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Channel: Bon sens et Déraison
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CLIC CLAC, MERCI KODAK

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Montage réalisé à partir de photos extraites d'un article, sobrement intitulé "Ipad, un appareil photo avec lequel tu as l'air c.."

Alter avait entrepris ce matin la liste des objets, sans doute inutiles, dont nous ignorions l'existence il y a de cela 50 ans, et qui, aujourd'hui nous semblent, peut-être à tort, peut-être à raison, incontournables. Devant l'ampleur du désastre, je lui conseillais (le prof a pointé le bout de son nez) de prendre un papier et un crayon pour consigner tout cela par écrit, ce qu'il refusa, bien sûr, avec la première énergie. Et cela m'a rappelé les résultats de ce sondage, entendu il y a quelques jours sur une quelconque radio qui affirmait qu'il y a quelques années seuls 9% des sondés disaient prendre au moins une photo par jour, alors que ce chiffre avait plus que doublé en 2013, et de gloser sur l'usage si commode des téléphones portables pour fixer nos souvenirs.
Mais fixer quoi grand Dieu ?? Devant l'imprécision patente de mon information (un sondage oui, mais fait par qui, comment, sur quelle question au juste ?) je suis partie en vadrouille sur le net pour tenter d'en retrouver les caractéristiques. Et là, j'ai navigué entre l'augmentation du stress au travail des policiersà cause de ces fichus téléphones portables qui permettent de "voler" n'importe quelle image, à n'importe quel moment et de la publier en (presque) toute impunité, les gens qui se déclarent choqués, voire rendus malades en visionnant des images atroces, ceux qui s'inquiètent de voir leur image galvaudée de-ci, de là sans leur accord, celui qui, avant tous les autres, a pris une photo de son fils chaque jour pendant 21 ans et cent autres fantaisies comme cette hallucinante série de 365 photos d'elle-même publiée par une femme battue, une par jour pendant un an. L'idée en soi est déjà étonnante, mais les commentaires, Seigneur... les commentaires ! je savais qu'internet c'était aussi cela, mais je ne pratique jamais les forums, alors j'en suis restée scotchée sur mon clavier. En ne retrouvant pas pour autant trace de "mon" enquête.


Pour autant, rappelez-vous les photos de notre enfance !! Rares, réservées aux grandes occasions et gentiment posées, tirées sur de minuscules timbres poche et précieusement archivées dans d'immenses albums, affublées aux 4 coins de vignettes transparentes censées les fixer sur un joli fond noir au vert... Papa avait un appareil dont il était très fier et sur lequel je fis mes premières armes, armée d'une cellule photo électrique et calculant mes ouvertures du mieux que je pouvais ! Hallucinée quand j'ai rencontré Alter qui lui, enfant gâté, avait un appareil présentant un système de cellule intégrée, avec une flèche à mettre au milieu d'un rond pour s'assurer que la profondeur de champ était la bonne et l'ouverture de diaphragme choisie idoine !! Bref, l'art de la photo, qu'on développait en noir et blanc dans la baignoire après avoir changé l'ampoule de la salle de bain pour avoir une lumière rouge, était un art compliqué, souvent raté et on compte encore sur les doigts de quelques mains l’imagerie survivante de ces années-là.


Et nous voilà, au moins pour 20% d'entre nous, à prendre au moins une photo par jour. Une photo de quoi ? Pour en faire quoi ? Mon enquête ne le disait guère et j'avoue avoir pas mal cogité sur cet étrange phénomène qui nous fait numériser la mémoire à coups de pixels, me demandant pourquoi nous étions si friands de ces amas de clichés qu'on n'a guère le temps de visionner ou de mettre en forme. Besoin d'immortaliser l'instant, le souvenir, l'émotion, certes mais à quelles fins ? Pour les revivre évidemment... sauf que nous en avons à longueur de journée et que nous n'avons guère de loisir de les faire resurgir, étant tout occupés dans le nouvel instant. Pour les partager et les conserver... oui, bien sûr mais croyez-vous que nos enfants se plongeront dans ces milliers de fichiers que nous allons leur laisser, retraçant leur enfance, leurs premiers pas, leurs découvertes, puis plus tard nos voyages et l’apparition inéluctable de nos rides et des nos menues misères de vieillards ? Qu'en feront-ils d'ailleurs ? Car si nous avons soigneusement rangé dans quelques cartons consciencieusement étiquetés les albums de nos mamans, nous savons qu'il nous arrive juste trois fois par décennie d'aller y puiser et nous attendrir sur ces reliefs, somme toute modestes, d'un passé révolu. La rareté en fait le prix et c'est pour cela que nous les conservons.


Comment nos jeunes vont-ils gérer ces milliers de photos numériques, dont les trois quarts sont floues ou ratées mais que nous avons conservées car elles rappelaient une anecdote, un moment agréable ou une découverte passionnante. Ou qu'on peut en tirer quelque chose en la recadrant ou en la transformant en fausse aquarelle. Avez-vous essayé de les trier, de les ranger, de les étiqueter ? Cela prend des plombes et nous, qui les avons prises, sommes les premiers à nous lasser de l'exercice. Alors nos descendants !! Et je ne parle pas des chercheurs des temps futurs qui auront pour archive une pléthore tellement vaste de documents, que le métier sera carrément titanesque.


