Deux siècles dont il n'est pas de bon ton d'aimer les réalisations. Pourtant, ayant appris depuis peu à mieux les apprécier, j'avoue qu'on trouve là, comme en d'autres temps plus "tendance", de vrais chefs d'oeuvre qui méritent la halte.
Le XVIIIe finissant, ou triomphant c'est selon, est idéalement représenté par cette délicate petite toile de Jean-Honoré Fragonard (1732-1806), dont le titre à lui seul est à la hauteur des idéaux de l'époque : Caprice architectural, villa italienne avec terrasse et jardin. Le capriccio, représentation d'un paysage imaginaire ou partiellement imaginaire, s'oppose au registre des vedute et trahit des utopies sociales et esthétiques dont le peintre de Grasse s'était fait l'aimable interprète. D'autres paysages rêvés, en particulier une assez jolie collection d'Hubert Robert, se déclinent, pour notre plus grand plaisir, dans les salles XVIIIe du musée de Rouen.
Le XVIIIe finissant, ou triomphant c'est selon, est idéalement représenté par cette délicate petite toile de Jean-Honoré Fragonard (1732-1806), dont le titre à lui seul est à la hauteur des idéaux de l'époque : Caprice architectural, villa italienne avec terrasse et jardin. Le capriccio, représentation d'un paysage imaginaire ou partiellement imaginaire, s'oppose au registre des vedute et trahit des utopies sociales et esthétiques dont le peintre de Grasse s'était fait l'aimable interprète. D'autres paysages rêvés, en particulier une assez jolie collection d'Hubert Robert, se déclinent, pour notre plus grand plaisir, dans les salles XVIIIe du musée de Rouen.
La manière lisse d'Ingres (1780-1867), son étiquette par trop réductrice de néoclassique, son art "bourgeois" ne doivent en aucun cas faire oublier qu'il est un virtuose de dessin et un maître hors pair du portrait. Ce buste lumineux, surnommé avec une légère pointe d'insolence "La Belle Zélie", est là pour le prouver. L'art de la ligne, l'épure au service de l'harmonie trahissent, il est vrai, un certain idéal au service de la beauté, pour la plus grande joie du spectateur.
Le personnage longtemps identifié à tort comme Madame Aymon, a reçu le surnom irrévérencieux de "Belle Zélie", en référence à une chanson à la mode dans les ateliers de peintres à l’époque de David. La femme est jeune, les traits un peu mous, toute en rondeurs encore très fraîches, et d’une heureuse sensualité,
Le format du tableau, en mandorle, est déjà en soi au service de cette représentation, toutes en courbes et en arrondis voluptueux. L'ovale de la toile, repris dans les épaules un peu affaissées à la mode à l'époque, souligne l'ovale du visage, qui introduit aux arasbesques sombres des accroche-coeur , qui évoquent le sein rond de la belle ! L'ensemble fait penser aux miniatures portées en médaillon pour garder avec soi le visage de l'être aimé. La position de trois-quart, le visage presque de face, accentue le port de tête majestueux du modèle.
Comme souvent chez Ingres (qu'on pense aux vertèbres supplémentaires de la Grande Odalisque(1), la précision anatomique est sacrifiée à la recherche d'harmonie des lignes : le cou est en effet déformé de façon assez nette, tordu vers l’avant, presque goitreux, car le peintre a plié la réalité à ses exigences de mise en page ! On a voulu, à cause de cette propension à déformer ses modèles, l'annonce d'une modernité impulsée par le peintre : c'est aussi et surtout la recherche d'un idéal esthétique qui semble guider son pinceau, plus qu'un rejet des conventions !
La gamme chromatique de cette représentation idéale, enfin, est superbe ! Aucun décor de fond, la silhouette se découpe sur un ciel pastel et cette teinte très douce met en valeur le jeu subtil sur les rouges, qui magnifie le sujet. Le rosé subtil des pommettes est repris dans un ton légèrement plus soutenu et brillant sur les lèvres entrouvertes. Tandis que le manteau qui couvre les épaules voluptueuses de la femme consacre cette teinte en majeur ! On reconnait ici la musicalité propre au peintre, qui joue de sa palette comme il devait manier son archet, avec maestria !
