Quand ils ne sont pas en train de courir le vaste monde, enfin, disons la toute petite mais si passionnante France, les Alter-Michelais se livrent, en toute impunité, à leur vice favori, la gourmandise. Un vice partagé avec une de ces unissons qui forment, comme les goûts communs, le ciment des vieux couples. Un vice tellement connu qu'il alimente l'image que leurs amis ont d'eux et permet d'élaborer, comme cela se passe aujourd'hui, un billet "dédicace" de la plus belle eau !
Tout a commencé par le cadeau de Noël de Madeleine à son tendre et cher, Pascal, ébéniste de son état et cuisinier niaquoué devant l'Éternel à ses heures de détente. Avec les talents qu'on lui connait, sous-tendus par son sens esthétique très développé et son perfectionnisme naturel. Le cadeau ?? Un couteau à sushi. Résultat ? L'envie de s'en servir au plus tôt. D'où un déjeuner en famille, organisé chez les Madeleine & Co ce dimanche. Et comme Pascal et Madeleine sont généreux et subtils, ils nous ont très gentiment "apporté le déjeuner".
Prévenus depuis hier, car quand ils sont passé à la maison nous étions en train de fourbir la mique du week-end à consommer donc samedi, quand Madeleine a sonné ce matin, Michelaise s'est précipitée avec des cris de joie à la porte, en criant "Youpi, voilà le déjeuner !". Et de fait, il y avait de quoi pousser des cris d'orfraie, jugez-en plutôt.
- On déjeune dehors !
- Tu crois ?
- Oui, c'est l'occasion de tester notre foyer de table.
Un petit apéro s'imposait, ne serait-ce que pour profiter de la douceur du temps ... et surtout pour profiter des merveilleuses truffes offertes par Marc, délicat souvenir aux effluves enchanteresses des fêtes de fin d'année. Si vous aviez vu notre tête quand nous avons ouvert la précieuse boîte à bijoux qui contenait ce trésor !
Des truffes charentaises, mais ô combien parfumées, que nous avons dégustées en œufs cocottes et en salade de mâche, et qui s'accommodent fort bien d'être tout simplement croquées avec une bouchée de foie gras frais. Le tout accompagné par un petit verre de Maury, ce délicieux vin doux naturel sec de la région de Perpignan, élaboré à partir d'un grenache noir auquel on ajoute un peu d'alcool, en présence du moût et avant pressurage. Un breuvage enivrant qui mérite pareille compagnie.
Plus qu'à s'installer face à cette table royale, dos au soleil, papilles en éveil et en avant la dégustation ! Les makis, sushis et autres sashimis de Pascal dégustés avec les grognements d'aise qui s'imposaient,
furent suivis le dessert confectionné par Madeleine (à se damner), et enfin, un café gourmand.
Là encore, ce n'était qu'une collection de cadeaux divers, les calissons de Koka, la pâte de fruits de GF, en direct de chez Genin, et un morceau de notre fidèle gâteau juif, précieusement conservé en boîte de fer et pas encore épuisé depuis notre séjour romain.
La journée, si bien commencée, pouvait continuer avec allégresse. Par la visite au musée de Royan de l'exposition Photographies de la Reconstruction. Ouf ! il était temps, c'était le dernier jour et nous avons bien failli contrevenir à la règle selon laquelle il est indigne d'aller courir partout si l'on ne prend pas le temps de visiter ce que les environs proches nous offrent.
La ville de Royan peinte par Gaston Ballande en 1945
Une exposition qui a plu aux royannais, ravis de voir des images de "leur" ville, évoquant à certains de nombreux souvenirs. Lorsque, dans les années 50, le Ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme a entrepris une campagne de sensibilisation, de communication, voire même de propagande pour convaincre les populations de la nécessité d'un relogement moderne, voire futuriste, mettant en avant des arguments d'hygiène et de confort, il fit appel à de nombreux photographes, professionnels ou techniciens architecturaux pour réunir des quantités de témoignages photographiques et cinématographiques sur "ce qui se faisait" partout en France.
Il s'agissait de montrer à la France encore meurtrie, le dynamisme de la reconstruction et l’esprit novateur présidant à cette énorme opération d’urbanisme qui allait remodeler Royan comme d’autres villes blessées par le conflit. Images carrées en noir et blanc, trahissant l’utilisation d’appareils photo format 6x6, prises de vues classiques sans fantaisies ni fioritures, absence quasi totale de personnages sur les clichés, ces images un peu froides sont surtout là pour valoriser une architecture qui se voulait novatrice.
