Ils nous avaient annoncé leur séparation lors du festival 2012 de Fayence, après un concert mémorable. Tellement mémorable que nous nous étions promis d'aller à l'ultime concert qu'ils donneront le 24 janvier, en présence d'amis et interprètes chers,à la Cité de la Musique. Mais ils avaient aussi annoncé leur intention d'une tournée d'adieu, avec au programme la fameuse intégrale des concerts de Beethoven qui fit notre joie à Fayence, et nous avons donc voulu, une dernière fois, vivre ces moments de jubilation musicale en leur compagnie. Nous avions le choix entre Avignon et Rouen, mais avons finalement dû choisir la Normandie pour des raisons logistiques (concerts en week-end). Et, découverte de Rouen aidant, nous en avons été enchantés.
Un véritable marathon à cordes : sur trois jours, 9 concerts de 2 quatuors à chaque fois, cela peut sembler tenir de l'exploit, tant en termes d'écoute qu'en termes de jeu, mais la concentration, la complicité et l'immense talent de ce groupe ont fait que ce n'était qu'un immense moment d'émotion. Comme à Fayence, plus encore peut-être qu'à Fayence, à cause de la proximité de la séparation du groupe, nous avons communié intensément et sans un instant de lassitude, autour de ce monument qu'est l'intégrale des quatuors de Beethoven. J'avoue que lorsqu'Alter a voulu traverser la France du Sud au Nord pour aller suivre ces concerts, j'ai trouvé que c'était un peu disproportionné. Mais il avait mille fois raison et j'étais prête, dimanche soir, à repartir vers Avignon si cela nous avait été possible.
D'heure en heure, la cohésion du groupe s'affirmait, se reconstituait comme une évidence longue de trente années communes*, et ce d'autant que la partition allait crescendo. Contrairement à Fayence, ils avaient décidé de jouer chronologiquement les 16 pièces, ce qui permettait de mieux apprécier la montée en puissance de ces œuvres, l'évolution de l'écriture de Beethoven, et donnait aux derniers quatuors un relief encore plus saisissant. Leur lecture des partitions, totalement aboutie, donnait le sentiment d'une musique intemporelle, toujours tournée vers l’avenir. Nous avons gravi, avec eux, cet Everest musical (comme l'appelle plaisamment Miguel da Silva), en en redécouvrant, note à note, la diversité, la richesse et l'intensité. Plus les heures passaient, plus la complicité entre les artistes était grande. Et l'émotion, dans le public, palpable.
C'était environ la dixième (et malheureusement avant-dernière) fois que les Ysaÿe jouaient cette intégrale : un parcours complexe et difficile qu'ils ont accompli pour nous avec un engagement hors normes. Le discours musical foisonnant de Beethoven s'est révélé à nous, sous leurs archets, dans toute sa beauté et sa richesse. Le public, d'heure en heure plus attentif et plus ému, leur a fait une ovation qui ne voulait pas finir : ils venaient de nous offrir un de ces moments rares dont on se rappelle, la gorge serrée, des années durant. Et quand ils nous ont joué le dernier bis**, nous avions tous la gorge serrée, eux aussi je pense. Désespérés de se dire que toute cette perfection n'aurait plus l'occasion de nous envoûter, que cette fusion quasi idéale s'était exprimée pour la dernière fois. C'est sans doute très sage de leur part, après 30 ans de "vie commune" de se séparer, de partir chacun de leur côté "vivre leur vie". Ils se quittent à l'apogée de leur talent et on se dit qu'il va être dur d'entendre d'autres quatuors jouer Beethoven après ces instants du pure grâce. On se console en se rappelant qu'ils ont formé tant de jeunes nouveaux ensembles, dont certains sont déjà de tout premier plan***. Mais on ne peut s'empêcher de regretter qu'il s'agisse d'un adieu. Alors gens d'Avignon et des alentours, amis des quatuors, n'hésitez pas, foncez, vous avez la chance de les avoir durant toute la semaine qui vient, pour une toute dernière intégrale !
