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CÉZANNE ET LES ARTISTES ITALIENS DU XXème SIÈCLE A ROME

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du 5 octobre 2013 au 2 février 2014

Encore une exposition, vue à Rome en octobre dernier et que j'ai bien failli zappée. Sauvée par le gong, il reste encore quelques jours pour la voir, alors ce billet n'est pas ENCORE un retour sur expo ! Ouf...
L'argument de l'expo est l'étude de l'influence que l'aixois a pu avoir sur nombre de peintres italiens du début du XXème siècle. Et le propos, très didactique mais avec élégance, était finalement convainquant. Organisé autour de 4 grandes thématiques : les paysages, les portraits, le nu et les natures mortes, le parcours permettait de comprendre de quelle manière Cézanne inspira ses collègues italiens : cela peut-être un thème, ou une composition, ou encore l'usage des couleurs qui établissent, de façon parfois ténue, et parfois de manière évidente, la filiation entre ces œuvres. Découvert très tôt par les artistes italiens, admiré par nombre d'entre eux, Cézanne devient rapidement pour eux une source d'inspiration, symbole tour à tour d'un vrai classicisme et d'une évidente modernité. Ardengo Soffici contribue même à diffuser l’œuvre de l’artiste français en Italie.
Le peintre Carlo Carrà écrit : "Cézanne est l’initiateur d’une nouvelle façon de peindre". Roberto Longhi, en 1914, le définit comme “le plus grand artiste de l'époque moderne, dont le testament pictural pourrait être celui de Piero della Francesca”. 22 oeuvres de l'artiste français ont été déplacées pour l'occasion, introduisant chacune des séquences de l'exposition et suivies de 80 peintures d'artistes italiens de Ardengo Soffoci à Fausto Pirandello. 

Ardengo Soffici, Paysage

C'est, en effet, le peintre et critique toscan Soffici qui, un des premiers, à la suite du Salon d'Automne de 1904, souligne chez Cézanne la capacité, qu'il admire, de rendre la réalité palpable plutôt qu'une simple reproduction de celle-ci. Sa peinture, dédiée aux paysages de Toscane comme celle de Cézanne l'est souvent à la Provence,  revisite les recherches du peintre français, lui préférant des compositions simples, presque dépouillées. Sa touche picturale se fait plus dense et sa palette s'enrichit de ton vifs et vibrants qui exaltent la compacité des volumes. 


Paul Cézanne, La route qui monte, 1870-1882, huile sur toile, 61cm x 74,3, National Gallery of Victoria
Francesco Trombadori Paysage champêtre - 1908 - Collection privée


Carlo Carrà - L'église romane - 1927 - Collection privée

C'est dans le domaine du paysage que, m'a-t-il semblé, l'influence de Cézanne est la plus notable. Constructions en trois zones perspectives qui étagent la lumière, cadrage panoramique, nature scandée par des constructions prétextes, gamme chromatique évoquant plus l'ambiance qu'une réalité palpable... Le peintre Francesco Trombadori affirme ainsi que Cézanne est "le phénomène le plus complexe et extraordinaire né dans le ciel de l’art européen".

Carlo Carrà - Maison abandonnée - 1930

Carlo Carrà, non content de s'inspirer de la technique de Cézanne s'approprie cette influence picturale en la revêtant d'une certaine mélancolie qui fait sa touche et le rapprochera peu à peu de Chirico. De Chirico qui disait d'ailleurs de Cézanne qu'il était "un artisan qui se fait sa propre opinion des choses et accorde aux objets un regard extérieur".



Paul Cézanne, Baigneurs 1892 ca., huile sur toile, 22 x 33 cm, Paris, Musée d'Orsay, en dépôt au Musée des Beaux-Arts, Lyon © RMN-Grand Palais (Musée d'Orsay) / René-Gabriel Ojeda -

Fausto Pirandello, Baigneurs de dos, 1955. Huile sur carton, cm 101,5 x 69 Collection privée 


Fausto Pirandello, Baigneurs en reflet, 1960, huile sur toile 97x135, Collection privée

Côté nus, les Baigneurs de Fausto Pirandello, le fils de l'écrivain, sont clairement dans la lignée des célèbres composition du maître aixois sur ce thème. L'influence de Cézanne est manifeste, et ce, de façon durable, dans ces corps peints plus de 60 ans plus tard, à grandes touches lâches, vibrants d'une lumière uniforme et un peu irréelle.


Felice Casorati, Le Concert (1924)

Par contre, l'étonnant Concert de Felice Casorati, superbe toile à l'ambiance un peu étrange, rappelle plutôt le Bain Turc de Vallotton, lui-même profondément admiratif d'Ingres, que les Baigneuses de Cézanne, comme on voulait nous le faire penser dans l'exposition.


Félix Vallotton " Le Bain Turc " 1907 Huile sur toile 130,5 x 195,5 cm © Musée d'Art et d'Histoire Genève  (pas à l'exposition de Rome)

Certes, la gamme chromatique est très différente, nettement plus froide chez Vallotton. Mais Casorati est très proche de Vallotton dans la mise en page serré de sa scène, où une femme habillée de sombre, dans l'ombre, regarde d'un air mélancolique 6 jeunes filles nues s'ébattre en toute liberté. On retrouve les mêmes formes arrondies, les chairs illuminées par les reflets d'une toile orange à leurs pieds chez l'italien, par les lueurs glaciales du carrelage chez le suisse. Mais ce qui rapproche le plus les deux toiles c'est l'ignorance absolue du spectateur : aucune femme ne regarde le peintre, toutes ont le regard vers l'intérieur de la toile, concentrées sur la complicité qui les unit.


