MBA de Rouen du 22 Novembre 2013 au 24 Février 2014
Le dessin, après avoir été longtemps considéré comme l'apprentissage fondamental et l'étape incontournable de recherche précédant l'élaboration de l'oeuvre peinte, est peu apprécié par notre époque, éprise de couleurs éclatantes et d'impressions suggérées. C'est pourtant l'occasion pour de nombreux peintres de montrer leur virtuosité et leur sens aigu de l'esthétique que leurs toiles développent. A l'inverse, il est de bon ton, surtout lorsqu'on se trouve en face de peintres que notre époque qualifie de "rigides", aux canons académiques trop marqués (parce que la mode et leurs commanditaires l'exigeaient !) de dire qu'on aime leurs dessins mais par leur peinture. L'approche est, comme souvent, plus sentimentale qu'artistiquement cohérente : on se laisse, à l'inverse, aller à une autre mode, celle qui veut qu'on méprise les toiles d'un style jugé "pompier", aux contours trop léchés, aux compositions grandiloquentes, pour leur préférer les dessins du même artiste qui, eux, sont forcément plus naturels.
C'est oublier qu'un talent ne s'exprime pas hors du temps, mais bel et bien dans son époque, et quand on examine un même thème rendu par des peintres de différentes époques, tous aussi géniaux les uns que les autres, certains nous révulsent et d'autres nous semblent superbes, simplement parce que nous réagissons à fleur de peau en fonction de nos "goûts" et pas en proportion de la qualité du peintre. Ce qui est d'une injustice flagrante car ces hommes peignaient ce que le temps aimait, tout simplement parce qu'il leur fallait vendre pour vivre, entretenir leur atelier et exprimer leurs dons. Notre vision romantique de l'artiste maudit nous brouille souvent l'entendement !! Pour autant, dans le domaine du dessin, l'expression est libre, spontanée, toujours exempte de rigidités ou de trop lourdes conventions, même s'il s'agit d'un dessin préparatoire à une oeuvre qu'on trouvera trop ... ou pas assez ... Bref, le dessin ne nous attire a priori pas, à cause de sa monochromie, mais nous retient a posteriori à cause de son naturel !
L'exposition de Rouen, construite à partir des trésors du musée, limitait au XVIIIème siècle son champ d'observation. La méthode de travail des peintres des Lumières est la même que celle de leurs prédécesseurs. Depuis la Renaissance en effet, le dessinateur détermine l'arrangement général de sa composition en multipliant les esquisses, en s'appuyant parfois sur des croquis pris sur le vif. Ces "premières pensées" (1) sont souvent exécutées d'un trait très libre à la plume et révèlent l'aisance et le talent de l'artiste.
Les personnages principaux, fréquents car le XVIIIème considère la peinture d'histoire comme le genre le plus noble, sont souvent l'objet d'études de détails, presque toujours dans des techniques sèches : sanguine ou pierre noire, parfois rehaussées de craie blanche.
Cela donne des portraits qui sont d'une précision, d'une acuité, d'une intensité spirituelle qu'on ne retrouvera malheureusement pas dans la toile, plus préoccupée de décorum que de finesse psychologique. Le genre de la "tête d'expression", deviendra d'ailleurs un exercice académique à part entière à partir de 1759, mais il découle d'un répertoire très répandu dans l'Europe artistique depuis le XVIème siècle.
Les dessins ainsi réalisés constituent dès lors pour le peintre qui les a réalisés, voire pour l'ensemble de la communauté artistique qui se côtoie souvent de près, surtout dans les ateliers du Louvre où tout le petit monde logé cohabitait joyeusement, une sorte de répertoire, inestimable base de données pour les compositions futures !
