une petite attaque de nostalgie en me disant que mes mots, soigneusement choisis, difficilement équilibrés et consciencieusement pensés n'ont aucune substance matérielle et sont voués à l'oubli immédiat.
Je sais, les méthodes modernes permettent des choses superbes, comme cet étonnant petit film qui m'est allé droit au cœur, envoyé par une amie invitée au réveillon michelais et qui travaillait très tôt le lendemain matin. On y voit, en un généreux panoramique, le soleil qui se lève sur une campagne givrée, aux allures fragiles de coffre de cristal, et elle nous y renouvelle, d'une voix douce, ses vœux pour que l'année 2015 soit aussi belle que ce matin d'hiver. Je sais, les boîtes email conservent très longtemps le courrier et, en matière d'archives, n'ont rien à envier à mes boîtes à chaussures d'antan. Pourtant, le mot gravé, tracé, calligraphié, qu'on relit sur du papier jauni, la carte ringarde et un peu attendrissante choisie avec soin par quelqu'ami perdu de vue ou parti vers des cieux meilleurs, me laissent un petit vague à l'âme, aggravé par le fait que tout cela est allé tellement vite qu'on a déjà l'impression, à en parler ainsi, d'être une vieille baderne !! mais je ne dois pas être la seule nostalgique du coin, à preuve, ce joli blog de lecture Books are my wonderland qui proposait, l'an dernier, un défi épistolaire consistant à s'envoyer de "vraies" cartes de vœux !!
Et, à défaut de pouvoir l'écrire à chacun d'entre vous, ...