Le seul de mes deux grands pères qui ait fait la guerre, l'autre étant trop jeune pour être enrégimenté, est Félix Moritel. Né le 17 janvier 1894, il venait à peine de commencer son service militaire qu'il s'est retrouvé mobilisé. Il ne rentra chez lui qu'en été 1919, et j'ai déjà raconté comment, pour tromper l'ennui, il s'occupait à fabriquer de petites panières en osier durant son séjour en garnison versaillais, des mois après l'armistice. Au total, 5 ans et demi de guerre, entre 20 et 25 ans, durant ce qu'il est convenu d'appeler les "plus belles années". Il en est revenu vivant, amoindri certes mais vivant, même pas infirme de guerre. Autant dire un privilégié ! Voire ??
Il était intégré au 6ème Groupe de Chasseurs Cyclistes (1). Corps indépendants placés au centre des Divisions de Cavalerie (DC), les groupes de chasseurs cyclistes travaillaient constamment avec les cavaliers. Les GCC étaient équipés de la bicyclette pliante modèle Gérard d'un poids de 13kg, un instrument de bien triste mémoire dans la famille.
Car Félix eut sacrément à souffrir de cette invention dont les concepteurs étaient très fiers : pensez, un engin que le simple soldat porte sur son dos, qui lui permet quand il le déplie d'avancer plus vite que l'ennemi, pauvre piéton démuni, un dispositif de maniement facile et qui requiert nettement moins de soin qu'un cheval. Certes ! mais ce qu'on avait oublié de préciser aux jeunes recrues qu'on équipa gaillardement de la chose, est qu'elle alourdissait singulièrement leur paquetage, déjà fort pesant.
Mais l’inconvénient principal était que la machine, une fois repliée, conservait une insupportable protubérance, la pédale. Déjà, à un rythme de marche normal et sans mouvements inconsidérés, cette dernière gênait considérablement le soldat qui la sentait frotter et battre contre son flanc. Mais sous le feu de l'ennemi, quand il s'agissait de courir voire de fuir, déjà lourdement entravé par ces 13 kgs supplémentaires, l'affaire devenait un martyr : la pédale labourait les côtes et le dos du malheureux qui aurait volontiers jeté aux orties cette innovation de malheur. Car si l'on écoutait les récits du père Félix à propos de cette horrible pédale qui lui avait démoli le dos, on se demandait s'ils avaient souvent l'occasion de s'en servir de cycle, le pauvre homme ayant surtout conservé le souvenir de ces douloureux transports de l'engin.
Car Félix eut sacrément à souffrir de cette invention dont les concepteurs étaient très fiers : pensez, un engin que le simple soldat porte sur son dos, qui lui permet quand il le déplie d'avancer plus vite que l'ennemi, pauvre piéton démuni, un dispositif de maniement facile et qui requiert nettement moins de soin qu'un cheval. Certes ! mais ce qu'on avait oublié de préciser aux jeunes recrues qu'on équipa gaillardement de la chose, est qu'elle alourdissait singulièrement leur paquetage, déjà fort pesant.
Mais l’inconvénient principal était que la machine, une fois repliée, conservait une insupportable protubérance, la pédale. Déjà, à un rythme de marche normal et sans mouvements inconsidérés, cette dernière gênait considérablement le soldat qui la sentait frotter et battre contre son flanc. Mais sous le feu de l'ennemi, quand il s'agissait de courir voire de fuir, déjà lourdement entravé par ces 13 kgs supplémentaires, l'affaire devenait un martyr : la pédale labourait les côtes et le dos du malheureux qui aurait volontiers jeté aux orties cette innovation de malheur. Car si l'on écoutait les récits du père Félix à propos de cette horrible pédale qui lui avait démoli le dos, on se demandait s'ils avaient souvent l'occasion de s'en servir de cycle, le pauvre homme ayant surtout conservé le souvenir de ces douloureux transports de l'engin.
L'homme était jeune et solide, un bon petit paysan d'origine suffisamment modeste pour ne pas s'offusquer de conditions de vie plus que sommaires. Pourtant, il en souffrit beaucoup : les repas infects, la saleté incontournable, la vermine telle que, lors de sa première permission, sa mère lui interdit l'accès de la maison et le plongea dans un baquet d'eau chaude pour le débarrasser des poux avant de l'accueillir à l'intérieur... mais aussi le froid, l’humidité, l'ennui, et surtout la peur. Celle que ces hommes simples n'ont pas eu envie de raconter au retour mais qui suintait de chacun de leurs souvenirs, accrochée à chaque image de ces années d'enfer, la peur et l'horreur aussi d'avoir vu tomber tant de proches.
L'anecdote qui résume bien cette inimaginable tranche de vie, et le sentiment d'absurdité qui devait ravager ces hommes quand, durant toute leur vie (on ne vous mettait pas entre les mains d'un psychologue pour vous aider à surmonter l'épreuve quand vous aviez subi un traumatisme en ce temps-là, et personne ne s'est préoccupé, après la guerre, des cauchemars des anciens combattants) ils évoquaient pour eux ou pour les autres, ces années extravagantes, est celle du saucisson. Je laisse à son fils, André, la parole pour nous la raconter au plus juste.