Bon, je sais, je raisonne en photographe d'avant le reflex ! Pour nous, les photos étaient traces, mémoire, réminiscence, souvenance aussi. Et nous les gardions, comme nous les gardons encore. Alors que pour eux, les jeunes, les nouvelles générations, elles sont l'instant, l'émotion immédiate, celles qu'on balance sur le net pour se montrer, s'exhiber, s'éclater (de rire ou d'émotion) et celles que l'heure d'après chassent aussi vite qu'elles sont arrivées. Pas que pour les jeunes d'ailleurs : témoin l'autre matin, sur France Inter, Pascale Clark recevait Gilles Jacob et, à brûle-pourpoint, alors qu'il venait de déclarer sans rire combien Twitter était important pour lui, voilà que l'animatrice y va de son idée lumineuse "Je vous propose une opération commune Gilles Jacob : nous allons nous prendre en photo, et nous allons la poster, comme cela nous allons faire fructifier nos comptes twitter respectifs". Totalement perplexe Michelaise (j'ai vraiment cru avoir mal entendu : je suis allée vérifier le podcast !!) "Mais qui regarde cela ?? qui est-ce que cela peut intéresser la photo de Madame Clark et de monsieur Jacob posant devant un téléphone portable ?" En plus, ils disaient cela vachement sérieusement... n'hésitant pas à inviter les auditeurs à aller voir la sus-dite photo !!!

Le selfie, un phénomène qui prend de lampleur   rihannaig

Cela s'appelle le selfie, et c'est hyper tendance (1). On l'utilise pour se faire un petit coup de pub, ou pour s'afficher dans une attitude provocante ou décalée, et faire rire (du moins on le suppose) amis réels ou virtuels. Cela relève, si on le prend au second degré d'une angoisse existentielle lourde, proclamant à qui veut l'entendre une vision de la vie où tout serait dérisoire et mâtiné d'un égocentrisme inquiétant. Mais au premier degré, on se demande vraiment qui cela peut intéresser, chacun étant plus préoccupé de publier son selfie que de regarder celui des autres. S'y affirme le besoin d'attirer l'attention, de se faire remarquer, ce dont on s'assure par le nombre de "j'aime" obtenus des autres internautes. Sauf que, forcément, tout le monde aime, car cliquer sur "je n'aime pas" expose à être soi-même retoqué lors de sa prochaine publication. Alors on se fait mutuellement plaisir, même si on trouve ça franchement nul !! Si l'on ajoute à ce phénomène autoportrait, teinté de narcissisme, les films tournés avec une caméra frontale, qui sont censés captiver l'univers entier et ne relatent finalement que d’absurdes banalités ou d'atroces réalités (y gagnant pour le coup  un croustillant qui leur fait faire le buzz), on se dit que tout ces ersatz d'images, étiquetées spontanées et présumées informatives, doivent être effacées au fur et à mesure pour faire place aux suivantes. Sous peine de périr étouffé sous le nombre.


Donc plus de stockage, plus de tri drastique, une photo pousse l'autre, la notion d'histoire disparaît au profit du présent, et l'on ne s'encombre pas des restes d'antan. Le montage, le recadrage, le redressement des clichés, c'est juste bon pour une ancienne du 6x6 (oui, oui, j'en eu un aussi !!) : nos disques durs gavés de pixels échoueront dans quelque déchetterie recyclante, et c'est très bien ainsi. D'ailleurs, l'avez-vous remarqué : quand, à la suite d'un incident technique, un ordi vous lâche, et qu'un technicien compatissant "récupère" le contenu de votre disque dur, ce dernier reste stocké dans un coin perdu de la mémoire de votre nouvel ordi, sans que vous ayez jamais l'occasion d'aller y farfouiller. Autant dire que si nous perdons tous nos "instantanés" historiques, nous n'en mourrons pas ! Juste le temps d'une brève contrariété et la vie continue ! Avec, au moins, un cliché par jour !!

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(1) On trouve même les conseils pour faire de bons selfies :
Donc, si tu veux entrer dans l’ère du self-portrait à la sauce Instagram il te faudra suivre quelques mauvais petits conseils :
- La duckface c’est has-been. Cette idée qui consiste à faire ressembler tes lèvres à un trou de balle n’est plus validée par les réseaux sociaux.
- Il faut absolument que ce soit toi qui prenne la photo. Sinon on appelle ça un shooting sauvage.
- Tu peux ajouter une légende drôle et qui te crédibilise genre « je sais que les selfie c’est d’la mouize, franchement je suis une ouf *smiley crotte mignonne* » ou « Allez c’est la dernière, juré *smiley filles qui dansent* ».
- Soigne bien le fond. En gros, tente d’ancrer ta photo dans ta vie super active : prouve que tu es une personne qui remplit son existence d’aventures et de péripéties. En voiture ceinture bouclée, après la douche alors que tu viens de te couper en te rasant le genou, dans une cabine à Zara alors que tu viens de t’étouffer en essayant de retirer ce col roulé taille XS. Laisse venir l’inspiration.
- Fais la tronche. Non, en fait tu peux sourire, mais moi j’ai toujours l’air d’un paresseux sous sédatif quand je me force à rire, alors je préfère faire la gueule.
Vous trouverez dans ce billet bien d'autres étrangetés :
"Autre dérive du selfie : les poses à poil. La mode est par exemple à te prendre en photo en montrant seulement le bas de tes seins ou un bout de fesse.
...
Quand on parle de selfie on parle généralement d’une photo de son visage ou de son corps en général. Après, je pense qu’on reste dans ce même phénomène en ce qui concerne les clichés de bouffe, de billets de train, de doigts de pieds (pour montrer sa nouvelle verrue trop swaggie), de déco en carton, de « j’ai acheté trois slips » — et que personne ne s’insurge, je ne fais que décrire mon propre compte Instagram"

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