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RETOUR SUR EXPOS : GIOTTO ET LAURENCIN

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Giotto, Saint François d’Assise recevant les stigmates, 
Paris, musée du Louvre, département des Peintures (photo © Musée du Louvre)


Giotto e Compagni au Louvre  : 
exposition terminée depuis le 15 juillet 2013

Vite, alors que nous sommes à Paris pour fêter Noël avec notre "poussin" qui tenait cette année à profiter de "son" sapin, il me faut en finir avec les expositions passées. Avec, d'abord, cette exposition qu'il était de bon ton d'avoir trouvée trop légère, ou frustrante, comme si l'on pouvait acheminer en France des dizaines de peintures de Giotto, et comme si des Giotto, fussent-ils mineurs, pouvaient être décevants. Ceux qui ont protesté contre le fait que plusieurs panneaux de l'exposition ne sont qu'attribués à Giotto, ne réalisent pas qu'il est quasi impossible de distinguer aujourd'hui les productions du maître de celles de ses disciples, nombreux, talentueux, et ne manquant pas de mérite. D'autant que le maître gardait l’œil sur tout !

Giotto, Saint François d’Assise recevant les stigmates, détail de la prédelle
Paris, musée du Louvre, département des Peintures (photos © Musée du Louvre)

Avoir réuni au Louvre une quinzaine de ses peintures, dont certaines sont en effet incertaines, mais comment en serait-il autrement, était déjà un événement. Y avoir ajouté une quinzaine d’œuvres de contemporains, était, de plus, une excellente idée pour juger de l'influence du maître. N'oublions pas tout de même que Giotto est l'auteur d'une véritable révolution picturale, primordiale pour l'évolution de l'art. Il assouplit et humanise la raideur encore byzantine de son maître Cimabue, il libère l'artiste des codes anciens, et, après lui, la peinture ne sera plus la même. Peu d’œuvres donc, mais du coup la possibilité de s'attarder sur chacune, longuement : ce sermon aux oiseaux de la prédelle des Stigmates, ne méritent-il pas qu'on musarde tous ces volatiles sagement rangés par couples qui tendent le bec avec confiance vers l'homme de Dieu ?

L'intention des commissaires était de permettre de contempler quelques œuvres du grand toscan mais aussi de faire progresser la recherche concernant son oeuvre et son époque : "Cette exposition-laboratoire examine aussi bien l’évolution de la manière de Giotto, les techniques mises en œuvre dans ses tableaux, le travail de ses assistants – les compagni du titre – ou encore le thèmes récurrents qui l'inspirent" explique Domnique Thiébaud, conservateur général au département de peintures du Louvre.
Les principales oeuvres de cette exposition sont conservées en France, dont trois au Louvre, et nous les avons "fauchées" aux italiens il y a belle lurette puisque certaines ont été achetées par Robert d'Anjou (1309-1343) directement à Giotto pour les offrir aux clarisses d'Aix.

Dieu le Père en majesté, vers 1303-05. 
Padoue, Musei Civici, chapelle des Scrovegni. © Musei Civici


On y voyait aussi des oeuvres prêtées par l'Italie comme ce majestueux Dieu le Père qui vient de Padova. Les teintes douces, presque pastelles, de ce panneau de bois s'expliquent par le fait que, situé au sommet de l'arc triomphal de la chapelle des Scrovegni, il devait paraître se fondre avec les fresques qui l'entouraient.
Rome n'ayant jamais donné de directives précises pour représenter Dieu, pendant longtemps les artistes chrétiens l'ont figuré dans une éblouissante jeunesse, pour mieux marquer son éternité. Mais, à partir du XIème siècle, voulant mieux le distinguer du Fils, l'usage s'est répandu de l'affubler d'une barbe blanche et de quelques rides discrètes. Pourtant, ici, il est jeune, son vêtement blanc immaculé, à peine soutaché de quelques galons d'or le parant d'une majesté indubitablement divine. Le visage, lisse et aux yeux en amande, est d'une imposante douceur. Il ne faut pas s'étonner pourtant de sa jeunesse qui présente, en outre, le mérite de rappeler le dogme de la sainte Trinité en représentant le Fils dans le Père. Pas de colombe pourtant, et c'est bien le Père en gloire, et lui seul, que figure Giotto sur ce trône rosé. Le peintre n'a pas "peur" de représenter ce visage de Dieu dont parlait le Christ à Philippe quand il disait « qui m’a vu a vu le Père ». Une parole fondamentale qu'un homme du XIVème siècle, pétri du mystère de l'« incarnation » de Dieu en Jésus de Nazareth, connaissait et appliquait à la lettre.