Plus avant dans le XIXe, on tombe en arrêt devant une toute petite toile intimiste d'un peintre plus connu pour son académisme : Jean-Léon Gérôme (1824-1904) : une étonnante composition d'une sobriété parfaite chez ce maître de l'emphase ! La peinture est partagée en trois zones presque indépendantes : en haut à gauche, le petit pan de mur jaune qui n'a rien à envier à celui de Vermeer, entièrement nu et seulement animé de quelques branches de lierre, présente l'aïeul, assis sur un sobre banc de bois et appuyé sur sa canne. A droit, la béance obscure d'une porte largement ouverte, laisse deviner, à moitié cachée par le partie fixe du montant de bois, une petite silhouette d'enfant, vêtu de bleu. Il est là, curieux, coquin, mais n'ose pas s'avancer vers nous. Ce sont "le père et le fils de l'artiste", autrement une scène strictement familiale. Au premier plan, occupant tout le tiers inférieur du tableau, un large perron de pierre grimpe vers une demeure qu'on devine cossue mais qu'on ne voit pas. Un lévrier nez au vent, élégant et racé, équilibre la composition vers la gauche et anime par sa truffe frémissante cette scène statique.
Tout près de cette petite toile domestique, un peinture extraordinaire de Vallotton (1865-1625) : au Français, 3ème balcon, la Loge. Auteur de théâtre, il écrivit lui-même une pièce, Un rien, qui fut montée au théâtre de l'Oeuvre en 1907, et fut un échec. On ne peut s'empêcher de regarder cette peinture, réalisée en 1909, avec l'oeil aigu de celui que le monde du spectacle a déçu. La composition, terriblement audacieuse, conjugue le vide et l'ombre, donnant un côté presque vertigineux à ce 3ème balcon sur lequel se penchent quelques têtes curieuses. Une harmonie de noir, de rouge et de blanc résume en quelques tons essentiels les couleurs du théâtre : velours écarlate et habits de soirée.
La brochette de spectateurs, uniquement des hommes, déclinent tous les âges et tous les styles : le moustachu curieux, le jeune hirsute, le barbus qui n'écoute pas, le gros chauve qui rêvasse, le curieux du fond, timide, qui essaie de voir en se levant de son siège, tous sont individualisés et pourtant ils forment une ligne compacte et presque menaçante au-dessus de la scène.
On ne peut s'empêcher d'évoquer une autre toile de Vallotton, autrement célèbre, vue à l'exposition du Grand Palais : ici, une femme, cachée sous un immense chapeau, avance sur la rambarde une main nerveuse, gantée de blanc, tandis que dans le fond de la loge un homme en retrait n'a d'yeux que pour elle. Cette loge là est certainement au premier balcon, l'ambiance est plus calme mais l'effet tout aussi menaçant : car le point de vue est le même, depuis la scène et les spectateurs, ces censeurs que l'on craint, sont rejetés dans l'ombre.
Dans la même salle, écrasante par son thème et sa dimension, une grande toile d'Alfred Agache (1843-1915) est admirablement mise en scène, et offre au promeneur étonné sonÉnigme (1888). Une hiératique femme voilée de noir, se dresse en haut de quelques marches d'un blanc immaculé, sur un fond de mur rouge, uni.
Les yeux mi-clos, elle tourne son profil altier vers un ailleurs dont on ne peut rien deviner. Elle est pâle et hautaine, et quelques taches d'une chemise blanche viennent animer son sévère vêtement de Parque ou de vestale. Elle tient dans sa main droite un masque qu'elle vient d'ôter. Et dans sa main gauche, une énorme fleur d'un rouge écarlate, très vif, sorte d'énorme pavot repris en échos posés au bas de sa robe et, abandonnés comme des gouttes de sang sur la plus basse marche de son podium improvisé.