L'enlèvement des Sabines vu par différents maîtres et par un anonyme !! Je suis certaine que vous trouverez l'anonyme du premier coup d'oeil ... et que vous identifierez la plupart de ces artistes (solution à la fin de l'article). Dans l'ordre chronologique : Pierre de Cortone (1627), Nicolas Poussin (1634), Rubens (1640), Sebastiano Ricci (1700), François-André Vincent (1781) Jean-Louis David (1799), Pablo Picasso (1962)
C'est oublier qu'un talent ne s'exprime pas hors du temps, mais bel et bien dans son époque, et quand on examine un même thème rendu par des peintres de différentes époques, tous aussi géniaux les uns que les autres, certains nous révulsent et d'autres nous semblent superbes, simplement parce que nous réagissons à fleur de peau en fonction de nos "goûts" et pas en proportion de la qualité du peintre. Ce qui est d'une injustice flagrante car ces hommes peignaient ce que le temps aimait, tout simplement parce qu'il leur fallait vendre pour vivre, entretenir leur atelier et exprimer leurs dons. Notre vision romantique de l'artiste maudit nous brouille souvent l'entendement !! Pour autant, dans le domaine du dessin, l'expression est libre, spontanée, toujours exempte de rigidités ou de trop lourdes conventions, même s'il s'agit d'un dessin préparatoire à une oeuvre qu'on trouvera trop ... ou pas assez ... Bref, le dessin ne nous attire a priori pas, à cause de sa monochromie, mais nous retient a posteriori à cause de son naturel !
Joseph-Ignace-François Parrocel (1704 - 1781) dessin préparatoire à l'Assomption de la Vierge
L'exposition de Rouen, construite à partir des trésors du musée, limitait au XVIIIème siècle son champ d'observation. La méthode de travail des peintres des Lumières est la même que celle de leurs prédécesseurs. Depuis la Renaissance en effet, le dessinateur détermine l'arrangement général de sa composition en multipliant les esquisses, en s'appuyant parfois sur des croquis pris sur le vif. Ces "premières pensées" (1) sont souvent exécutées d'un trait très libre à la plume et révèlent l'aisance et le talent de l'artiste.
Michel-François Dandré-Bardon (Aix en Provence 1700 - 1783), étude de pieds et de mains
Les personnages principaux, fréquents car le XVIIIème considère la peinture d'histoire comme le genre le plus noble, sont souvent l'objet d'études de détails, presque toujours dans des techniques sèches : sanguine ou pierre noire, parfois rehaussées de craie blanche.
Jean-Honoré Fragonard (Grasse 1732 - Paris 1806) , tête de vieillard de face
Charles Parrocel (1688-1752) Tête de soldat avec un tricorne, de profil
Antoine Watteau (Valenciennes 1684 - Nogent sur Marne 1721), étude de femmes, sanguine, pierre noire et rehauts de craie blanche
Nicolas Lancret (Paris 1690 - 1743), les Baigneuses (détail)
Les dessins ainsi réalisés constituent dès lors pour le peintre qui les a réalisés, voire pour l'ensemble de la communauté artistique qui se côtoie souvent de près, surtout dans les ateliers du Louvre où tout le petit monde logé cohabitait joyeusement, une sorte de répertoire, inestimable base de données pour les compositions futures !
Claude-Louis Châtelet (1750 - 1795) Vue de l'île de Capri
Claude-Louis Châtelet, vue des ruines du temple de Junon à Agrigente
Jean-Robert Ango (1717 - 1772) Caprice architectural avec le port de Ripetta et le Panthéon d'après Hubert Robert
Hubert Robert (1733- 1818) Paysage composé
Pour les artistes qui "font" l'Italie, le dessin, souvent rehaussé de lavis pour fixer les impressions et les couleurs, est l'outil idéal : facile à réaliser, facile à rapporter, il constitue souvent au retour une source d'inspiration réutilisée à l'envi dans des compositions parfois fantaisistes mais toujours agréables. C'est ainsi qu'on retrouve les ruines de Tivoli à toutes les sauces, transformées en port, en scène campagnarde ou simplement évoquées. Et les ruines croquées sur le terrain sont autant "d'accessoires" idéaux pour les compositions à l'antique.
Le dessin est aussi, souvent, utilisé en tant que tel, c'est à dire pour produire de petites scènes, parfois locales, qui font office de souvenir ou de reportage. Un chantier, un costume régional, un arbre mort, tout est prétexte pour un peintre à fixer l'instant, quitte à le réutiliser plus tard dans une toile plus ambitieuse.
