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Velasquez au Grand Palais

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Le pape Innocent X (1650), auquel nous rendons pieusement visite chaque fois que nous allons à Rome, Galleria Doria Pamphilj.

Je vous entends d'ici : oh, Michelaise, elle commence à nous soûler avec ses expos. Et que je t'explique, et que je te détaille, et que je te développe... plus envie de lire ses billets fleuves. Comme je vous comprends ! Je me contenterai donc, pour l'exposition Velasquez qui se tient au Grand Palais jusqu'au 13 juillet, de laisser la parole à un immense critique de l'Histoire de l'art en vous offrant ce petit extrait mythique de Pierrot le fou. Godard y fait lire à Belmondo, fumant dans sa baignoire, un extrait (un peu modifié) du texte qu'Elie Faure, à peine âgé de 25 ans, consacra aux Menines.
Écoute ça, p'tite fille :


Velasquez, après cinquante ans ne peignait plus jamais une chose définie. Il errait autour des objets avec l'air et le crépuscule, il surprenait dans l'ombre et la transparence des fonds les palpitations colorées dont il faisait le centre invisible de sa symphonie silencieuse. Il ne saisissait plus dans le monde que les échanges mystérieux qui font pénétrer les uns dans les autres, les formes et les tons, par un progrès secret et continu dont aucun heurt, aucun sursaut, ne dénonce ou n'interrompt la marche. L'espace règne. C'est comme une onde aérienne qui glisse sur les surfaces, s'imprègne de leur émanation visible pour les définir et les modeler et emporter partout ailleurs comme un parfum, comme un écho d'elle, qu'elle disperse sur toute l'étendue environnante en poussière ... impondérable.

C'est beau ça, hein p'tite fille ?

Le monde où il vivait était triste : un roi dégénéré, des infants malades, des idiots, des nains, des infirmes, quelques pitres monstrueux vêtus en Princes, qui avaient pour fonction de rire d'eux même et d'en faire rire des êtres hors-la-loi vivante, étreints par l'étiquette, le complot, le mensonge, liés par la confession et le remord. Aux portes, l'autodafé... le silence.

Ecoute ça p'tite fille...

Un esprit nostalgique flotte, mais on ne voit ni la laideur ni la tristesse ni le sens funèbre et cruel de cette enfance écrasée. Velasquez est le peintre des soirs, de l'étendue, et du silence. Même quand il peint en plein jour, même quand il peint dans une pièce close, même quand la guerre ou la chasse hurle autour de lui. Comme il ne sortait guère aux heures de la journée où l'air est brûlant, où le soleil éteint tout, les peintres espagnols communiaient avec les soirées...

C'est beau ça, hein ??



Et ça, c'est pas beau ? C'était la toile fétiche de mon frère quand il avait 16 ans !! Il en possédait une très jolie reproduction et m'expliquait combien ce dos somptueux était le summum de la grâce et de l'élégance.  Autant vous dire que lorsque nous sommes allés à Londres, je tenais à courir l'admirer. Et voilà qu'elle n'y était pas, pour cause d'exposition parisienne. Débauche de soieries aux douces teintes bleutées, de chairs tendres et rosées, cette allégorie de la vue est d'une simplicité de mise en page qui signe le talent des grands. Au point qu'elle est devenue un symbole de la beauté féminine.
Au point que, le 10 mars 1914, la suffragette Marie Richardson l'a lacérée avec un hachoir. Active dans le mouvement des suffragettes du Royaume-Uni, cette canadienne fut fort active dans son action pour l'égalité entre hommes et femmes. Arrêtée neuf fois en deux ans, elle a dû être nourrie de force au cours d'une grève de la faim. Elle a persuadé l'évêque de Londres de soutenir le vote des femmes et a présenté une pétition au roi George V en sautant sur le marchepied de son carrosse.



Après son coup d'éclat à la National Gallery, elle déclarait : "j'ai essayé de détruire la plus belle femme de l'Histoire de l'art comme protestation contre le Gouvernement qui lui, détruit Mrs Pankhurst qui est la plus belle femme de caractère de l'histoire contemporaine". 
Autre suffragette particulièrement virulente, Mrs Pankhurst organisait de nombreuses manifestations - s'enchaîner aux lampadaires, provoquer des incendies dans des immeubles, faire la grève de la faim ou bien encore couper les fils des télégraphes - qui lui valurent d'être arrêtée cinq fois entre 1912 et 1917. Libérée en 1920, elle soutient l'effort de guerre et se rend aux États-Unis pour faire de la propagande en faveur des Alliés. Elle suggère aux femmes de devenir infirmière durant la guerre.


Marie Richardson au moment de son arrestation

Mais Mary Richardson a obtenu ce qu’elle voulait. En frappant cet idéal féminin rempli d’érotisme, elle a créé ce qu'on n'appelait pas encore le buzz, et fait parler du vote des femmes (1). Et finalement le droit de vote sera octroyé aux femmes en Angleterre en 1918 (2). Quant au tableau, il sera restauré en trois mois, alors que Mary Richardson passera six mois en prison pour destruction d’œuvre d’art.

Quant à l'exposition, je vous recommande, si elle vous intéresse, le très exhaustif article de la Tribune de l'Art, c'est un des meilleurs du net sur le sujet.

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(1) Article du Times le lendemain de cet exploit :
« Indignation à la National Gallery, le célèbre Vélasquez de Rokeby, communément appelé La Vénus au miroir, qui est présenté à la National Gallery depuis 1906, a été mutilé hier matin par la suffragette Mary Richardson, militante activiste notoire. Elle a attaqué le tableau avec un petit hachoir à la lame longue et aiguisée semblable à celle des instruments utilisés par les bouchers, et en quelques secondes, elle lui a infligé des blessures aussi graves qu’irréparables. Suite à cet outrage, les portes de la National Gallery resteront fermées jusqu’à nouvel ordre.»

(2) Rappelons qu'en France, il faudra patienter jusqu’à cette ordonnance du 21 avril 1944 promulguée par le Gouvernement provisoire du général de Gaulle, à Alger : «Les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes».
Deux ans et demi plus tard, le préambule de la constitution du 27 octobre 1946 inscrit ce principe dans les principes fondamentaux de la République : « la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme ». Les Françaises votent pour la première fois le 29 avril 1945, à l'occasion des élections municipales puis, quelques mois après, le 21 octobre 1945 elles participent au scrutin national.

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