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Les Zurbarán de Séville

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Nous sommes heureux de voir paraître, selon ce que Michelaise avait programmé, les derniers articles rédigés avant son décès. Le dernier paraîtra le 15 septembre.


Le père éternel 1636

Pour mon (encore) récent passage d'une dizaine à l'autre, mes deux poussins se concertèrent et décidèrent de marquer l'événement par un week-end en famille : charme de la découverte et plaisir de se retrouver "entre nous", l'idée était merveilleuse. Mais qu'offrir à une maman qui ne connait, ne pratique et ne jure que par l'Italie ?? Un week-end à Séville ! Avec interdiction totale d'avoir à "préparer" quoi que ce soit, week-end tout organisé par les minettes, la maman fut priée de s'en remettre entièrement à elles. Ce qu'elle fit volontiers, mais, levant discrètement le doigt et d'une voix timide, elle demanda tout de même "une après-midi de libre" (ce qui, de fait, avait été prévu par les coquines) afin, dit-elle, d'aller visiter le musée des Beaux-Arts de la ville. Musée qui renferme une des plus complètes collections de Zurbarán qui soit. Cela aurait été dommage d'avoir couru à Bruxelles, justement pour une exposition de ce peintre et d'avoir "pondu" sur ce blog pas moins de 5 articles sur ce maître espagnol (1), et de négliger les toiles de sa ville d'élection. La permission fut donc accordée et cela vous vaut, amis lecteurs, un nouvel article sur ce peintre récemment (enfin relativement !!) remis en lumière


Un couloir du musée est consacré aux "fameuses" représentations de saintes, de la main du maître ou, souvent, de celle de son atelier, à destination du Nouveau Monde. Un commerce florissant qui permit au peintre, un peu à court d'argent, d'exécuter des "séries" pour l'exportation, à moindre prix, à l'iconographie moins exigeantes et visant une clientèle plus vaste. les saintes, vêtues comme des "dames" de l'époque, appartiennent à un registre aimable. Les unes arborent d'élégantes robes, et d'autres, avec la coquetterie propre aux personnages de romans pastoraux, s'habillent de manière rustique. On peut supposer que ce sont des dames qui, par dévotion ou peut-être par discrétion vis à vis de la haute aristocratie, se faisaient portraiturer sous les attributs de leurs saintes patronnes. La texture, le reflet des satins, des soies, des laines et des fils sont rendus admirablement ainsi que les objets symboliques des saintes. La reproduction fidèle d'une élégance naturelle fait de ces tableaux, plutôt que des scènes dévotes, des témoignages de la mode vestimentaire de cette époque, mais aussi, accessoirement, du théâtre classique espagnol où la femme joue un rôle très important. La série sévillane n'est pas, de loin, la plus remarquable, trop de toiles ayant été fabriquées par les élèves !


Le répertoire du peintre est, ici, exclusivement religieux et Père Éternel, Vierge à l'enfant ou, sujet peu représenté...


... Christ couronnant Saint Joseph (1636) émaillent le parcours jusqu'aux œuvres les plus importantes. Toutes témoignent du style austère et très naturaliste, quoiqu'empreint d'une exceptionnelle spiritualité, du peintre.

Vers 1640

Trois Christ crucifiés se répondent à travers les salles. Célèbres pour avoir inspiré Salvador Dali, tous obéissent à une iconographie semblable : fond noir, croix parfaitement centrée sur la toile, occupant toute la largueur du tableau, lumière violente venant de la gauche qui inonde le corps écartelé, pieds posés à plat sur l'instrument du supplice. Un détail signé Zurbarán, le Christ porte 4 clous, car les deux pieds sont séparés et non 3 comme le veut la coutume iconographique, dans laquelle une seule pointe immobilise les deux pieds regroupés. Exemple que suivront Velasquez et Goya. Mais elles présentent de subtiles variantes qui disent des moments différents dans l'agonie du crucifié. Celui du rez-de-chaussée est encore vivant, les yeux levés au ciel dans un dernier sursaut de supplication. Le linge qui ceint ses hanches est sobre, la tête inclinée vers la droite révèle un regard désespéré qui implore le Ciel.

Vers 1630-1640

Celui de l'étage est dit "agonisant" : son visage, incliné vers la gauche, est relativement serein, et son perizonium éclatant de blancheur, bouffe autour d'un corps athlétique, aux muscles pleins et à l'allure juvénile. Pas de souffrance dans cette représentation paisible.


