Encore une exposition vue il y a fort longtemps, mais finalement, je n'y puis résister ! C'était l'objet essentiel de notre escapade parisienne pour Noël dernier, et il est temps que je m'offre un petit retour sur images. Et ce sera une excellente entrée en matière à la narration de notre récente escapade romaine. J'ai surtout gardé souvenir de la dernière section de cette manifestation, qui traitait de Raphaël portraitiste. Alter était un peu déçu car il n'a pas pu admirer (la toile était restée sur sa cimaise et nous n'avions pas le temps de parcourir le musée, envahi de touristes étrangers en goguette !) "son" Raphaël préféré, le portrait de Baldassare Castiglione. Du coup, un seul être vous manque ... et il était tout désappointé !
Je ne sais si Rubens concevait pour cette toile une pareille admiration, mais il est surprenant de voir l'interprétation qu'il en fit, gommant de cette représentation toute idéalisation, tout manifeste pour l'idéal de l'honnête homme qui sous-tend l'oeuvre de Raphaël. Chez ce dernier, l'homme ne prend pas la pose, son regard est chaleureux et profond, sa seule présence suffit à exprimer l'amitié entre les deux hommes. L'oeuvre de Rubens, copiée un siècle plus tard, montre un homme nettement plus âgé, aux traits plus émaciés, et qui a perdu, dans la reproduction, ces yeux bleus qui font sa douceur et son charme. Mais toute la vivacité du regard est encore là. De même, le couvre-chef qui cache soigneusement la calvitie du modèle (Castiglione s'en plaignait depuis 1509 et la toile de Raphaël date de 1519), qui conseillait d'ailleurs aux hommes dans "Le courtisan" de bien cacher leur crâne dénudé, par courtoisie.
De fait, l'essentiel du talent du maître d'Urbino éclate dans l'art du portrait. S'il est nettement plus "prolixe" dans les portraits privés (où il s'investit plus à fond tant d'un point de vue pictural que psychologique), les toiles d'apparat ou de circonstance sont tout de même d'un haut niveau artistique. Témoin ce portrait de Laurent II de Médicis, réalisé à l'occasion des fiançailles de ce dernier avec Madeleine de la Tour d'Auvergne négocié à l'automne de 1518. Le portrait, exécuté assez rapidement, fut peint directement sur toile pour en faciliter le transport. Et il n'est pas aussi conventionnel que ne le ferait craindre sa nature de commande officielle. En dépit de la majesté protocolaire de la tenue, le regard est doux, presqu'intime et dégage une certaine sensualité. Le petit écrin que tient le duc dans sa main droite pourrait être un portrait en miniature de Madeleine ou une bague de fiançailles. La position légèrement en biais du modèle laisse penser que Raphaël pensait peut-être exécuter ensuite un portrait en pendant de la jeune épouse, ce qui ne put avoir lieu car Laurent mourut jeune.
Mais, je l'ai dit, c'est dans les portraits d'amis ou de proches, que le talent de l'artiste est le plus frappant. Nous ne savons pas qui était la Donna Velata, et même si Vasari propose qu'il s'agisse de "la femme qu'il aima jusqu'à la mort", rien ne permet d'établir avec certitude l'identité du modèle. Ce serait alors la Donna Amata. Mais, aimée ou voilée, nul ne peut contester qu'elle est belle, et que Raphaël l'a peinte sous le coup d'une vraie émotion artistique. Il y a entre le modèle et le peintre une sort d'immédiateté, une communication silencieuse mais ô combien éloquente, qui traduit une réelle intimité entre eux.
Plus encore. Le rendu vigoureux de la texture de son superbe vêtement, l'évocation de nuances inédites et presque irréelles des teintes du tissu, pourtant fort peu coloré, la magnificence de la tenue, suggèrent que ces qualités sont aussi celles de la jeune femme. Comme si Raphaël voulait nous dire que son esprit est aussi chatoyant que la manche de sa robe.
Quant au mouvement si délicat du voile qui couvre en partie le décolleté, il évoque irrésistiblement l'acceptation du partage entre les deux protagonistes. Nous ne voyons que la femme, mais nous devinons, face à elle, le peintre, attentif, séduit, sous le charme, et elle accepte simplement cet hommage. Sans coquetterie, sans minauderie, avec gravité.