Paul Cézanne, Madame Cézanne à l'éventail, 1878 - 1888, huile sur toile, 92,5 x 73,5 - Fondation Bührle, Zurich



Umberto Boccioni, Synthèse plastique d'une figure assise (Silvia), 1915, huile sur toile, 84 x 64, Gallerie Nationale d’Art Moderne, Rome

Dans l'art du portrait aussi, Cézanne a une influence notable. Sa façon de "poser" le modèle, puis de suggérer, par une certaine vibration de l'environnement, une ambiance "palpable", languide, arrêtée, lourde d'une mélancolie teintée d'ennui.

Mario Sironi, Autoportrait, 1909 huile sur toile, collection privée

Paul Cézanne, Victor Chocquet, 1877, huile sur toile35 x 27, Virginia Museum of Fine Arts, Richmond 


Amadeo Modigliani, Paul Alexandre devant un vitrail, huile sur toile 81 x 45.6, musée des Beaux Arts de Rouen (pas à l'exposition)

Je ne peux résister à l'envie d'associer à ce rapprochement avec un autoportrait de Sironi réalisé à l’exposition, une autre toile, admirée il y a peu au musée des Beaux Arts de Rouen, peinte par un italien devenu aussi célèbre que Cézanne, et tellement comparable, dans la forme et dans l'esprit au portrait de Victor Choquet. Dans les deux cas, nous avons le portrait d'un ami, d'un mécène, d'un soutien et l'on sait que celui de Cézanne lui prit un temps infini tant il le peaufina, le soigna et voulut à tout prix, avec son perfectionnisme parfois tatillon, le réussir. Celui de Modigliani, stylisé à l'extrême, est le 5ème portrait qu'il réalise de Paul Alexandre, un médecin qui joua un rôle essentiel dans le début de sa carrière et qui fut son premier collectionneur. Peint 15 ans après le portrait de Choquet, il en est à la fois étonnamment proche et fondamentalement différente. De l'oeuvre du maître aixois, il a la composition, presque pyramidale,  la lumière bleutée, la même main à peine esquissée et l'acuité du regard, même Modigliani a évacué les pupilles des yeux du docteur... tout en étant déjà profondément marqué par un style nouveau, la conquête d'une nouvelle forme d'expression.


Paul Cézanne, Le Buffet, 1874-77, huile sur toile 65,5 x 81, Szépmuvészeti Muzeum, Budapest



Giorgio Morandi, Nature morte, 1919, huile sur toile 58 x 60 Collection du patrimoine artistique Eni


Giuseppe Capogrossi, Nature morte, 1946-47 (?), huile sur toile, 58,9 x 72, collection privée

Par contre, dans le domaine de la nature morte, le rapprochement entre Morandi et Cézanne est plus probant. Sauf que Morandi impulse à ses œuvres une réserve, un minimalisme qui, à mon sens, en font autant le fils spirituel de Chardin que le suiveur de Cézanne. Et surtout une personnalité artistique à part entière, qui, ainsi qu'on peut l'apprécier en regardant la toile de Capogrossi, influencera lui aussi les générations à venir.


Paul Cézanne, Paysage bleu, 1904-1906, huile sur toile 100,5 x 81, L'Ermitage, Saint Pétersbourg


Umberto Boccioni, Portrait de Busoni, 1916, huile sur toile, 176 x 121, Galerie Nationale d'Art Moderne de Rme

L'influence de Cézanne ne se lit pas toujours thème à thème : témoin cette mise en parallèle de deux œuvres, éloignées dans l'exposition et pourtant d'une étonnante proximité d'inspiration. C'est ici la palette, au service du paysage chez le maître, reprise de façon presque brutale pour un portrait par l'italien, qui constitue la trame de rencontre entre les artistes. Une palette "sauvage", totalement improbable dans un cas comme dans l'autre, mais d'une évidence foudroyante dès lors qu'on la contemple. Ce paysage d'un bleu tirant sur le mauve sert d'argument principal à Cézanne et, chez Boccioni, sert de fond à l'impressionnant portrait du compositeur Busoni, fond sur lequel ce dernier semble se fondre par la touche et se néanmoins se détache par sa masse brune, compacte et imposante. C'est sans doute l'une des preuves les plus remarquables de l'influence cézanienne sur le monde de l'art et sur les artistes italiens en particulier.

Un sujet dont on se méfiait a priori, craignant de voir dans cette manifestation quelques rapprochements un peu gratuits et racoleurs : Cézanne se "vend" bien à Rome !! Mais finalement, les commissaires de l'exposition ont choisi leur œuvres de façon judicieuse, pas de rapprochements douteux et c'est en général assez convaincant. Surtout, pour nous, cet accrochage avait le mérite de nous permettre de mieux apprécier tous ces peintres italiens du début du XXème, dont on voit de-ci de-là quelques peintures au hasard des musées de la péninsule sans vraiment les connaître.

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