Les vainqueurs du Premio, le Quatuor Kelemen, posant autour de Martha Argerich
Il en est des concours comme des arbitrages : le public aime bien les critiquer, ne serait-ce que pour montrer que, lui aussi, il s'y connait. Il me faut donc, dans un premier temps, saluer la courtoisie, la patience et le respect du jury présidé par le toujours souriant Kikuei IKEDA, membre du Quatuor de Tokyo. Un jury attentif, réservé et indulgent qui permit à 8 des 10 quatuors en lice d'accéder au second tour, ne serait-ce que pour valoriser le travail de tous et leur donner une seconde chance. Seuls furent éliminés au premier tout le quatuor Indaco (Italie) et le Jubilee Quartet, tous deux composés de très jeunes exécutants.
Pas question de troubler les candidats avec un appareil lançant des mesures rouges dans la salle ! Je me suis donc contentée d'un montage des photos mises à dispositions par le site du Théatre de Reggio et ai présenté les formations par ordre alphabétique
Ici, Berlin-Tokyo, Cavalleri (anglais), Indaco (italiens), Jana (Cino-japonais)
Ont accédé à la demie-finale 6 quatuors, et il n'en restait que trois pour la finale : Varèse, "notre" quatuor français, un peu fétiche car nous les suivons depuis 3 ans, Reggio d'abord, puis Bordeaux l'an dernier où ils n'accédèrent qu'à la demie-finale et de nouveau Reggio ; un quatuor tchèque, le quatuor Mucha ; et un quatuor hongrois, les Kelemen, qui ont emporté le premier prix. Il faut dire qu'ils ont, pour ce faire, joué deux Bartok, dont l'oeuvre de la finale, dont ils sont les spécialistes évidents et virtuoses. Ils étaient sans doute les meilleurs, même si, en ce qui me concerne j'ai préféré les Mucha (2ème prix) peut-être à cause de l'oeuvre jouée, qui m'était plus accessible que Bartok (un Chostokovitch) et aussi, je l'avoue, parce que les Kelemen ne m'étaient guère sympathique.
Je leur avais en 2011 attribué le prix de la Beauté, faut dire qu'ils ont tous belle allure, et le savent !! Mais se présenter à un concours destiné à "lancer" la carrière de jeunes formations avec un premier violon de 36 ans, multi médaillé, lui-même professeur de conservatoire, c'est un peu fausser les règles du jeu. La règle dit que la somme des âges de tous les membres de l'ensemble ne doit pas être supérieure à 120 ans, mais n'impose aucun maximum, ce qui permet en gros 30+30+30+30 ou 60+20+20+20 ! Ce qui n'est pas du tout la même confirguration !! Et, ce monsieur, manifestement, se prenait énormément au sérieux et le faisait savoir. De plus, leur stratégie, jouer du Bartok, leur a permis d'assurer et c'était sans doute moins périlleux que ce qu'ont fait les Varèse.
Depuis que je les avais croqués à Bordeaux en 2013, les Varèse ont assagi ou "posé" leur look : le second violon a perdu sa charmante tignasse blonde, sévèrement coupée, l'alto ayant lui aussi raccourci ses cheveux, il n'a plus besoin de les tenir avec un cercle !
Quand j'ai demandé au premier violon pourquoi diable ils avaient choisi "La Jeune Fille et la Mort", il m'a dit, avec une grande logique, que c'était une oeuvre incontournable du répertoire des quatuors à cordes et qu'il fallait montrer qu'on était capable de l'affronter. Il faut dire que, quand nous avons su qu'ils avaient programmé le Schubert en finale, nous avons été catastrophés pour eux : échaudés par l'effondrement à Londres du quatuor Meccorre l'an dernier, nous avons craint le pire et tremblé durant toute leur interprétation. Nettement plus "orthodoxe" que celle des polonais l'an dernier, mais comment voulez-vous l'emporter sur une partition dont le moindre recoin est attendu par le public et le jury, chacun ayant sur le moindre détail son avis et son ressenti bien arrêtés ?? Ils auraient dû garder le Ravel pour la fin, le Ravel dans lequel ils ont été sublimes, meilleurs encore que dans le quatuor numéro 1 de Beethoven où ils avaient vraiment été impeccables. Ils ont donc dû se contenter du 3ème prix, mais c'est déjà une belle récompense. Ils ont obtenu aussi le prix spécial pour la meilleure exécution d'une oeuvre contemporaine, mais, bien qu'ayant écouté 5 fois le quatuor de Thomas Adès, nous n'avons pas progressé d'une once durant le concours et étions toujours aussi impatients d'atteindre la fin, parfaitement incapables de dire qui l'avait le mieux joué !! En tout cas, nous étions tout de même très fiers d'eux et leur adressons toutes nos félicitations et nos remerciements pour la semaine de qualité qu'ils nous ont fait passer.
Un palmarès donc auquel nous n'avions quasiment rien à redire ... sauf ... sauf en ce qui concerne le prix Jeunesses Musicales qui, en principe est accordé à un jeune quatuor aux grandes possibilités et qui a besoin d'aide pour progresser. Comme ce fut le cas pour les Schumman à Reggio, il y a trois ans, les Schumman qui ont gagné Bordeaux l'an dernier. Ou encore pour les Zaïde à Bordeaux il y a quatre ans, qui ont gagné Tokyo peu après. Donc, il nous semblait que l'ensemble le plus prometteur était un quatuor asiatique, Jana, composé de deux chinois et de deux japonaises, forts de capacités techniques remarquables et ayant seulement besoin d'aide pour les interprétations afin de progresser très vite. Ce fut le quatuor italien Indaco, éliminé pourtant dès le premier tour (ils avaient un niveau "bons étudiants") qui s'est vu attribuer le prix. Oh certes, ils en profiteront, mais il nous a semblé que d'autres en auraient mieux fait leur miel. Mais sans doute était-ce par politesse pour le public italien et pour les organisateurs du Festival, chose qui semble exagérée, mais n'a rien d'anormal dans la Péninsule.
Au total un Premio Borciani de très grande qualité, un verdict cohérent et juste et, déjà, des projets pour l'an prochain : le concours se déroule à Londres et nous espérons bien y retrouver nos amis anglais avec lesquels nous avons commenté dignement et abondamment toutes les épreuves, arrosées chaque soir par un apéritif plein de soleil et de Spritz !!