Au salon de 1888 où elle est présentée, Alfred Agache accompagne sa toile d’un cartel reproduisant un poème d’Edmond Haraucourt (1856-1941) qui éclaire sur l'intention de l'artiste :
Autant dire que le cartel conserve à l'oeuvre son hermétisme ! En haut à gauche, un motif égyptien semble devoir nous donner une indication : ce serait un hiéroglyphe signifiant Isis. Malgré son côté "symbolisme fin de siècle", l'oeuvre est puissante : la force de cette scène lui ôte tout maniérisme démodé.
Les plans sont brossés à large traits, et leur articulation anguleuse donne à cette toile un allant étonnant. Le traitement contrasté des couleurs, la lumière irréelle qui baigne la scène, la sévérité élégante de la composition en font une oeuvre d'une étonnante modernité.
Le personnage longtemps identifié à tort comme Madame Aymon, a reçu le surnom irrévérencieux de "Belle Zélie", en référence à une chanson à la mode dans les ateliers de peintres à l’époque de David. La femme est jeune, les traits un peu mous, toute en rondeurs encore très fraîches, et d’une heureuse sensualité,
Le format du tableau, en mandorle, est déjà en soi au service de cette représentation, toutes en courbes et en arrondis voluptueux. L'ovale de la toile, repris dans les épaules un peu affaissées à la mode à l'époque, souligne l'ovale du visage, qui introduit aux arasbesques sombres des accroche-coeur , qui évoquent le sein rond de la belle ! L'ensemble fait penser aux miniatures portées en médaillon pour garder avec soi le visage de l'être aimé. La position de trois-quart, le visage presque de face, accentue le port de tête majestueux du modèle.
Comme souvent chez Ingres (qu'on pense aux vertèbres supplémentaires de la Grande Odalisque(1), la précision anatomique est sacrifiée à la recherche d'harmonie des lignes : le cou est en effet déformé de façon assez nette, tordu vers l’avant, presque goitreux, car le peintre a plié la réalité à ses exigences de mise en page ! On a voulu, à cause de cette propension à déformer ses modèles, l'annonce d'une modernité impulsée par le peintre : c'est aussi et surtout la recherche d'un idéal esthétique qui semble guider son pinceau, plus qu'un rejet des conventions !
La gamme chromatique de cette représentation idéale, enfin, est superbe ! Aucun décor de fond, la silhouette se découpe sur un ciel pastel et cette teinte très douce met en valeur le jeu subtil sur les rouges, qui magnifie le sujet. Le rosé subtil des pommettes est repris dans un ton légèrement plus soutenu et brillant sur les lèvres entrouvertes. Tandis que le manteau qui couvre les épaules voluptueuses de la femme consacre cette teinte en majeur ! On reconnait ici la musicalité propre au peintre, qui joue de sa palette comme il devait manier son archet, avec maestria !
Plus avant dans le XIXe, on tombe en arrêt devant une toute petite toile intimiste d'un peintre plus connu pour son académisme : Jean-Léon Gérôme (1824-1904) : une étonnante composition d'une sobriété parfaite chez ce maître de l'emphase ! La peinture est partagée en trois zones presque indépendantes : en haut à gauche, le petit pan de mur jaune qui n'a rien à envier à celui de Vermeer, entièrement nu et seulement animé de quelques branches de lierre, présente l'aïeul, assis sur un sobre banc de bois et appuyé sur sa canne. A droit, la béance obscure d'une porte largement ouverte, laisse deviner, à moitié cachée par le partie fixe du montant de bois, une petite silhouette d'enfant, vêtu de bleu. Il est là, curieux, coquin, mais n'ose pas s'avancer vers nous. Ce sont "le père et le fils de l'artiste", autrement une scène strictement familiale. Au premier plan, occupant tout le tiers inférieur du tableau, un large perron de pierre grimpe vers une demeure qu'on devine cossue mais qu'on ne voit pas. Un lévrier nez au vent, élégant et racé, équilibre la composition vers la gauche et anime par sa truffe frémissante cette scène statique.