Vers 1635-1640

Le dernier au contraire, (1635-1640) est l'image de la douleur. Teintes verdâtres, muscles tendus à l'extrême, tête tombante, torse creusé, il évoque irrésistiblement l'agonie et la mort. Il a été restauré depuis peu. Ce qui a permis de découvrir que l'inscription latine « JESVS NAZARENVS REX IVDEORVM » figurait aussi en hébreu et en grec. Ces trois Christ, chacun à leur manière, sont saisissants de simplicité et touchent le chrétien, voire le simple spectateur par leur absolue avec une économie de moyens. Le sujet, parfaitement centré, sur un fond presqu'uniformément sombre, se concentre uniquement sur l'essentiel. Le bois de la croix à peine visible se dessine à partir de contrastes tout en finesse, pour mieux mettre en valeur le corps du Crucifié. Le corps, sculptural dans le premier, presque sensuel dans le second et réduit à l'état de cadavre dans le troisième, est statique, comme offert, disant douleur et sacrifice consenti. Le sentiment religieux qui émane de ces trois oeuvres est puissant mais sobre et invite à la dévotion et au recueillement, au silence tout au moins. 

Saint Hugues au réfectoire des Chartreux 1630-1635

Saint Hugues au réfectoire des Chartreux est, comme souvent avec Zurbarán, une oeuvre difficile d'approche. La composition est presque quadrillée : aux deux fortes horizontales de la table et du cadre de la toile qui orne le réfectoire, répondent les verticales des corps des Chartreux, de saint Hugues et du page, soulignées par les plis verticaux de la nappe. Mais Zurbarán introduit une cassure en présentant une table en L, recouverte d'une nappe retombant presque à terre. Le page est au centre, le corps voûté de l'évêque à droite et le retour de la table à gauche, ôtent tout sentiment de rigidité qui pourrait naître de cette scène austère.


D'une grande sobriété cette peinture se présente comme une partition, au sens musical du terme, de blancs, de gris et de brun. Proche d'une grisaille puisque les habits des moines ne sont relevés par aucun détail pittoresque (même la porte ouverte à droite, qui évoque le "voyageur" n’ouvre pas sur un paysage mais sur un mur), la toile ne présente comme éléments colorés que le tableau suspendu dans le réfectoire au-dessus de la tête de l'abbé et qui représente, on imagine volontiers que ce n'est pas fortuit, d'un côté une Vierge à l'enfant se reposant sous un arbre au tronc brisé (2) et de l'autre Saint Jean Baptiste montrant Jésus (le Baptiste étant le patron de l'ordre). Cette mise en abyme constitue un tableau à part entière dans le tableau principal.


Les sept premiers Chartreux (ils sont tous là !), dont Bruno, le fondateur, étaient nourris par saint Hugues, alors évêque de Grenoble. Un jour, ce dernier leur fait parvenir de la viande et le cuisinier, pensant bien faire, la sert le dimanche de la Quiquagésime. Les moines se demandent s'ils vont accepter d'en manger; la règle de l'abstinence n'étant pas encore fixée par les 7 compagnons. Au cours de leur discussion, ils tombent dans un sommeil extatique. Ils ne se réveillent que le jour du Mercredi des Cendres, alors que saint Hugues prévenu de leur étonnant sommeil a décidé de venir les voir. Lorsqu'il arrive, les Chartreux à peine éveillés, sont attablés devant de la viande. Scandale : on est en plein Carême. Saint Hugues surgit, constate l'infraction et demande,courroucé, à saint Bruno s'il sait la date liturgique du jour. Ce dernier lui donne une date de quarante-cinq jours antérieure et explique l'objet de leur débat. Saint Hugues se penche alors vers les assiettes et voit la viande se transformer en cendre. Les moines décident que la règle interdisant de manger de la viande ne souffrira pas d'exception.



Les moines viennent juste de se réveiller, ils ont encore l'air très concentré, les regards sont graves et les gestes retenus ...


... aucune gêne, aucun embarras dans leurs physionomies. Ils ne sont pas pris en faute maias parfaitement conscients de l'enjeu de leur discussion. Zurbarán croque de beaux portraits aux yeux baissés et aux traits paisibles, certains sont encapuchonnés, d'autres ont la tête nue.


Quant à Saint Hugues, assez sobrement vêtu pour un évêque (surplis et rochet gris-bleu), il est tout courbé par l'âge et par la fatigue du voyage. Il s'appuie sur sa canne, pendant que son petit page, porte son manteau sombre. Tous deux sont carrément ébahis du prodige, regardant les assiettes avec étonnement : la viande, encore rouge dans les écuelles, est en train de se transformer en cendres. Saint Hugues en a la bouche béante !!!