D'autres portraits disent la complicité entre l'artiste et ses modèles. Celui de Bindo Altoviti par exemple, où l'ami banquier, représenté en profil de trois quart, semble accrocher son regard à celui du peintre. La main sur le cœur, il tourne vers celui qui est en train de le représenter un regard intelligent et confiant, et l'on a presque l'impression de surprendre une conversation chaleureuse entre les deux jeunes gens. Sa bouche sensuelle et un peu amusée, semble prête à répondre à une remarque plaisante de l'artiste.
Le double portrait d'Andrea Navagero(1483-1529) et d'Agostino Beazzano (1490-1549) rèvèle une même connivence. Les deux érudits vénitiens se trouvaient à Rome en 1516 quand la toile fut réalisée, Andrea était en visite et Agostino, diplomate auprès du pape Léon X, y résidait régulièrement. On dirait qu'ils étaient en train de deviser, assis autour d'une table, quand ils se sont tournés soudain vers le peintre, assis en face d'eux. Ils sont pensifs et concentrés, comme si tous deux partageaient un moment de réflexion, après un fructueux échange d'idées. Pas d'accessoire, pas de vue extérieure qui viendrait déranger cet instant de partage silencieux. C'est, comme toujours, la personnalité du modèle et non son rôle social, qui est mise en avant.
Mais c'est dans cet autoportrait avec Guilio Romano que l'impression d'irruption dans une cordiale complicité est la plus forte. La mise en scène en est à la fois grave et spontanée. Grave, parce que le maître pose sur l'épaule de son disciple une main affectueuse et protectrice, tandis que le jeune homme tourne vers lui un regard à la fois admiratif et presque surpris, tout en pointant avec naturel son doigt vers nous.
Que montre-t-il ? Impossible de le savoir, mais ce mouvement, plein d'ardeur et d'enthousiasme, trahit l'élève actif, qui reçoit les conseils de celui qu'il admire, mais se les approprie et en fait son miel. Il n'est pas passif, il a, c'est évident, une forte personnalité et la critique a, du coup, décidé d'y voir Giulio Romano, l'assistant le plus fiable de Raphaël, dont le goût marqué pour les compositions en équilibre instable semble être évoqué par ce geste très assuré : on peut imaginer qu'il est train de suggérer à son maître une solution plus dynamique, solution que Raphaël n'écarte visiblement pas !
Difficile de trouver dans ce portrait de Romano peint presque 20 ans plus tard (en 1536) par Titien, une ressemblance avec le fougueux jeune homme du double portrait, un peu trop retourné en arrière pour qu'on puisse identifier ses traits avec certitude. Mais l'assurance du geste et l'enthousiasme du modèle sont toujours là ! Ce qui rend l'attribution assez crédible.
Le lien affectif étroit entre les deux personnages éclate dans leur échange de regards. Romano se tourne avec admiration vers Raphaël, dont les yeux peuvent sembler lointains, mais sont surtout paisibles. Il y a comme une dévotion filiale dans la prunelle du jeune homme, et une certaine fierté dans celle du maître. La main de ce dernier, posé avec douceur sur l'épaule du disciple, ne serre ni ne retient : il le laisse librement exprimer sa fougue et lui fait confiance. Guilio Romano, Pippi de son vrai nom, sera l'héritier spirituel de Raphaël et fut même surnommé Julius de Raphaël peintre d'Urbino, Giulio du maître de Raphaël de Rome et autres formules semblables. On dit volontiers que Raphaël l'aimait comme un fils, affection que Giulio lui aurait rendue en baptisant son premier fils du prénom de Raffaello.
C'était un des mérites de cette exposition que de redonner à Romano et à Giovanni Francesco Penni (l’autre disciple chéri) leur rôle très important dans l'atelier du maître, dont ils partageaient les contrats, l'atelier et dont ils se partagèrent les tableaux inachevés. En essayant de suivre le parcours pictural et esthétique des trois personnalités artistiques très proches mais pourtant bien distinctes, elle tentait de repérer les contributions effectives de chacun aux œuvres qui leur ont été communes. Et comme en la matière, il n'a a aucune documentation, c'était à une analyse visuelle des œuvres qu'elle nous conviait, pour nous inviter à mieux identifier les particularismes de chacun. Exercice auquel on ne peut s'adonner qu'à l'occasion d'événements de cette ampleur où, par la magie des emprunts et des prêts, on peut admirer côte à côte des toiles qui, d'ordinaire, sont fort éloignées les unes des autres.
