Quantcast
Channel: Bon sens et Déraison
Viewing all articles
Browse latest Browse all 313

DÉCOIFFANTS !

$
0
0

Il nous avait prévenus ! Et en matière de décoiffage (savant), c'est un expert !
- Vous allez voir, ça décoiffe et c'est passionnant... même pour une première écoute, on en a plein les oreilles et quelle inventivité...


Et, de fait, avec une liste d'instruments aussi exotiques qu'inattendus, la partition d'Olivier Messiaen que nous avons découverte à Bordeaux ce week-end, La Turangalîla-Symphonie a, déjà, le mérite de ne pas laisser le spectateur en repos : sans cesse à guetter d'où viennent ces sons nouveaux, pas moyen de s'endormir. Enfin, presque car j'avoue, malgré tout, piqué du nez durant le 6ème mouvement, fort opportunément intitulé "Jardin du sommeil d'amour", et sans doute charitablement mis là par le compositeur pour permettre à ses auditeurs de se reposer un peu. Il faut dire, qu'avec ses 10 mouvements et une durée d'1h40, la pièce est "considérable" ! 


Je laisse la parole à Messiaen lui-même pour vous laisser entrevoir l'esprit de son oeuvre :
"Turangalîla-Symphonie est un chant d'amour. Turangalîla-Symphonie est un hymne à la joie. Non pas la joie bourgeoise et tranquillement euphorique de quelque honnête homme du XVIIème siècle, mais la joie telle que peut la concevoir celui que ne l'a entrevue qu'au milieu du malheur, c'est-à-dire une joie surhumaine, débordante, aveuglante et démesurée. L'amour y est présenté sous le même aspect : c'est l'amour fatal, irrésistible, qui transcende tout, qui supprime tout hors de lui, tel qu'il est symbolisé par le filtre de Tristan et Yseult".
Vous comprendrez alors, qu'avec pareil programme, une telle oeuvre ne peut laisser indifférent, et, devant la démesure d'une palette orchestrale inventive et parfois magique, on ne peut qu'être sous le charme. Et, forcément admiratif devant l'exploit technique que représente, pour le chef, les solistes et chacun des membres de l'orchestre, une telle interprétation.


Car il y a deux solistes : un piano, qui était tenu à Bordeaux par Bertrand Chamayou, avec une concentration et une humilité dignes des plus grands. Bertand Chamayou qui, tout jeune, était fan de Messaien et rêvait de devenir compositeur (ce qu'il fera sans doute !!) connaissait, pour l'avoir explorée et scrutée dans les moindres détails dès l'enfance, la partition de l'oeuvre. C'était cependant pour lui une première sur scène et, dit-il, "la réalisation d'un rêve de gamin". Quoique soliste, il est parfois piano d'orchestre, phénomène frappant car inhabituel : il se fond alors dans la masse colorée du tissu orchestral et joue alors son rôle, comme les instrumentistes "du rang", avec une modestie et une virtuosité sans faille.

Témoin de l'importance des "musiciens du rang", l'anecdote que Gérard nous a racontée à propos du concert précédent : au moment de commencer le concert, on s'aperçut qu'il manquait une flûtiste clarinettiste (1). Vous avez vu le nombre d'instruments dans la liste plus haut, on aurait tendance à se dire, vu de loin "Bah, une flûtiste de plus ou de moins, on ne s'en apercevra guère !" Que nenni ... pas question de commencer sans elle... retardée, bloquée dans les embouteillages bordelais, pataugeant dans les mares de la Garonne en crue, suppliant son chauffeur de taxi de sauter par dessus les obstacles et les importuns, elle fit attendre toute la salle durant 45 longues minutes. Et quand elle arriva, à bout de nerfs, pleurante et désolée, elle avait sans doute réalisé pour la première fois de sa carrière combien, même anonyme, utile seulement pour égrener quelques notes qui semblent frustrantes au vu de l'ensemble de l'oeuvre, la présence de chacun est importante et essentielle dans un orchestre.


L'autre soliste une onde Martenot, instrument dont on connait forcément le nom mais qu'on n'a que fort rarement entendu (c'était pour ma part la première fois que je le voyais sur une scène), tenu par Cynthia Millar, spécialiste toutes catégories de l'instrument puisqu'elle l'a étudié avec la belle-soeur de Messiaen. Elle a d'ailleurs interprété la symphonie de Messiaen plus de 120 fois ce qui prouve, s'il en était besoin, que malgré la difficulté technique pour monter une telle oeuvre, il se trouve des directeurs de théâtre et des solistes prêts à s'atteler à cette tache titanesque. 