Sur la table des moines, le peintre brosse une superbe nature-morte. Devant chaque chartreux sont disposées des écuelles en terre cuite contenant de la viande, tandis que, posées sur des serviettes immaculées reposent de belles miches de pain. Deux pichets en terre cuite, un bol retourné et deux couteaux abandonnés (ils devaient servir à couper la viande) complètent la composition. Cette faïence était, semble-t-il, fabriquée à Triana dont les ateliers de céramique étaient voisins du monastère pour lequel cette composition fut peinte.


Les pichets sont ornés d'un blason qui, malgré ses étoiles (3) ne me semble pas (contrairement à ce qu'on dit) être celui de l'Ordre : on n'y compte d'ailleurs que 5 étoiles au lieu des 7 traditionnelles et il ne comporte pas de croix. Par contre, il s'orne d'un chapeau d'ecclésiastique à large bord, accompagné d'une cordelière, dont le nombre de nœuds (houppes, aussi appelés glands, ou fiocchi) indique un haut rang : sans doute pour symboliser Saint Bruno, en tant que supérieur de l'Ordre.


Dans la majorité des assiettes, la viande n'est pas encore transformée en cendre et pourtant Hugues montre l'une d'entre elle où l'on distingue une couleur grise qui montre la décomposition du mets. C'est ce qui provoque son ébahissement, non partagé par les chartreux qui prennent le phénomène pour naturel, avec foi et sérénité ! Certains ont voulu voir dans le geste de l'évêque le signe de sa colère en voyant que les moines mangeaient de la viande, mais il me semble que sa mâchoire tombante montre que le miracle commence juste à se produire au bout de son doigt vengeur.


La visite de saint Bruno au pape Urbain II (1655)

Dans la visite du même Saint Bruno au pape, peinte elle aussi pour le monastère de Triana, la mise en scène est nettement plus riche (normal, on est chez le pape !!). Le décor se présente comme une scène de théâtre délimitée par des draperies. Un dais mordoré aux riches glands d'or est placé au-dessus de la tête du pape, tandis qu'à droite un rideau rouge aux plis soyeux semble prêt à tomber d’un moment à l’autre pour laisser les personnages seuls dans leur conversation. Au sol, un élégant tapis à dessin mudéjar. La toile figure un entretien de saint Bruno avec le pape Urbain II. Assis en face, mais à quelque distance l’un de l’autre, dans une vaste salle soutenue d’un pilier et éclairée au fond de deux larges fenêtres, les personnages sont installés sur des sièges qui conviennent à leur rang. Le pape est assis sur un fauteuil tandis que Bruno est sur un escabeau. Tabouret qui rappelle que le pape lui offrit vainement un siège épiscopal, n'obtenant pas malgré cet honneur, qu'il renonce à la solitude. Tous deux sont graves, d’une raideur imposante, pleine de l’humilité et de l’onction sacerdotales. Une belle lumière les enveloppe et les met en relief. 



Une très sobre nature morte se déploie entre les deux hommes, sur une nappe grise aux plis marqués. Des livres à la tranche d'un rouge vif, inattendu, une clochette posée près du bras du souverain pontife et un encrier avec deux plumes, qui suggère une signature ou au moins un accord. Car en fait, au bout de six ans de vie en Chartreuse, désormais renommé, Bruno est appelé par le Pape Urbain II, l’un de ses anciens élèves de Reims. Mais on sait qu'aucune règle n'est alors rédigée (4) : le Pape l'a seulement convoqué pour l’appuyer de ses conseils. Le Pape, conscient de la vocation profonde de Bruno, lui accorde l'autorisation de créer un nouvel ermitage de silence et de solitude en Calabre, où le saint se retirera avec ses frères.



Saint Bruno, auréolé d'une discrète lumière, méditatif, est d'une immobilité parfaite, presque statufié. Alors qu'en face de lui Urbain laisse apparaître mains et pieds : légèrement tourné vers le spectateur, il semble beaucoup plus "présent" dans le siècle, plus "vivant". Derrière Bruno, deux personnages : l'un aux yeux humblement baissés, semble avoir la taille d'un enfant (il ne dépasse pas le saint qui, lui, est assis). Derrière lui l'autre, nettement plus grand, est entièrement caché par sa soutane grise. Seul son visage se tourne vers nous, vers l’extérieur, nous invitant par ce signe à participer à la scène qui se déroule dans la pièce aux riches pilastres sculptés dans le marbre.