Et s'il vous est arrivé parfois de douter du talent de Giulio Romano, le jugeant trop ... ou pas assez ..., ce qui a pu devenir vrai plus tard, admirez simplement ce sublime portrait de jeune homme qui lui a été attribué avec quasi certitude, et à propos duquel un critique a évoqué un poème de Pietro Bembo :
Je ne sais si Rubens concevait pour cette toile une pareille admiration, mais il est surprenant de voir l'interprétation qu'il en fit, gommant de cette représentation toute idéalisation, tout manifeste pour l'idéal de l'honnête homme qui sous-tend l'oeuvre de Raphaël. Chez ce dernier, l'homme ne prend pas la pose, son regard est chaleureux et profond, sa seule présence suffit à exprimer l'amitié entre les deux hommes. L'oeuvre de Rubens, copiée un siècle plus tard, montre un homme nettement plus âgé, aux traits plus émaciés, et qui a perdu, dans la reproduction, ces yeux bleus qui font sa douceur et son charme. Mais toute la vivacité du regard est encore là. De même, le couvre-chef qui cache soigneusement la calvitie du modèle (Castiglione s'en plaignait depuis 1509 et la toile de Raphaël date de 1519), qui conseillait d'ailleurs aux hommes dans "Le courtisan" de bien cacher leur crâne dénudé, par courtoisie.
De fait, l'essentiel du talent du maître d'Urbino éclate dans l'art du portrait. S'il est nettement plus "prolixe" dans les portraits privés (où il s'investit plus à fond tant d'un point de vue pictural que psychologique), les toiles d'apparat ou de circonstance sont tout de même d'un haut niveau artistique. Témoin ce portrait de Laurent II de Médicis, réalisé à l'occasion des fiançailles de ce dernier avec Madeleine de la Tour d'Auvergne négocié à l'automne de 1518. Le portrait, exécuté assez rapidement, fut peint directement sur toile pour en faciliter le transport. Et il n'est pas aussi conventionnel que ne le ferait craindre sa nature de commande officielle. En dépit de la majesté protocolaire de la tenue, le regard est doux, presqu'intime et dégage une certaine sensualité. Le petit écrin que tient le duc dans sa main droite pourrait être un portrait en miniature de Madeleine ou une bague de fiançailles. La position légèrement en biais du modèle laisse penser que Raphaël pensait peut-être exécuter ensuite un portrait en pendant de la jeune épouse, ce qui ne put avoir lieu car Laurent mourut jeune.
Mais, je l'ai dit, c'est dans les portraits d'amis ou de proches, que le talent de l'artiste est le plus frappant. Nous ne savons pas qui était la Donna Velata, et même si Vasari propose qu'il s'agisse de "la femme qu'il aima jusqu'à la mort", rien ne permet d'établir avec certitude l'identité du modèle. Ce serait alors la Donna Amata. Mais, aimée ou voilée, nul ne peut contester qu'elle est belle, et que Raphaël l'a peinte sous le coup d'une vraie émotion artistique. Il y a entre le modèle et le peintre une sort d'immédiateté, une communication silencieuse mais ô combien éloquente, qui traduit une réelle intimité entre eux.
Plus encore. Le rendu vigoureux de la texture de son superbe vêtement, l'évocation de nuances inédites et presque irréelles des teintes du tissu, pourtant fort peu coloré, la magnificence de la tenue, suggèrent que ces qualités sont aussi celles de la jeune femme. Comme si Raphaël voulait nous dire que son esprit est aussi chatoyant que la manche de sa robe.
Quant au mouvement si délicat du voile qui couvre en partie le décolleté, il évoque irrésistiblement l'acceptation du partage entre les deux protagonistes. Nous ne voyons que la femme, mais nous devinons, face à elle, le peintre, attentif, séduit, sous le charme, et elle accepte simplement cet hommage. Sans coquetterie, sans minauderie, avec gravité.
D'autres portraits disent la complicité entre l'artiste et ses modèles. Celui de Bindo Altoviti par exemple, où l'ami banquier, représenté en profil de trois quart, semble accrocher son regard à celui du peintre. La main sur le cœur, il tourne vers celui qui est en train de le représenter un regard intelligent et confiant, et l'on a presque l'impression de surprendre une conversation chaleureuse entre les deux jeunes gens. Sa bouche sensuelle et un peu amusée, semble prête à répondre à une remarque plaisante de l'artiste.