Mais pour les gens du "cru" c'est surtout l'occasion de reconnaître les lieux, de se remémorer les évolutions et de se réapproprier leur ville, maintenant reconnue et admirée en tant que création urbanistique à part entière. Eux qui, dans l'immédiat après-guerre, se sont sentis "déclassés", voire méprisés d'être entassés dans des appartements trop modernes, qui ont vu dans les années 80, leurs immeubles décriés quand la mode était aux tours et aux immeubles vertigineux des côtes à la mode, sont aujourd'hui très fiers de cette ville à taille humaine, reconstruite avec mesure et cohérence par un architecte moderne, mais pas révolutionnaire.
En juin 1945, Claude Ferret (1907-1993), professeur et directeur des études de l'école d'architecture de Bordeaux, était nommé, avec Georges Vaucheret, architecte et ancien maire de Royan, comme urbanistes en chefs de la reconstruction de Royan. Le maire M. Dautry, nommé par la Résistance, les reçu en juillet 1945, et leu dit : « Vous avez trois ans pour reconstruire cette ville. Si dans trois ans vous n'avez pas terminé, on vous fera fusiller... ». C'était une boutade bien sûr, il faudra presque 20 ans pour achever la ville.
En attendant, les gens habitaient dans des cités provisoires, plus proches du bidonville que d'un logement décent. Après une campagne de démoustiquage et de dératisation, dès l'été 1946 on envisageait déjà une saison touristique, les trains ayant été remis en service dès le mois de juin. Le déminage des plages n'était pas tout à fait terminé, et on était au milieu des ruines puisqu’il fallut trois longues années pour enlever les décombres.
Claude Ferret était face à un chantier colossal mais exaltant : « La ville détruite, tout le centre de Royan n'existait plus. C'était l'occasion ou jamais de faire une ville un peu plus contemporaine.» C'est l'évolution de ce chantier que montre l'exposition.
Au retour, petite halte au cinéma pour Rêves d'Or, le film de Diego Quemada-Diez, lauréat du prix Un certain talent" dans la section "Un certain regard" de Cannes 2013. Ce prix récompense l'ensemble des acteurs d'une production. Ici, un excellent rail-movie, l'aventure de quatre jeunes guatémaltèques prêts à tout pour rejoindre les États-Unis. Les acteurs, des non-professionnels sélectionnés lors d'un casting de 3000 aspirants acteurs organisé au Guatemala, dans un quartier particulièrement déshérité, sont justes, admirablement dirigés et donnent au film une véritable authenticité, au plus près d'un comportement réaliste de ces jeunes héros malgré eux d'une aventure qui les dépasse. L’équipe du film, tourné dans le sens "chronologique" a dû emprunter les mêmes chemins que ceux qui quittent le pays, une sorte d'hommage aux migrants voulue par le réalisateur. Ce dernier, dont c'est le premier long métrage, a tourné avec Ken Loach et l'on sent, dans le ton de l'histoire, la griffe du maître anglais. "J’ai rencontré, dit-il, des gens merveilleux qui m’ont beaucoup appris, notamment la générosité et la valeur de la fraternité. Je voulais que cette histoire soit vraisemblable tout en ayant une structure dramatique. Je l’ai écrite et réécrite de nombreuses fois. C’est peut-être pour ça que j’ai mis tant de temps à la terminer. Je voulais que le film soit au croisement du documentaire et de la fiction. J’ai fini par comprendre qu’il fallait que je concentre tous les témoignages dans un personnage.". Un film plein d'humanisme et d'empathie, puissant, rigoureux et pourtant plein de poésie, à voir si vous en avez l'occasion.
Alors ? que pensez-vous de ce dimanche michelais ? Extraordinaire non ???
Merci, pour leur participation active à la réussite de cette journée à :
Pascal, auteur du déjeuner
Madeleine, pour le dessert
Marc, pour les truffes
GF pour les pâtes de fruits
Koka, pour les calissons
et Monique pour les petites coupelles, délicatement peintes à la main.
C'était, vous l'aurez compris, un billet dédicace, ou "comment vivre l'amitié sur les bords de l'estuaire" !