Le tableau est à la fois somptueux et aride, et l'opposition entre le statisme du saint et la richesse du décor de la cour pontificale rappelle le renoncement et le silence qui président à l'esprit de l'ordre des Chartreux. Le peintre a fait prévaloir l'idée morale sur la vraisemblance historique et ne fait aucune concession esthétique pour séduire le spectateur, l'ensemble peut sembler raide, voire maladroit : cependant si l'on observe attentivement le visage de Bruno, on est ébloui par la virtuosité de ce portrait terriblement vibrant et retenu.

La vierge de Las Cuevas

La Vierge des Chartreux est le troisième grand tableau que Zurbarán réalisa pour la chartreuse de Triana et qui se trouvait encore dans la sacristie de ce monastère à la fin du XVIIIe siècle. L'achaïsme apparent de ce grand tableau est frappant : il se situe dans la droite ligne des Vierges de Miséricorde à manteaux, si courantes au Moyen Âge et à la Renaissance. Marie est ici revêtue d'une ravissante robe d'un chaleureux rouge orangé et elle porte un grand manteau bleu ciel, orné d'un large galon d'or.


Ici, autour de la Vierge dont deux anges attentifs soulèvent la lourde cape retenue sur la poitrine par un somptueux fermail, ce sont des chartreux qui sont agenouillés sous sa protection bienveillante.


La tête légèrement penchée vers la gauche, ce qui met sa couronne en équilibre instable, elle étend les bras et pose une main maternelle sur la tête des deux moines agenouillés au premier plan, l'un d'entre eux étant forcément Bruno. L'ovale parfait de son visage souligne son air très doux, presqu'enfantin.


Souriante, un peu princesse lointaine, elle se dresse avec grâce au milieu d'un semis de roses largement épanouies et de simples fleurs des champs.


Tous les visages sont tendus vers elle, remarquez : aucun distrait parmi les moines. Tous la regardent avec une confiance et un élan bienheureux. 


Le peintre se livre encore ici à une série de portraits absolument saisissants : jeunes, vieux, frères lais, hommes de peine, moines, supérieur, tous lèvent les yeux avec amour vers leur protectrice. Plus rien de médiéval dans ces visages lumineux, admirablement sculptés, clairement diversifiés et si justement réalistes.Quel portraitiste !!

Triomphe de saint Thomas d'Aquin 1631

Cette immense toile était, quant à elle, destinée au Colegio de Santo Tomás, sorte d'université dominicaine fondé au siècle précédent sous le patronage de Charles Quint. C'est le plus grand tableau qu'ait peint Zurbarán, toile votive, oeuvre de dévotion et commémoration d'histoire. Saint Thomas, baigné des rayons que verse sur sa tête l'Esprit-Saint, apparaît comme le cœur, le centre visuel de la composition, comme le nœud qui réunit les différentes parties. Il est comme le sommet de la pyramide dont la base est formée par deux groupes terrestres. La partie céleste dans laquelle il se dresse, s'éclaire du triomphe de la sagesse éclairée par l'Esprit.  


Vêtu de noir et de blanc, le dominicain arbore un collier d'or fermé par un monogramme du Christ. Les yeux levés vers le Ciel, il laisse sa plume suspendue en l'air, attendant la dictée par l'Esprit Saint pour prendre des notes dans le livre qu'il tient dans la main gauche. Ce serait un prébendier du collège, un pur, un simple, pas un intellectuel en tout cas, qui aurait posé pour le peintre, jeune homme au visage poupin, les cheveux drus et frisés, bouche ouverte, air un peu simplet et regard en extase.


Dans le ciel, deux groupes occupent les nuages, de part et d'autre de la colombe : à gauche le Christ portant sa croix et la Vierge bénissant Saint Dominique, assis de l'autre côté, à côté de Dieu le Père. Ils sont un peu flous. Dessous, de part et d'autre de Saint Thomas, 4 docteurs de l'Église : Saint Ambroise, Augustin, Jérôme tout de rouge vêtu et Grégoire discutent ferme, le doigt pointé vers les textes sacrés. Parés de lourds ornements sacerdotaux, leurs visages sont peints avec une rudesse qui n'exclut pas un certain raffinement.


Dans la partie terrestre, la toile donne la place d'honneur à l'événement que commémore la composition : le centre en est occupé par la table où s'étale, sur un tapis d'un beau rouge foncé, l'acte de fondation de l'ordre dominicain. Et exceptionnellement, entre le texte et le sceau, Zurbarán a apposé sa signature. 


Le groupe terrestre de gauche est une série de portraits ecclésiastiques : derrière Diego de Deza, le fondateur du couvent, visage tendu, ardent, mains jointes, trois dominicains. Un jeune homme au nez un peu rouge qui regarde le ciel avec une certaine impatience. Près de lui, un homme chauve, au visage osseux, tend lui aussi ses mains en prière. Presque dans la pénombre le troisième larron est dans la force de l'âge, visage autoritaire et inspiré tourné vers les nues.