L'exposition se terminait par un dernier usage du dessin, le portrait. Non plus cette fois comme préparation pour de plus grandes compositions, mais comme un genre à part entière, indépendant, fournissant une souplesse d'exécution et une facilité de réalisation tout à fait propres à rendre les physionomies de la façon la plus fidèle possible. L'occasion aussi, pour les artistes, de démontrer leur aisance et leur habileté.
1 - Jean-Louis David (1799)Jean-Jacques de Boissieu (Lyon 1736-1810) Le Chantier, vue prise près de Savigny
Jean-Pierre Laurent Houël (Rouen 1735 - Paris 1813) Jeune femme coiffée d'une cornette, vue de profil
Jean-Pierre Laurent Houël (Rouen 1735 - Paris 1813) Cave servant d'entrepôt de sel à Dieppedalle, près de Rouen. Jean Laurent Houël est un peintre que nous avons découvert ... en Sicile, dans la mythique chambre d'hôte de l'Eremo Madonna delle Grazie, près de Syracuse, malheureusement fermé maintenant. Les jeunes femmes qui tenaient le lieu, avaient donné à chauqe chambre un nom de français "célèbre", et vous imaginez notre "honte" quand elles nous installèrent dans la chambre Laurent Houël !! Jamais entendu parler... Ayant découvert à l'époque qu'il était de Rouen, nous nous étions promis de corriger cette ignorance et avons ainsi couru les salles du musée pour trouver quelques oeuvres de lui ! Ses carnets de dessin conservés au musée de Roue et souvenirs de son séjour sicilien, sont actuellement en cours de numérisation.
Le dessin est aussi, souvent, utilisé en tant que tel, c'est à dire pour produire de petites scènes, parfois locales, qui font office de souvenir ou de reportage. Un chantier, un costume régional, un arbre mort, tout est prétexte pour un peintre à fixer l'instant, quitte à le réutiliser plus tard dans une toile plus ambitieuse.
Joseph Boze (Martigues 1745 - Paris 1826): portrait de la fille de l'artiste
Elisabeth Vigée-Lebrun (Paris 1755 - 1842) : portrait de l'artiste (autoportrait)
Jean-Baptiste Greuze (Tournus 1725 - Paris 1805 ) Tête de petite fille : l'artiste faisait copier ces "figures d'expression" aux jeunes dessinateurs formés dans son atelier, et l'on en trouve de nombreuses reproductions.
L'exposition se terminait par un dernier usage du dessin, le portrait. Non plus cette fois comme préparation pour de plus grandes compositions, mais comme un genre à part entière, indépendant, fournissant une souplesse d'exécution et une facilité de réalisation tout à fait propres à rendre les physionomies de la façon la plus fidèle possible. L'occasion aussi, pour les artistes, de démontrer leur aisance et leur habileté.
Solution de L'enlèvement des sabines
2 - Nicolas Poussin (1634)
3 - Pierre de Cortone (1627)
4 - François-André Vincent (1781)
5 - Sebastiano Ricci (1700)
6 - Anonyme École romaine du XVIIème
7 - Rubens (1640)
8 - Pablo Picasso (1962)
Et si l'histoire vous amuse, vous trouverez ici le texte intégral de cette sombre histoire racontée par Tite-Live, et sur le web pédagogique, l'analyse complète du mythe.
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(1) Définition de l'esquisse datant de 1759 : « Premières pensées. En italien, macchia. Ce sont de légères esquisses dans lesquelles les peintres se livrent à tout le jeu de leur imagination et se contentent de quelques coups de crayon ou de plume pour marquer leurs intentions, l'ordre et le caractère qu'ils veulent donner à leur dessein. Ces esquisses, lorsqu'elles sont de quelques Maîtres, deviennent précieuses aux yeux d'un connaisseur, parce qu'elles contiennent ordinairement une franchise, une liberté, un feu, une hardiesse, des touches fortes et spirituelles, enfin un certain caractère qu'on ne trouve point dans des dessins plus fins. »