- Vous allez voir, ça décoiffe et c'est vraiment réussi !!
Mais non, je ne bégaie pas, là aussi nous avions été prévenus par notre hôte qui avait vu le spectacle quelques jours avant. Bordeaux, la ville coincée par excellence (mais non, ça c'était avant le tramway !!), fêtait à sa manière le 250ème anniversaire de Rameau. Avec la complicité de Laura Scozzi, dont nous avions détesté la mise en scène (bourrée de contresens) de la Flûte Enchantée au Tyrol en 2010, mais qui là, nous a ravis. Il faut dire que l'argument des Indes Galantes est pauvre, le livret indigent et seuls comptent la musique, le ballet et le divertissement. Musique admirablement servie par Christophe Rousset mais, à notre grand regret, accompagnée de voix vraiment toutes petites, manquant de charme et de musicalité. Thomas Dolié, un excellent baryton en Adario, et Amel Brahim Djelloul, une charmante soprano pleine de vivacité et ne manquant pas d’entregent, relevaient le niveau vocal décevant. Par contre, Laura Scozzi s'en est donné à coeur joie pour faire de la comédie-ballet à la partition ébouriffante de Rameau, un spectacle sans une minute de répit !


La milanaise, après un prélude où elle a imposé aux danseurs une bonne vingtaine de minutes de chorégraphie absolument sans voile, provocant des agitations anatomiques forcément inconfortables pour eux, n'a pas hésité à aligner dans ces Indes pas franchement Galantes, un certain nombre de fait d'actualité plus ou moins brûlants ou récurrents. Rejetant tout ancrage pseudo-historique, elle plante ses décors dans les drames et les obscurantismes de notre époque.


Le Turc Généreux se déroule sur une plage turque polluée par le tourisme et par une énorme bouche d'égoûts, et fait d'Osman Pacha un passeur sans scrupules, exploitant les malheureux migrants qui tentent de venir en Europe. Les Incas du Pérou se déroulent dans une ferme péruvienne où l'on fabrique, avec force détails techniques, la cocaïne expédiée ensuite dans le monde entier. Huascar, le Grand Prêtre du Soleil est un chef de cartel usant de la terreur pour réduite les misérables indiens qu'il exploite en quasi-esclavage.


Les Fleurs de la fête persane se révèlent être de pauvres filles blondes et dénudées, livrées dans une bétaillère à la convoitise hypocrite que quelques mâles autoritaires qui les affublent alors d'une burqa noire et les entassent dans des harems. Quant aux sauvages du dernier tableau, ce sont tout simplement les promoteurs américains, assoiffés de dollars, qui n’hésitent pas à transformer  l’immensité vierge d’un parc naturel, au sein d’un paysage splendide de montagnes et de lac, en une sinistre zone pavillonnaire pour faire rêver les classes moyennes. 



C'est sombre. La charge est lourde, presque trop sans doute, mais Laura Scozzi assume, de façon un peu démodée mais finalement assez sympathique, son rôle d'artiste engagée mais qui sait que les lendemains utopiques n'existent guère. Elle fait jaillir de la drôlerie une brutalité et une violence qui sont malheureusement omniprésents dans notre société, et, sans faire la morale, elle dénonce et enfonce le coin, avec humour et une bonne dose de scepticisme. Le tout avec une chorégraphie réglée au cordeau, dont la spontanéité apparente cache des prodiges d’ingéniosité : un énorme travail de décors, de réglages, de costumes, fait avec une rigueur qui ne laisse rien au hasard. 


Et Rameau, me direz-vous, dans tout cela ?? Il est fort bien servi par Christophe Rousset, qui sait imposer la musique face à cette tempête d'images qui se déroule sur scène. Même s'il faut parfois fermer un peu les yeux pour se reposer et mieux entendre la partition, il fait face vaillamment à la marée scozzienne. Les feux d’artifice, scintillements, lumières et autres effets spéciaux,  prévus par Rameau sont ici revus et corrigés, certes, mais tout aussi spectaculaires que devaient l'être la mise en scène de la création en 1735. Iconoclaste, fantaisiste et ébouriffante. On peut juste reprocher à Laura Scozzi d'avoir banni du spectacle toute poésie et tout merveilleux.
Cette mise en scène, créée en 2013 au Théâtre du Capitole de Toulouse, sera reprise au Staatstheater de Nüremberg, puis à Londres, à Covent Garden, mais en version de concert. Pas question de la programmer à Paris, cela ferait trop de vagues, mais elle est passée sur Mezzo et sera sans doute rediffusée.


--------
Toute photo étant interdite ans chacun de ces spectacles, les illustrations de ce billet proviennent toutes du net et des dossiers de presse sur les concerts. Merci aux sites qui m'ont permis de les récupérer. Merci en particulier à Thomas Bloch, un des très rares ondistes au monde, qui précise que ses images sont libres de droit.

(1) Mail urgent reçu à la suite de ce billet : Correction immédiate ! Clarinette en la, pas flûte !!!‏ Signé Gérard !!!

Viewing all articles
Browse latest Browse all 313

Trending Articles



<script src="https://jsc.adskeeper.com/r/s/rssing.com.1596347.js" async> </script>