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Channel: Bon sens et Déraison
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Détresse et Subutex : ça suffit comme cela. (Ver)Non !!

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Je ne cesse de bassiner mon entourage en racontant à qui veut les entendre mes hauts le cœur à la lecture d’un roman qui fait florès et captive la critique, au point d’avoir déjà décroché au moins deux prix littéraires : Vernon Subutex I de Virginie Despentes. Et d’expliquer à tout un chacun combien cette « légende urbaine » m’attire et me rebute. C’est une sorte de mille feuilles qui empile, comme le ferait un collectionneur d’insectes un peu maniaque, des exemplaires d'« humanité » tous plus glauques et rebutants les uns que les autres.  


Le « héros » est un ancien disquaire qui a grenouillé dans le milieu peu reluisant d’une musique à laquelle j’avoue ne rien entendre mais que j’ai, comme tout lecteur qui se respecte, admise comme telle. C’est plutôt en l’espèce un anti-héros, « ange déchu » qui traîne son chômage comme un boulet qui le prive de tout repère social, jusqu’à devenir, clochard. Il commence comme SDF, le jour où il se fait virer manu militari par un propriétaire lassé de ne plus être payé. Il essaie dans un premier temps, de squatter discrètement chez les uns et les autres, et c’est cette errance qui nous vaut une galerie de portraits tous plus hallucinants les uns que les autres. L’auteure les décrit sans fioriture, d’une plume acérée et presque vengeresse : minables, désespérés parfois, souvent terriblement seuls : de l'ex-bassiste rancunière au pseudo scénariste facho, raciste et looser, en passant par le transsexuel ex-star du porno qui rêve de séduire une ancienne partenaire, le bourgeois accro à la came, le beur bien intégré dont la fille, étudiante en droit fiscal, se voile, le tordu qui tabasse sa femme au motif qu’il l’aime trop, le brésilien devenu une superbe minette qui fait fantasmer tous les hommes… j’en passe et de pires. Et Vernon, lucide, blasé et froidement indifférent, déambule de l’un à l’autre, sur fond de rock'n roll, en traînant son cynisme et ses superbes yeux bleus. Le lien entre tous ces affligeants exemplaires d’une humanité qu’on a, du fond de sa riante province, du mal à imaginer, c’est Alex Bleach, une star de la musique qui vient de mourir d’une overdose dans sa baignoire. Tous l’ont connu et le haïssent sans détour, ce qui ne les empêche pas d’être choqués par sa mort, qui les renvoie à leurs propres fantasmes, à leurs errances et à leur angoisse.



Votre innocente Michelaise, au milieu de ce sordide fatras humain, peine, éructe, sursaute, proteste. Et explique à Alter chaque matin, après avoir ingurgité la veille au soir, au point d’avoir du mal à s’endormir, sa dose de haine et d’improbables sentiments, combien tout cela la rebute. Et Alter, censé, lui demande pourquoi elle continue ?

Simplement parce que c’est addictif cette accumulation d’extrêmes, cette hargne, ces tranches de vie qui heurtent et blessent le bon sens et qui s'assemblent, se rassemblent, se séparent en tranches qui s'empilent, se complètent, se rejettent et se font mal. Cela exerce sur la naïve que je suis une sorte de fascination malsaine à laquelle j’ai du mal à me soustraire. Comment autant de rudesse peut-elle exister ? Où sont ces êtres qui s’abandonnent, se trahissent, se jalousent, se détruisent avec un art tellement consommé du gaspillage humain ? Chez Virgine Despentes l’homme est mauvais par essence, la société cruelle, les relations humaines bringuebalantes et violentes, et la vie douloureusement précaire. Les femmes consomment les hommes avec une impudeur, une immoralité et un manque total de tendresse qui fait frémir. Les hommes méprisent les femmes avec une endurance, une cruauté mêlée de peur et une misogynie qu’on croirait venue d’un autre âge. Et tout ce petit monde se regarde le nombril jusqu’à l’écœurement. Et c’est clair, plus les pages défilent, plus j’ai l’estomac dans les talons, et pourtant je continue.


