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ANTONIAZZO ROMANO

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La dernière exposition romaine : celle que nous n'avons pas vue. Qui parait après la fin de l'exposition en question mais je n'ai pas eu envie d'en faire la moindre promotion. Car, disons-le carrément : je suis vexée !! Comme je l'ai dit dans un autre article, le palazzo Barberini organise, dans la plus parfaite intimité, une exposition consacrée à Antonio di Benedetto Aquilo degli Aquili, dit Antanazzio Romano, figure emblématique de l'école romaine du XVème siècle et encore assez peu documenté. Une occasion inespérée de mieux connaître ce peintre, né à Rome vers 1430 où il mourut quelques 80 ans plus tard, en 1510. Or, l'exposition, mal relayée sur internet (la page du musée , fort succincte, est apparue sur la toile bien après l"ouverture de l'événement) et découverte un peu par hasard sur le site de la villa Borghese, commençait le lendemain de notre départ. Dommage que nous n'ayons pu en avoir connaissance avant car, c'est sûr, nous aurions décalé les dates de notre voyage : le peintre en vaut la peine.

J'ai donc adressé une demande aux musées municipaux romains, leur exposant ma volonté d'en faire un billet et leur demandant de m'inviter à la présentation à la presse qui, traditionnellement, a lieu un ou deux jours avant le vernissage. Fi !! "On" ne m'a même pas répondu : il faut dire que l'organisation muséale municipale romaine n'est pas particulièrement efficace, et on est loin de la réactivité du musée des Écuries du Quirinal ou de celle du cloître de Bramante. Pourtant je suis certaine qu'un article en français sur cette manifestation, si peu relayée qu'on a un mal infini à trouver de la documentation dessus, aurait eu un petit impact sur les visites : les articles de ce genre font partie de ceux qui accumulent, sur la durée, le plus de visites. Tant pis pour moi !! Et tant pis pour eux ...

Je me suis donc résignée à me contenter du parcours dans la ville proposé par le seul document présentant l'exposition.


Au Panthéon d'abord, sur le second autel à droite, une Annonciation qui fut longtemps attribuée à Melozzo da Forli et pour laquelle il semble que les deux peintres aient collaboré. Même si l'on continue traditionnellement à donner cette oeuvre à Melozzo sur à peu près tous les sites, les études récentes ont démontré que Romano y participa et la fondation Federico Zeri la lui restitue, comme les commissaires de l'exposition, sans l'ombre d'une contestation. 
L'oeuvre, d'une grande rigueur formelle, se déploie en deux scènes bien distinctes et presque de taille égale. En haut, le Père bénissant émerge d'un ciel rougeoyant, porté par un petit nuage floconneux. Sa bénédiction, symbolisée par des rayons ardents, se transmet à Marie par l'intermédiaire d'une colombe, portée par un faisceau d'or vers la tête de cette dernière. L'oiseau assure le trait d'union entre les deux scènes.


En bas, l'Annonciation se présente sous un schéma on ne peut plus classique : à droite, la Vierge agenouillée sur un léger banc de bois accueille, les yeux baissés et les mains humblement croisées sur son manteau bleu doublé de vert, le message de l'Ange. Celui-ci, en position de salutation, s'incline vers la jeune fille à laquelle il tend un lys immaculé, en montrant de l'index le ciel d'où lui vient l'inspiration. Vêtu de rouge sombre, sa robe tombe en plis lourds et serrés, simplement retenue par un ruban blanc dont la légèreté contraste avec le poids du tissu, suggérant l'atterrissage récent du messager.
Ses ailes largement déployées chatoient de teintes précieuses et cachent en partie le décor classicisant de pilastres aux chapiteaux corinthiens, devant lequel se développe la scène.


A San Pietro in Montorio (désolée pour la piètre qualité du cliché, il fait abominablement sombre dans cette église où l'on se rend plutôt pour admirer, dans le cloître voisin, le fameux tempietto de Bramante) une fresque encadrée comme une toile représente Sainte Anne qui présente le groupe sacré de la Vierge à l'Enfant, selon l'iconographie assez peu courante qu'on appelle de Sant'Anna Metterza. Metterza est un terme dérivé de la langue vulgaire médiévale qui désigne la mère de la Vierge, comme étant de la troisième génération dans la généalogie divine, avant Marie et Jésus. On parle aussi de Sainte Anne trinitaire. Une iconographie très populaire en Allemagne au XIVème siècle, qui se diffuse modestement dans l'Italie du Quattrocento. Il est possible que cette fresque, trop abîmée pour en juger définitivement, ne soit pas entièrement autographe, mais effectuée en partie par des élèves de l'atelier de Romano.


Mais l'oeuvre majeure du peintre, visible dans les églises romaines, reste sans doute la très belle Annonciation de Santa Maria sopra Minerva. C'est dans les années 1480 qu'il a travaillé, toujours avec Melozzo da Forli, aux fresques de l'église, avant de réaliser, en 1482, ce retable. Influencé dès le début de sa carrière par Benozzo Gozzoli et par Fran Angelico, le peintre garde, tout au long de son oeuvre, la douceur de ces influences. Dans les années 1470, il travaille à la décoration du palais du Vatican, côtoyant alors aussi Perugino et Ghirlandaio.