GIOTTO, Saint Etienne– vers 1320-1325 ?– Museo della Fondatione Horne, FLORENCE - (c) Cliché SCALA

Une autre peinture prêtée, cette fois-ci par le musée Horne de Florence, est admirablement conservée et présente Saint Etienne, le visage fin et le regard pensif, le crâne discrètement touché par les pierres de sa lapidation. Etienne était un des sept diacres choisis par les Apôtres (Ac 6-7) et c'est à ce titre qu'il tient lelivre sacré, respecteusement recouvert par un pan de sa dalmatique blanche, somptueusement rehaussée de parements somptueux. C'est à ce titre aussi qu'il est condamné par le Sanhédrin à être lapidé, vers l'an 37. Le visage doucement arrondi du saint, ses yeux en amande, l'arrête marquée de son nez fin et délicat, sont autant de marques du talent incomparable de Giotto.

A l'occasion de l'exposition on a pu réunir trois autres panneaux du polyptyque orignal et mieux les étudier, les commissaires proposant aux visiteurs l'hypothèse selon laquelle, ces 4 saints proviendraient de la même composition. Certes, tous ne sont pas aussi bien conservés que le saint Etienne, mais l'étude technique a montré que le fond d'or des 4 œuvres  recouvrait un "bol" préparatoire identique : une couche de peinture rouge, sous une pellicule de peinture verte.




GIOTTO Saint Laurent et Saint Jean – vers 1320 – Abbaye royale de Chaalis, Musée Jacquemart André - (c) Clichés SCALA


Certains panneaux sont très abîmés, comme le saint Laurent, provenant de l'Abbaye de Chaalis et actuellement au musée Jacquemard André. Aucune trace du grill du supplice du saint, condamné à être brûlé vif en 258, mais dans sa main droite, la palme du martyre tandis que la senestre tient l’Évangile, puisque lui aussi est diacre. Sa dalmatique rouge, très ornée elle aussi, s'orne d'une étole sombre portée en sautoir. Le pitoyable état de la couche picturale gâche un peu la lecture de cette pièce, mais les dimensions et le fond correspondent au premier.
De même provenance, le Saint Jean nous est parvenu dans un meilleur état de conservation. Le personnage barbu et à la calvitie marquée est donc l’Évangéliste, parvenu à sa maturité : on l'identifie à ses vêtements traditionnellement rose et bleu, mais surtout à son phylactère sur lequel on peut lire le prologue de son Evangile "Erat Verbum, et Verbum erat apud Dei". On remarque que, perdus dans ce visage à la pilosité foisonnante, les yeux sont plus ronds, marqués de fortes rides d'expression aux coins des paupières.

GIOTTO, La Vierge à l’Enfant– vers 1320 – National Gallery of Art, WASHINGTON - (c) Cliché SCALA

Dernière partie supposée, mais hautement vraisemblable de ce polyptyque reconstitué, la très belle Vierge à l'Enfant, en provenance des Etats Unis. Admirons tout d'abord ce visage harmonieux, d'une modestie sans mollesse, d'une sérénité lumineuse. Marie regarde le spectateur, je dois dire ici le fidèle et c'est "celle qui montre le chemin". Elle tient l'enfant très droit sur son bras, mais, contrairement à l'iconographie la plus courante de ce type de Madone, elle ne le montre pas du doigt. Vêtue d'un manteau d'un bleu profond, au revers vert chatoyant, elle porte sous son voile une coiffe rouge, comme le veut la tradition byzantine, tradition qui explique aussi l'étoile sur son épaule. Elle soutient sans effort l'Enfant de sa main gauche dont Jésus tient fermement l'index, avec cette confiance propre aux tout petits, mais peut-être avec une intention symbolique : se désignant ainsi au fidèle comme victime du sacrifice voulu par Dieu. Sacrifice évoqué par les épines de la rose blanche que Marie tient dans sa dextre et tente, vainement, d'éloigner de lui.

Avouez que nos semblables sont fort gâtés ou fort difficiles pour, en s'en tenant à ces simples peintures, se plaindre de la modestie de l'exposition. Sommes-nous si gavés qu'un événement de cette importance, rapprocher les parties probables d'un polyptyque démembré depuis des siècles et dont les pièces se trouvent aux quatre bouts du monde, leur paraisse insuffisant ?? Moi, j'avoue que j'ai trouvé cela assez étonnant pour justifier la visite.