Tout près de cette petite toile domestique, un peinture extraordinaire de Vallotton (1865-1625) : au Français, 3ème balcon, la Loge. Auteur de théâtre, il écrivit lui-même une pièce, Un rien, qui fut montée au théâtre de l'Oeuvre en 1907, et fut un échec. On ne peut s'empêcher de regarder cette peinture, réalisée en 1909, avec l'oeil aigu de celui que le monde du spectacle a déçu. La composition, terriblement audacieuse, conjugue le vide et l'ombre, donnant un côté presque vertigineux à ce 3ème balcon sur lequel se penchent quelques têtes curieuses. Une harmonie de noir, de rouge et de blanc résume en quelques tons essentiels les couleurs du théâtre : velours écarlate et habits de soirée.
La brochette de spectateurs, uniquement des hommes, déclinent tous les âges et tous les styles : le moustachu curieux, le jeune hirsute, le barbus qui n'écoute pas, le gros chauve qui rêvasse, le curieux du fond, timide, qui essaie de voir en se levant de son siège, tous sont individualisés et pourtant ils forment une ligne compacte et presque menaçante au-dessus de la scène.
On ne peut s'empêcher d'évoquer une autre toile de Vallotton, autrement célèbre, vue à l'exposition du Grand Palais : ici, une femme, cachée sous un immense chapeau, avance sur la rambarde une main nerveuse, gantée de blanc, tandis que dans le fond de la loge un homme en retrait n'a d'yeux que pour elle. Cette loge là est certainement au premier balcon, l'ambiance est plus calme mais l'effet tout aussi menaçant : car le point de vue est le même, depuis la scène et les spectateurs, ces censeurs que l'on craint, sont rejetés dans l'ombre.
Dans la même salle, écrasante par son thème et sa dimension, une grande toile d'Alfred Agache (1843-1915) est admirablement mise en scène, et offre au promeneur étonné sonÉnigme (1888). Une hiératique femme voilée de noir, se dresse en haut de quelques marches d'un blanc immaculé, sur un fond de mur rouge, uni.
Les yeux mi-clos, elle tourne son profil altier vers un ailleurs dont on ne peut rien deviner. Elle est pâle et hautaine, et quelques taches d'une chemise blanche viennent animer son sévère vêtement de Parque ou de vestale. Elle tient dans sa main droite un masque qu'elle vient d'ôter. Et dans sa main gauche, une énorme fleur d'un rouge écarlate, très vif, sorte d'énorme pavot repris en échos posés au bas de sa robe et, abandonnés comme des gouttes de sang sur la plus basse marche de son podium improvisé.
Au salon de 1888 où elle est présentée, Alfred Agache accompagne sa toile d’un cartel reproduisant un poème d’Edmond Haraucourt (1856-1941) qui éclaire sur l'intention de l'artiste :
Prêtresse de l’énigme et fille du mystère
Je garde sous le ciel les secrets qu’il veut faire
Et je sais l’avenir comme un fait accompli.
Mais j’ai fermé mon âme austère
Dans l’orgueil du silence et la paix de l’oubli.
Les plans sont brossés à large traits, et leur articulation anguleuse donne à cette toile un allant étonnant. Le traitement contrasté des couleurs, la lumière irréelle qui baigne la scène, la sévérité élégante de la composition en font une oeuvre d'une étonnante modernité.
A SUIVRE
Musée de Rouen : l'Impressionnisme
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(1) Selon de très sérieux chercheurs, "Les proportions de la Grande Odalisque font causer depuis fort longtemps. L’hypothèse de trois vertèbres de trop avait déjà été émise. Pour en avoir le cœur net, Jean-Yves Maigne, de l’Hôtel-Dieu, aidé de Gilles Chatelier de l'hôpital Georges Pompidou, et de l’historienne de l’art Hélène Norlöff, ont pris des mesures sur neuf modèles vivants. La taille de leur tête et la longueur de leur dos ont été mesurées dans la même position que celle de l’odalisque d’Ingres, en tenant compte de la perspective adoptée par le peintre.
Résultat : la Grande Odalisque a subi une élongation du dos de plus de 8 cm et du bassin de presque 7 cm. Ces 15 cm correspondent à trois lombaires et deux vertèbres sacrées (constituant le sacrum), expliquent les auteurs de l’étude. Leur article doit bientôt être publié outre-Manche dans le Journal of the Royal Society of Medecine, selon l’Agence France-Presse."