Le double portrait d'Andrea Navagero(1483-1529) et d'Agostino Beazzano (1490-1549) rèvèle une même connivence. Les deux érudits vénitiens se trouvaient à Rome en 1516 quand la toile fut réalisée, Andrea était en visite et Agostino, diplomate auprès du pape Léon X, y résidait régulièrement. On dirait qu'ils étaient en train de deviser, assis autour d'une table, quand ils se sont tournés soudain vers le peintre, assis en face d'eux. Ils sont pensifs et concentrés, comme si tous deux partageaient un moment de réflexion, après un fructueux échange d'idées. Pas d'accessoire, pas de vue extérieure qui viendrait déranger cet instant de partage silencieux. C'est, comme toujours, la personnalité du modèle et non son rôle social, qui est mise en avant.
Mais c'est dans cet autoportrait avec Guilio Romano que l'impression d'irruption dans une cordiale complicité est la plus forte. La mise en scène en est à la fois grave et spontanée. Grave, parce que le maître pose sur l'épaule de son disciple une main affectueuse et protectrice, tandis que le jeune homme tourne vers lui un regard à la fois admiratif et presque surpris, tout en pointant avec naturel son doigt vers nous.
Que montre-t-il ? Impossible de le savoir, mais ce mouvement, plein d'ardeur et d'enthousiasme, trahit l'élève actif, qui reçoit les conseils de celui qu'il admire, mais se les approprie et en fait son miel. Il n'est pas passif, il a, c'est évident, une forte personnalité et la critique a, du coup, décidé d'y voir Giulio Romano, l'assistant le plus fiable de Raphaël, dont le goût marqué pour les compositions en équilibre instable semble être évoqué par ce geste très assuré : on peut imaginer qu'il est train de suggérer à son maître une solution plus dynamique, solution que Raphaël n'écarte visiblement pas !
Difficile de trouver dans ce portrait de Romano peint presque 20 ans plus tard (en 1536) par Titien, une ressemblance avec le fougueux jeune homme du double portrait, un peu trop retourné en arrière pour qu'on puisse identifier ses traits avec certitude. Mais l'assurance du geste et l'enthousiasme du modèle sont toujours là ! Ce qui rend l'attribution assez crédible.
Le lien affectif étroit entre les deux personnages éclate dans leur échange de regards. Romano se tourne avec admiration vers Raphaël, dont les yeux peuvent sembler lointains, mais sont surtout paisibles. Il y a comme une dévotion filiale dans la prunelle du jeune homme, et une certaine fierté dans celle du maître. La main de ce dernier, posé avec douceur sur l'épaule du disciple, ne serre ni ne retient : il le laisse librement exprimer sa fougue et lui fait confiance. Guilio Romano, Pippi de son vrai nom, sera l'héritier spirituel de Raphaël et fut même surnommé Julius de Raphaël peintre d'Urbino, Giulio du maître de Raphaël de Rome et autres formules semblables. On dit volontiers que Raphaël l'aimait comme un fils, affection que Giulio lui aurait rendue en baptisant son premier fils du prénom de Raffaello.
C'était un des mérites de cette exposition que de redonner à Romano et à Giovanni Francesco Penni (l’autre disciple chéri) leur rôle très important dans l'atelier du maître, dont ils partageaient les contrats, l'atelier et dont ils se partagèrent les tableaux inachevés. En essayant de suivre le parcours pictural et esthétique des trois personnalités artistiques très proches mais pourtant bien distinctes, elle tentait de repérer les contributions effectives de chacun aux œuvres qui leur ont été communes. Et comme en la matière, il n'a a aucune documentation, c'était à une analyse visuelle des œuvres qu'elle nous conviait, pour nous inviter à mieux identifier les particularismes de chacun. Exercice auquel on ne peut s'adonner qu'à l'occasion d'événements de cette ampleur où, par la magie des emprunts et des prêts, on peut admirer côte à côte des toiles qui, d'ordinaire, sont fort éloignées les unes des autres.
Et s'il vous est arrivé parfois de douter du talent de Giulio Romano, le jugeant trop ... ou pas assez ..., ce qui a pu devenir vrai plus tard, admirez simplement ce sublime portrait de jeune homme qui lui a été attribué avec quasi certitude, et à propos duquel un critique a évoqué un poème de Pietro Bembo :
Sur Giulio qui, enfant, s'était peint lui-même dans un tableau
De même que le soleil, pourvu qu'il se dépeigne dans des eaux paisibles,
De même toi aussi, jeune enfant, peint de ton propre éclat, tu étincelles.
Même si l'on n'a pu prouver que ces vers du cardinal vénitien concernent cette toile, ils lui vont comme un gant !