Car c’est vrai que l’auteure a un style, une patte, plutôt une griffe. Elle décrit ces tranches de vie avec brio, sans concession d’une plume rigoureuse, abrupte et parfaitement maîtrisée. Elle frappe sans cesse, en rafales, transformant le lecteur en pushing ball, pas question d’esquiver. L’écriture est vive, incisive et sait planter les décors et les ambiances en quelques lignes avec des formules qui font mouche. Les discours tenus par les personnages sont excessifs, grossiers, racistes, outrageants mais on n’en a cure car il y a comme une accélération permanente du tempo et on avance, vaille que vaille dans cette jungle nauséabonde. Elle décrit avec justesse des relations humaines remplacées par la toute puissance des réseaux sociaux, ces nouveaux liens qui tissent et défont le lien social avec une jubilation jamais prise en défaut. Ce qui est intéressant est que le propos n’est pas aigre, mais que tout y est présenté sur le même niveau, comme si tout était d’égale valeur, normal en somme.

Mais plus que le style, qui, de fait, m’exaspère parfois par quelques facilités un peu trop racoleuses, c’est le sentiment que m’inspire ce roman de faire, en le lisant, œuvre d’ethnographe. Bien sûr, c’est un milieu très spécial qui est décrit ici, furieusement parisien, branché, très accroc à l’alcool, à la réussite et au poudrage de narine, véritable microcosme qu’on devine à peine déformé et qui révèle les dérapages du monde vers lequel nous avons choisi d’aller, dans lequel tout repère a disparu pour faire place à une vénération surdimensionné de l’ego. Où la solitude règne en maître et où la vulgarité et la violence sont le nouveau pain quotidien de ces affamés de paraître. Et le malaise est absolu à la description de ces abrutis de la course à la jeunesse éternelle, dont chaque geste, chaque action, chaque pensée sont le reflet d’une incommensurable frustration et d’une inextinguible détresse. Qu’ils ne savent tenter de résoudre que par le fiel, l’égoïsme, l’excès… le tout dans une perpétuelle et affolante agitation.


On est bien loin des aspirations humanistes qui berçaient ma jeunesse, nourries de foi en l’homme, de confiance dans la perfectibilité de la nature humaine, d’espoir en une société idéale construite sur les bases solides d’une connaissance sans cesse approfondie de tout ce qui nous a précédés. Ici tout change sans cesse, évolue et détruit le passé, abolit l’espérance et trace devant ces zombies de la vie un chemin semé de doutes et de peurs. Peur de l’autre avant tout, exprimée sans ambages tout au long de ces pages arides, repoussantes et, peut-être symptomatiques du monde qui attend nos enfants. Et je me réveille chaque matin un peu étonnée de ma propre candeur, de mon inépuisable amour de la simplicité, hésitant entre l’impression d’être trop normale ou bêtement décalée.


Alors me direz-vous ? Cette tempête me dérange, mais je m’entête. Et vous, chers lecteurs, vous avez forcément entendu parler de Virginie Despentes car elle a commis, comme le titre le laissait entendre, une suite à Vernon Subutex I, suite qui vient juste de paraître. Et forcément, le discours plaît, les thèmes sont très tendance et on va en parler pas mal… Lirai-je cette suite ? J’avoue ne pas trop savoir car ce catalogue est long, lassant parfois, fatigant toujours, et si l’auteure a soigneusement pris soin d’introduire dans son premier tome une intrigue presque policière, de mystérieux enregistrements qui constituent le testament de la malheureuse star morte d’overdose, c’est forcément pour vous piéger encore. Mais je crois que j’ai, avec ce premier opus, ma dose de coups de poing et de désillusion, j’ai envie de continuer à regarder mes semblables avec empathie et bienveillance. Pas besoin de Subutex pour me sevrer : ras le bol de cette chronique d’un monde décadent qui se vautre avec résignation dans un caniveau saumâtre. Je me sens par moments envahie d’une pitié démodée devant une telle détresse et me dis que je suis forcément à côté de la plaque. Basta !

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