Fraîcheur voilée de caresses
De regards et de paroles
Amour qui porte ce que j’aime
"Si l'on mettait sur ma tombe : ci-gît Francis Poulenc, le musicien d'Apollinaire et d'Éluard, il me semble que ce serait mon plus beau titre de gloire", écrivait le musicien en 1945. Et de fait, ce grand amateur de poésie fut réellement inspiré par les textes de ses amis auteurs. Nous avons, grâce à Guillaume Coppola et Marc Mauillon découvert avec une réelle émotion l'intégrale des pièces écrites sur des textes de Paul Éluard. Le concert présentait ces 34 pièces, toutes très courtes mais très intenses, dans l’ordre chronologique. Le musicien habitait ru de Médicis, juste au-dessus de la librairie José Conti, et, nous dit-il, c'est là qu'il découvrit en 1938 Tu vois le feu du soir, qui allait devenir la première, et d'ailleurs la plus longue mélodie du cycle Miroirs brûlants, que les interprètes ont choisi pour nommer leur concert.
Tu vois le feu de soir qui sort de sa coquille
Et tu vois la forêt enfouie dans la fraîcheur
Tu vois la plaine nue aux flancs du ciel traînard
La neige haute comme la mer
Et la mer haute dans l’azur
Pierres parfaites et bois deux secours voilés
Tu vois des villes teintes de mélancolie
Dorée des trottoirs pleins d’excuses
Une place où la solitude a sa statue
Souriante et l’amour une seule maison
Tu vois les animaux
Sosies malins sacrifiés l’un à l’autre
Frères immaculés aux ombres confondues
Dans un désert de sang
Tu vois un bel enfant quand il joue quand il rit
Il est bien plus petit
Que le petit oiseau du bout des branches
Tu vois un paysage aux saveurs d’huile et d’eau
D’où la roche est exclue où la terre abandonne
Sa verdure à l’été qui la couvre de fruits
Des femmes descendant de leur miroir ancien
T’apportent leur jeunesse et leur foi en la tienne
Et l’une sa clarté la voile qui t’entraîne
Partie vocale et partie chantée sont, chez Poulenc, très complémentaires : le piano n'est pas là en accompagnement mais c'est un duo où les deux intervenants ont tour à tour la parole, comme dans un dialogue parfaitement équilibré. Poulenc d'ailleurs, assura lui-même la création de ses mélodies, au côté du baryton Pierre Bernac. Coppola et Mauillon affiche cette même parité entre les partenaires, se donnant mutuellement la parole pour mieux porter le discours du musicien et du poète. Le chanteur et le pianiste sont totalement complices, et servent admirablement ces partitions audacieuses.
Une de ces suites m'a particulièrement touchée : intitulée "le travail du peintre", c'est un cycle de 7 mélodies sur des poèmes extraits du recueil "Voir : poèmes, peintures, dessins" (1948). Poulenc en composa la musique en août 1956 et la première exécution eut lieu à l'École normale de musique de Paris, le 1er avril 1957. Alice Esty, soprano et dédicataire de l'oeuvre, chantait, accompagnée par le compositeur. On y rencontre successivement : "Pablo Picasso" (no 1) ; "Marc Chagall" (no 2) ; "Georges Braque" (no 3) ; "Juan Gris" (no 4) ; "Paul Klee" (no 5) ; "Jaon Miró" (no 6) ; "Jacques Villon" (no 7). Des textes très évocateurs sur des musiques très imagées, voilà de quoi ravir votre Michelaise !
Âne ou vache coq ou cheval
Jusqu'à la peau d'un violon
Homme chanteur un seul oiseau
Danseur agile avec sa femme
Couple trempé dans son printemps
L'or de l'herbe le plomb du ciel
Séparés par les flammes bleues
De la santé de la rosée
Le sang s'irise le cœur tinte
Un couple le premier reflet
Et dans un souterrain de neige
La vigne opulente dessine
Un visage aux lèvres de lune
Qui n'a jamais dormi la nuit.
Un concert vraiment passionnant - on est suspendu aux lèvres du baryton, on se laisse emporter par les échappées du clavier - servi par deux interprètes vraiment talentueux, et qui sont d'autant plus courageux que ce genre de musique n'est pas très "tendance". Merci à Guillaume Coppola et à Marc Mauillon de nous avoir permis de découvrir cette partition très riche.