Il se spécialise, durant tout une partie de sa vie, dans les peintures mariales, très demandées à Rome en cette fin de XVème siècle du fait de la promotion du "culte de la Vierge" par le pape Sixte IV. Le panneau de Sopra Minerva traite de l'assez conventionnel sujet de l'Annonciation, d'une façon assez proche de l'oeuvre conservée au Panthéon.


L'ange Gabriel, quoique fort abîmé, conserve la même pose, la même vêture ailée, le même geste que la peinture vue plus haut. Mais ici, les deux protagonistes sont moins rapprochés, moins tassés et la mise en scène, quoiqu'affectée de différences de tailles presque médiévales, s'en trouve nettement plus savante.


La raison de cet allègement est la présence, au beau milieu de cet instant sacré, fondateur du culte marial, d'une petite scène secondaire, qui pourtant, détourne le regard du sujet principal et distrait la Vierge qui n'est plus concentrée dans l'écoute du message divin, mais fort occupée à autre chose !


Ses yeux sont toujours baissés, plus du tout en signe de soumission et d'humilité, mais bien parce qu'elle regarde ailleurs. Ses mains ne sont plus jointes sur le devant de son manteau, seule la senestre retient légèrement celui-ci au niveau du fermail qui en orne le col. L'autre main joint les deux scènes imbriquées comme des poupées russes : elle est dirigée vers le bas, là où regarde Marie, n'écoutant l'Ange que d'une oreille distraite.


Et que fait-elle, qui capte ainsi son attention ? Elle tend une bourse à une jeune fille tout de blanc vêtue, qui lève vers elle un regard plein de confiance et de reconnaissance. Une jolie bourse blanche, ornée de pompons noirs et de cordelettes décoratives, et manifestement très lourde. Une autre bourse de la même manière est posée au pied du lutrin, qui porte le livre de prières abandonné par Marie... un splendide lutrin de bronze, richement cannelé et travaillé, très typique du goût renaissant. La jeune fille qui reçoit ce présent, modestement vêtue et les cheveux ceints d'un foulard torsadé, esquisse de la main restée libre un geste d'étonnement et de recul. Le miracle est patent, et il est naturel qu'elle s'en étonne : la Vierge est en train de lui donner ce qui sera pour elle l'assurance d'un bon mariage et d'une vie honnête et sereine : une dot.


Et elle n'est pas seule à recevoir cette bénédiction mariale ! D'où la présence d'une autre bourse ! Derrière elle, une autre jeune fille, d'allure et de maintien identiques, attend sagement son tour, les mains croisées sur la poitrine, dans l'attitude qui est, d'ordinaire, celle de Marie recevant le message de Gabriel. Une troisième vierge assiste à la scène et, sans doute, a-t-elle déjà reçu son écot puisque nous ne voyons que deux sacs emplis de pièces !

Ces jeunes filles ne sont pas là de leur propre chef : elles sont présentées à la Mère de Dieu par un dominicain agenouillé qui les pousse gentiment vers la Vierge, en levant vers celle-ci un regard ferme et plein d'espoir. On voit à ses genoux un chapeau cardinalice, et l'on sait qu'il s'agit de Juan de Torquemada (mort en 1468, c'est à dire 14 ans avant la réalisation de l'oeuvre... il est d'ailleurs enterré à Santa Maria sopra Minerva), fondateur de la Guilde de l'Annonciation, dont l'objet était de procurer des dots aux jeunes filles pauvres. Ce grand théologien, ardent défenseur de l'autorité papale en face des tenants de l'autorité conciliaire, soutint aussi avec force le dogme, pas encore affirmé, de l'Immaculée Conception (1).
Au total, une oeuvre encore rigide dans sa conception formelle : les petits orants incrustés dans l'Annonciation et Dieu le Père relégué dans la partie haute du tableau, sans grand réalisme, sont singulièrement démodés en 1482. Pourtant, il s'en dégage une douceur, une lumière et une espérance terriblement humaines, pleines d'une foi simple et accessible, loin des préoccupations théologiques et des rigueurs dogmatiques.

On imagine combien l'exposition Barberini aurait pu être intéressante pour mieux connaître ce peintre à la réputation modeste. Mais l'organisation de la communication dans les musées italiens reste toujours aussi aléatoire et confidentielle : on invite la presse, on fait des inaugurations très mondaines mais ensuite, on se moque un peu de la fréquentation. Moi qui geins sur la course au chiffre, je devrais m'en réjouir !!!

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(1) Il faudra attendre le 8 décembre 1854 pour que Pie IX, dans la bulle Ineffabilis Deus, pose cette croyance célébrée par les chrétiens depuis le Moyen Age, comme un dogme de l'Eglise Catholique.


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