Félix, mon père, ne parlait JAMAIS de la guerre de 1914. Son ami Petrus Moreton (minotier de La Fouillouse) était beaucoup plus disert. Voici une anecdote que j’ai entendue de la bouche de Petrus Moreton (je devais avoir une douzaine d’années(2)) j’ai oublié les dates et les noms de lieux mais j’ai retenu le fond de l’histoire. Le 6eme groupe de chasseurs cyclistes reçoit la mission d’enlever une position allemande, et le 6eme attaque, baïonnette au canon, sous la mitraille. Il se trouve que Félix avait reçu la veille un colis de sa famille et il avait dans sa musette, un saucisson. Dans cette course en avant et dans le feu de l’action, Félix perd le saucisson; quand il s’en aperçoit, il fait demi tour, toujours sous la mitraille, court ramasser son saucisson et repart à l’attaque. Evidemment, 20 ans plus tard, loin du tragique de cette guerre, Petrus racontait cette anecdote en riant, mais la période n’était plus la même.
Risquer sa peau pour un saucisson, cela rend parfaitement compte de l'état d'égarement dans lequel étaient ces jeunes hommes, entre hébétude et terreur, entre fureur de survivre et fatalisme.
NOTES
en fait plus un site qu'un forum, très bien documenté, très complet
Merci à Bruno de me l’avoir indiqué
---------------NOTES
(1) A propos de l'infanterie cycliste :
"Ces groupes comprennent 2 capitaines, 1 médecin, 1 officier des détails, un état-major de 17 hommes, trois pelotons à 2 officiers et 8 sous-officiers, 121 caporaux et chasseurs et chacun divisé en 3 escouades soit au total 417 hommes. Leur rôle est de soutenir la cavalerie amie et de lui apporter des capacités de combat d'infanterie contre la cavalerie et l'infanterie adverse. Ces groupes sont utilisés lors de la bataille des frontières et la bataille de la Marne, mais leur activité s'arrête avec la guerre de mouvement. Elle reprend lors des phases de mouvement de 1916 à 1918."
Et voici, toujours d'après Wikipedia l'itinéraire belliqueux de ce groupe : c'est un peu long, mais nous lui devons bien cela, nous ses descendants, que de suivre avec lui ce chemin difficile
"1914 Le 6e GCC est envoyé du 1er au 5 août 1914 en Lorraine (Hablainville) pour surveiller la frontière. Après une escarmouche avec des hussards ennemis le 5 août 1914, il reçoit le « baptême du feu » le 9 août à Herbéviller. Il marche ensuite sur Sarrebourg (17-19 août), puis doit se replier sur Hertzing et Luneville. Le 25 août, il participe activement à la bataille de Rozelieures (combats du bois de Lalau) (voir l'article Trouée de Charmes). Ils sont ensuite envoyés le 10 septembre sur le front de la Marne et combattent à Dommartin et à Suippe, marchant et combattant jusqu'au 13 septembre sans ravitaillement. Début octobre 1914, le 6e GCC est envoyé à Hazebrouck et restera dans les Flandres jusqu'à la mi-novembre. Là, les Chasseurs marchent sur Roulers (16-20 octobre), arrivent à Paschendaele le 21 octobre et se posteront sur l'Yser (22-24 octobre).
L'ouverture des canaux par le Roi des Belges afin de ralentir l'avancée allemande les surprendra dans cette région et certains Chasseurs vont même passer une nuit entière avec de l'eau arrivant à mi-poitrine. En novembre, ils se battent à Zonnebecke. Les combats en Flandres seront extrêmement éprouvants et meurtriers pour le 6e GCC : « Il y a un mois, le groupe comptait plus de 500 chasseurs ; le 12 novembre au soir, 70 environ reviennent du combat (…) Le groupe cycliste est trop décimé pour continuer le combat (…) Le 6e GCC avait depuis le début de la guerre sept officiers tués (dont quatre commandants de groupe), trois officiers blessés et plus de 600 sous-officiers et chasseurs hors de combat (…) Beaucoup de blessés ne reviendront pas au groupe cycliste et seront versés aux 6e BCP, 27e BCP, 11e BCP et 28e BCP ».
1915 Le 6e GCC est reformé à Compiègne en janvier 1915 à l'effectif de 450 Chasseurs. Ils sont envoyés à Burnhaupt (Alsace) le 25 janvier 1915. En juillet 1915, ils vont combattre à Launois dans les Vosges. Le Groupe doit de nouveau être reconstitué en août 1915. En septembre, ils participent aux batailles de Champagne (ferme de Maffrecourt).
1916 Le 6e GCC est mis en cantonnement en Lorraine toute l'année 1916, puis en Alsace début 1917.
1917 Ils sont envoyés le 10 avril sur l'Aisne et participent à l' offensive Nivelle du Chemin des Dames (Berry-au-Bac, côte 108). Puis ils rejoignent la Champagne (Pompelle) de juin à décembre 1917.