Quant à nous, nous serons bien sûr à Paris le 24 janvier, mouchoirs à la main, pour leur tout dernier concert. Mais, si beau soit-il, je doute qu'il atteigne en intensité l'émotion qu'ils nous ont offerte durant ces trois journées rouennaises. Ceux dont Yehudi Menuhin écrivit qu'ils étaient "quatre anges musiciens (auxquels) je dois une des plus pures émotions musicales de ma vie" nous ont donné, avec une générosité absolue, le plus grand choc de notre "carrière" d'amateurs de musique de chambre. Qu'ils en soient infiniment remerciés.
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D'heure en heure, la cohésion du groupe s'affirmait, se reconstituait comme une évidence longue de trente années communes*, et ce d'autant que la partition allait crescendo. Contrairement à Fayence, ils avaient décidé de jouer chronologiquement les 16 pièces, ce qui permettait de mieux apprécier la montée en puissance de ces œuvres, l'évolution de l'écriture de Beethoven, et donnait aux derniers quatuors un relief encore plus saisissant. Leur lecture des partitions, totalement aboutie, donnait le sentiment d'une musique intemporelle, toujours tournée vers l’avenir. Nous avons gravi, avec eux, cet Everest musical (comme l'appelle plaisamment Miguel da Silva), en en redécouvrant, note à note, la diversité, la richesse et l'intensité. Plus les heures passaient, plus la complicité entre les artistes était grande. Et l'émotion, dans le public, palpable.
C'était environ la dixième (et malheureusement avant-dernière) fois que les Ysaÿe jouaient cette intégrale : un parcours complexe et difficile qu'ils ont accompli pour nous avec un engagement hors normes. Le discours musical foisonnant de Beethoven s'est révélé à nous, sous leurs archets, dans toute sa beauté et sa richesse. Le public, d'heure en heure plus attentif et plus ému, leur a fait une ovation qui ne voulait pas finir : ils venaient de nous offrir un de ces moments rares dont on se rappelle, la gorge serrée, des années durant. Et quand ils nous ont joué le dernier bis**, nous avions tous la gorge serrée, eux aussi je pense. Désespérés de se dire que toute cette perfection n'aurait plus l'occasion de nous envoûter, que cette fusion quasi idéale s'était exprimée pour la dernière fois. C'est sans doute très sage de leur part, après 30 ans de "vie commune" de se séparer, de partir chacun de leur côté "vivre leur vie". Ils se quittent à l'apogée de leur talent et on se dit qu'il va être dur d'entendre d'autres quatuors jouer Beethoven après ces instants du pure grâce. On se console en se rappelant qu'ils ont formé tant de jeunes nouveaux ensembles, dont certains sont déjà de tout premier plan***. Mais on ne peut s'empêcher de regretter qu'il s'agisse d'un adieu. Alors gens d'Avignon et des alentours, amis des quatuors, n'hésitez pas, foncez, vous avez la chance de les avoir durant toute la semaine qui vient, pour une toute dernière intégrale !
Quant à nous, nous serons bien sûr à Paris le 24 janvier, mouchoirs à la main, pour leur tout dernier concert. Mais, si beau soit-il, je doute qu'il atteigne en intensité l'émotion qu'ils nous ont offerte durant ces trois journées rouennaises. Ceux dont Yehudi Menuhin écrivit qu'ils étaient "quatre anges musiciens (auxquels) je dois une des plus pures émotions musicales de ma vie" nous ont donné, avec une générosité absolue, le plus grand choc de notre "carrière" d'amateurs de musique de chambre. Qu'ils en soient infiniment remerciés.
Dédié à nos "amis des quatuors", Michèle, Annie, Michel et les autres...
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* Fondé en 1984 par des étudiants du Conservatoire de Paris, le quatuor a vu ses membres changer au fil des ans : Guillaume Sutre (premier violon) a succédé à Christophe Giovaninetti, Luc-Marie Aguera (second violon), à Romano Tommasini. L'atltiste Miguel da Silva est le seul qui ait assuré la pérénité de la formation initiale. Côté violoncelle, comme souvent dans les quatuors, les changements furent nombreux : après Carlos Dourthe, Michel Poulet, Marc Coppey et Francois Salque, le violoncelliste actuel est, depuis 10 ans et pour quelques jours encore, Yovan Markovitch
** Sauf erreur de ma part, ce fut le troisième mouvement du quatuor numéro 16 en fa majeur opus 135.
*** Entre autres, les Quatuors Psophos, Ebène, Aviv, Amedeo, Voce et, bien sûr, Modigliani.