À droite, en pendant, de nouveau 4 hommes : devant, l'empereur, avec sa tiare et, sur son armure, une chape d'or quasi pontificale. Et comme la suite du dominicain présentait les trois âges de la vie, ici trois types de serviteur du pouvoir : le guerrier, l'administrateur, tous deux avec de larges moustaches, et entre eux, son bonnet à la main, le jeune docteur de Salamanque, secrétaire ou légiste au visage déjà un peu empâté.


Cette page grandiose est peinte avec une vigueur étonnante, magistrale, majestueuse, quoiqu'un peu froide. C'est un hommage purement intellectuel au docteur angélique auquel Pie V avait, en 1567, décidé d'accorder les mêmes honneurs qu'aux 4 docteurs de l'Eglise Latine.

Bx Henri Suso

Un autre dominicain  remarquable a été portraituré par Zurbarán pour le  retable du transept du couvent de Santo Domindo de Porta Coeli. Il s'agit d'une figure peu représentée dans l'iconographie classique : le bienheureux Henri Suso (1295-1366). Grand mystique allemand du Moyen-Âge, il est connu pour avoir répandu la mystique rhénane de Maître Eckhart.
Il y vivait d'une manière plutôt relâchée jusqu'à l'âge de 18 ans, quand il eut une vision qui l'amena à se convertir. Il se livra alors à de très grandes austérités, si bien qu'il frôla la mort à 40 ans. À cette époque, alors qu'il voyait un chien jouer avec un bout de tissu, il vit un signe de la Providence l'appelant à vivre des pénitences non plus extérieures mais intérieures, et, dès lors, il jeta les instruments dont il se servait pour s'infliger ses pénitences.


Visage jeune, chevelure abondante, sombre et bouclée, yeux levés vers le ciel, il porte un manteau noir qu'il écarte de la main gauche pour graver sur sa poitrine le monogramme du Christ, HS, sur sa poitrine. Episode de sa biographie qui semble avéré et antérieur à son assagissement !


Derrière lui, dans un paysage d'arbres et de rochers très italianisant et dont Zurbarán n'est pas vraiment coutumier, on découvre des dominicains en conversation au pied d'un ermitage. Celui qui est débout semble très véhément, il parle avec les mains, tandis que l'autre, assis, l'écoute avec attention rêveuse. A moins qu'il ne se soit endormi et que le premier ne soit en train de le sermonner sur son inattention !


De l'autre côté du saint, dans un paysage de bord de rivière, un frère se repose auprès d'une source : il médite et son visage appuyé sur la main ressemble étrangement à celui de son frère de gauche !


Une dernière scène, un peu mystérieuse, montre un ange à la robe rose, descendu de cheval et progressant au milieu de huttes éparpillées dans la montagne. Peut-être l'ange gardien de la communauté dominicaine.


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Notes :

(1) Voir :
Zurbarán : la (re)découverte
Zurbarán : sa vie 
Zurbarán : l'exposition BOZAR (1)
Zurbarán : l'exposition BOZAR (2)
Zurbarán : l'exposition BOZAR (3)

(2) Le fondement de la théologie des dons du Saint-Esprit se retrouve dans le livre d'Isaïe (11; 1-3) :
Un rameau sortira du tronc brisé d'Isaïe et un rejeton poussera de ses racines... et sur lui reposera l'esprit de Yahweh, l'esprit de sagesse et d'intelligence, l'esprit de conseil et de force, l'esprit de science et de crainte de Yahweh, et il respirera dans la crainte de Yahweh...
L'arbre de la toile du réfectoire applique cette parole à la lettre !


(3) Le blason de l’ordre, attesté dans des documents dès le XIIIe siècle, comporte normalement un globe surmonté d’une croix entourée de sept étoiles. Par humilité, les étoiles sont parfois placées sous le globe. Elles symbolisent Bruno et ses 6 compagnons dont l’arrivée à Grenoble fut annoncée par un songe prémonitoire où l’évêque saint Hugues rapporte avoir vu sept étoiles. 
C'est à ce blason que fait référence la devise informelle de l'ordre des Chartreux, apparue plus tardivement : « Stat Crux dum volvitur orbis » (« La croix demeure tandis que le monde tourne »). Elle n'a aucun caractère officiel.

(4) C’est Guigues, cinquième prieur de l’ordre, qui entreprendra de la rédiger vers 1125.

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