1918 Le 6e GCC fait face à l'offensive allemande de mars 1918 lors de la bataille d'Avricourt, puis le groupe rejoint de nouveau les Flandres (15 avril - 5 mai 1918). Les Chasseurs Cyclistes seront ensuite portés à la bataille de l'Ourcq, puis à la contre-offensive de la Marne (2e bataille de la Marne). Ils se battent à Montdidier du 8 au 12 août 1918 puis repartent dans les Flandres.
1919La guerre finie, le 6e GCC reste en garnison à Versailles jusqu'à la fin juillet 1919.
(2) Donc à la fin des années 30.
Site d'où proviennent les photos de la bicyclette Gérard
"Ces groupes comprennent 2 capitaines, 1 médecin, 1 officier des détails, un état-major de 17 hommes, trois pelotons à 2 officiers et 8 sous-officiers, 121 caporaux et chasseurs et chacun divisé en 3 escouades soit au total 417 hommes. Leur rôle est de soutenir la cavalerie amie et de lui apporter des capacités de combat d'infanterie contre la cavalerie et l'infanterie adverse. Ces groupes sont utilisés lors de la bataille des frontières et la bataille de la Marne, mais leur activité s'arrête avec la guerre de mouvement. Elle reprend lors des phases de mouvement de 1916 à 1918."
Et voici, toujours d'après Wikipedia l'itinéraire belliqueux de ce groupe : c'est un peu long, mais nous lui devons bien cela, nous ses descendants, que de suivre avec lui ce chemin difficile
"1914 Le 6e GCC est envoyé du 1er au 5 août 1914 en Lorraine (Hablainville) pour surveiller la frontière. Après une escarmouche avec des hussards ennemis le 5 août 1914, il reçoit le « baptême du feu » le 9 août à Herbéviller. Il marche ensuite sur Sarrebourg (17-19 août), puis doit se replier sur Hertzing et Luneville. Le 25 août, il participe activement à la bataille de Rozelieures (combats du bois de Lalau) (voir l'article Trouée de Charmes). Ils sont ensuite envoyés le 10 septembre sur le front de la Marne et combattent à Dommartin et à Suippe, marchant et combattant jusqu'au 13 septembre sans ravitaillement. Début octobre 1914, le 6e GCC est envoyé à Hazebrouck et restera dans les Flandres jusqu'à la mi-novembre. Là, les Chasseurs marchent sur Roulers (16-20 octobre), arrivent à Paschendaele le 21 octobre et se posteront sur l'Yser (22-24 octobre).
L'ouverture des canaux par le Roi des Belges afin de ralentir l'avancée allemande les surprendra dans cette région et certains Chasseurs vont même passer une nuit entière avec de l'eau arrivant à mi-poitrine. En novembre, ils se battent à Zonnebecke. Les combats en Flandres seront extrêmement éprouvants et meurtriers pour le 6e GCC : « Il y a un mois, le groupe comptait plus de 500 chasseurs ; le 12 novembre au soir, 70 environ reviennent du combat (…) Le groupe cycliste est trop décimé pour continuer le combat (…) Le 6e GCC avait depuis le début de la guerre sept officiers tués (dont quatre commandants de groupe), trois officiers blessés et plus de 600 sous-officiers et chasseurs hors de combat (…) Beaucoup de blessés ne reviendront pas au groupe cycliste et seront versés aux 6e BCP, 27e BCP, 11e BCP et 28e BCP ».
1915 Le 6e GCC est reformé à Compiègne en janvier 1915 à l'effectif de 450 Chasseurs. Ils sont envoyés à Burnhaupt (Alsace) le 25 janvier 1915. En juillet 1915, ils vont combattre à Launois dans les Vosges. Le Groupe doit de nouveau être reconstitué en août 1915. En septembre, ils participent aux batailles de Champagne (ferme de Maffrecourt).
1916 Le 6e GCC est mis en cantonnement en Lorraine toute l'année 1916, puis en Alsace début 1917.
1917 Ils sont envoyés le 10 avril sur l'Aisne et participent à l' offensive Nivelle du Chemin des Dames (Berry-au-Bac, côte 108). Puis ils rejoignent la Champagne (Pompelle) de juin à décembre 1917.
1918 Le 6e GCC fait face à l'offensive allemande de mars 1918 lors de la bataille d'Avricourt, puis le groupe rejoint de nouveau les Flandres (15 avril - 5 mai 1918). Les Chasseurs Cyclistes seront ensuite portés à la bataille de l'Ourcq, puis à la contre-offensive de la Marne (2e bataille de la Marne). Ils se battent à Montdidier du 8 au 12 août 1918 puis repartent dans les Flandres.
1919La guerre finie, le 6e GCC reste en garnison à Versailles jusqu'à la fin juillet 1919.
(2) Donc à la fin des années 30.
Site d'où proviennent les photos de la bicyclette Gérard