Madame André Groult, née Nicole Poiret, vers 1913 
Tokyo, musée Marie Laurencin


Marie Laurencin au musée Marmottan : 
exposition terminée depuis le 21 juillet 2013

Marmottan offrait là, au visiteur surpris, une exposition dépaysante !! Vous ne le croirez pas, mais on avait l'impression d'être à Tokyo ! A peu de frais, je vous l'assure... le secret de cet exotisme imprévu ? Il me semble avoir compris que, du vivant de Marie Laurencin, Masahiro Takano, un riche industriel japonais qui venait souvent en France, ait rapporté un jour à son épouse, en "souvenir de voyage", une toile de Marie Laurencin, toile qu'elle apprécia tant qu'il résolut ce jour-là définitivement l'épineux problème du cadeau souvenir : dès lors, il lui apporta à chaque fois un nouveau Laurencin. La légende familiale, il en faut une pour habiller le placement de rêve, veut que cette passion commune du couple pour les toiles de Marie soit due au fait que n'ayant eu que des fils, ils auraient craqué pour les jolies jeunes femmes de l'artiste française. Tant et si bien que, même après la mort de l'artiste, il continua à chercher et à acquérir nombre de ses œuvres, constituant une collection unique et complète qui fait date. 

Femme en bleu, vers 1902-1903
peinture sur porcelaine, Tokyo, musée Marie Laurencin 

D'autant que en 1980 Masahiro Takano acheta aux enchères, lors de la succession Susanne Moreau-Laurencin, tous ses manuscrits et archives personnelles. C'est ainsi qu'en 1983, il construisit à Tokyo un musée, entièrement dédiée à l'artiste, musée qui fête donc cette année ses 30 ans, et dont le fils de Takano, Hirohisa Takano-Yoshzawa, a prêté un nombre impressionnant d'oeuvres à Marmottan. Le musée, qui avait au départ environ 100 pièces, provenant de la collection personnelle du fondateur, a considérablement grandi et possède actuellement plus de 500 oeuvres, couvrant toute la carrière de Marie et comportant, outre des peintures, des aquarelles, dessins et gravures, ses carnets de croquis d'étudiante en art, ses effets personnels, sa correspondance et même les bulletins de ses années de lycée !

Grâce donc au prêt nippon, nous avons disposé à Paris de la première rétrospective d'envergure de l'artiste. Mais s'il est indéniable que Marie Laurencin a un style, une "patte" qu'on reconnait à coup sûr, on a le sentiment, en visitant cette exposition, qu'elle n'a pas su transcender ce style, qui plaisait et la faisait vendre, être connue et reconnue. Style qu'on apprécie quand on en voit un ou deux exemplaires mais qui lasse quand on en voit des dizaines, avec la fâcheuse impression que l'artiste reproduit une "recette" qui marche, sans aller plus loin dans sa démarche artistique. 

Autoportrait,  vers 1905 
Paris, musée d’Art moderne de la Ville de Paris

Pourtant, le début de l'exposition était passionnant, car durant sa jeunesse Marie se cherche et fait preuve d'un réel talent. Après avoir commencé sa carrière, il fallait bien rassurer sa maman qui l'avait rêvée institutrice, comme peintre sur porcelaine, elle s'essaie à l'huile et y réussit fort bien hésitant avec bonheur entre cubisme et fauvisme. 

Portrait de Picasso, 1908

Les toiles que l'exposition présentait de cette période-là étaient remarquables, pour leurs camaïeux, la fermeté de la fameuse ligne noire, l'originalité des compositions, bref, un talent qui s'annonce. 

Les Jeunes Filles, 1909
Stockholm, Moderna Museet

Et puis, après une jeunesse artistiquement et affectivement mouvementée, elle se marie, avec un allemand francophile. Lorsque la déclaration de guerre les surprend, ils sont en voyage de noces sur la côte basque. Désorientés, ils suivent le mouvement et se retrouvent à Madrid, exilés, bannis : lui ne veut pas combattre la France, elle est déchue de sa nationalité. 


Ces tristes années d'exil semblent lui avoir coupé le souffle. Elle a du mal, picturalement, à "repartir". Et lorsque, au retour, elle trouve son style, elle en use et en abuse. Comme d'un expédient alimentaire qui lui permet de vivre, bien, mais son art se fige. Et dès lors, la succession de ces toiles un peu répétitives ennuie. Et l'on défile devant sans que l'attention réussisse à être accrochée. On revient alors s'attarder dans les premières salles pour y admirer ce talent en devenir. Le potentiel évident de Marie s’effiloche au fil des salles, comme si elle avait renoncé à son talent pour un art de bon aloi, qui lui a assuré une vie mondaine réussie ! Une exposition facile à visiter, agréable, dont on repartait enveloppé d'une gaze rose et bleue, avec des impressions fugaces de visages à l'air mélancolique, aux yeux vaguement clos, se superposant et emmêlant leurs aplats monotones et leurs courbes identiques.


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