C'est donc en 1950 qu'Henry Pearlman acheta sa première oeuvre de Cézanne, une aquarelle, suivie au cours des deux décennies suivantes d'une trentaine de tableaux et oeuvres sur papier du même peintre. La collection d'aquarelle dont on admire de nombreux exemplaires à Aix, est particulièrement belle car elle a conservé des teintes d'une fraîcheur rare. Pour Cézanne, si l'on en croit les récits de ses contemporains(1), l'aquarelle était un passe-temps, une simple distraction qui le reposait de son "travail", la peinture à l'huile. Cézanne lui-même parle rarement de celles qu'il a réalisées, n'accordant à cette technique qu'un rôle subalterne.
Pourtant ces œuvres avaient un vif succès, comme le raconte Camille Pissaro dans une lettre adressée à son fils Lucien où il narre le combat d'enchères entre Degas et Renoir pour obtenir l'aquarelle représentant les poires (c'est Degas qui l'emporta) que Pearlman acquit à son tour en 1956. Une pure merveille qui fascine malgré son étonnante simplicité, et l'on ne sait trop dire pourquoi on est saisi par cette composition : sont-ce les arabesques noires ourlées de bleu qui entourent l'assiette, ou la simplicité des teintes, qui, laissant apparaître le fond de papier vergé, chantent de façon incroyable, est-ce la présence sucrée des trois fruits ??? On ne sait, mais on reste en contemplation !
La bouteille de Cognac est, d'une autre façon, absolument passionnante aussi. Ici c'est le jeu sur la répétition des contours qui fait vibrer l'aquarelle. Parfaitement au centre, la bouteille de Cognac, organise la composition de savante façon : à gauche, une bouteille d'eau, idéalement transparente, ronde, ventrue, occupe presque tout l'espace, dans des tonalités de bleus doux qui donnent l'idée de l'eau, sans la délimiter. A droite, quelques couleurs esquissées pour des fruits, sans doute des pommes, qui répondent en petits ronds parfaits à la panse de la carafe. Ces cercles, on les retrouve en plus petits, toujours bleutés, devant la bouteille brune, sous forme d'une grappe de raisin. A ces arabesques aux bords multiples, qui ne délimitent pas la forme mais la font apparaitre dans l'espace, répondent les trois strictes lignes horizontales du bord de la table, avant et arrière, et d'une sorte de dressing, suggéré derrière la nature morte. La couleur, posée avec une grande légéreté, déborde de ces traits répétés et incertains, donnant à l'aquarelle une vitalité étonnante.
Pearlman acheta aussi nombre de paysages aquarellés, oeuvres lumineuses et sereines où les formes sont ébauchées avec une grande vigueur mais toujours de façon sobre, et partant, très efficace. Le modelé procède de la modulation des teintes, dont la pose hachurée fait vibrer les couleurs, introduisant dans ces travaux sur papier un petit souffle de vent qui les fait scintiller doucement.
C'est en 1952, soit peu de temps après l'aquarelle représentant le même sujet qu'Henry Pearlman acheta La Citerne dans le par du Château Noir. Peinte vers 1900, la toile est composée d'orange chaud et de vert froid, avec de forts apports de bleus, de rouges et de jaunes. Le chromatisme est surprenant : la roche dressée au centre de la composition qui, avec du recul paraît comme une tache claire, est, quand on s'approche un festival multicolore dont les teintes juxtaposées se fondent en transitions douces et continues. Un travail sur les tonalités qui joue sur la complémentarité des couleurs d'une façon très convaincante.
La même année, le collectionneur trouva aussi ce Mont Saint Victoire vu des Lauves, pas loin du lieu où Cézanne s'était fait construire un atelier, le seul format vertical que l'on connaisse de ce motif cher à l'artiste. Ce format inhabituel donne à la composition une inclinaison inédite et le paysage y joue un rôle plus important qu'à l'ordinaire. La Montagne n'est plus qu'un fond pour une mosaïque de touches de peinture aux harmonies multiples, dessinant dans un joyeux étagement village, champs et bosquets.Et la lumière jaillit de cette symphonie de tons où les bleus profonds posent des ombres marquées.
La Vue vers la route du Tholonet est une toile inachevée, ce qui la rend encore plus émouvante et passionnante aussi. Elle révèle qu'un dessin au crayon sous-tend les huiles de l'artiste, dessin repris en coup hâtifs et pourtant précis de peintre sombre, presque noire, avant que d'être coloré parfois jusqu'à faire disparaître les contours précédents. Ici l'air est moins vif que la Sainte Victoire, il semble presque brumeux, tant les hachures juxtaposées, posées en brefs aplats, rappellent une aquarelle, se mêlant en une impression de fondu visuel tout à fait réussi. L'exposition présente trois autres peintures du maître, un petit Portrait de son fils, esquissé mais prenant, un Baigneur vu de dos et enfin des Maisons provençales aux harmonies légères et ensoleillées.
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(1) Auguste Renoir raconte qu'il n'était pas inhabituel de le trouver, vers la fin de sa vie, dans les champs des environs avec des aquarelles à la min qui semblaient pousser ça et là comme les vers oubliés d'un poète distrait.