Nous étions, cet été, un peu déçu de n'avoir pas participé à "l'événement" (enfin un des événements !!) du In 2014 : la saga en 18 (ou 16 selon les jauges !!) heures, concoctée par Thomas Jolly et sa troupe, la Piccola Familia autour de la trilogie complexe de Shakespeare, rarement jouée dans son entier et montée, ici, sans interruption. Trois pièces et quinze actes, cent cinquante personnages, historiques ou sortis de l'imagination de l'auteur, deux guerres et de multiples conflits de famille volà le matériau. Dans le chaos d'une époque en plein bouleversement, entre un Moyen Âge finissant et une époque moderne qui se dessine à peine, William Shakespeare compose une oeuvre complexe, foisonnante et riche. Thomas Jolly a relevé le défi en prétendant scotcher les spectateurs durant 18h sur une fête du théâtre, et nous avions raté cela. Mais la réalisation a été appréciée, célébrée par la critique et "achetée" par un nombre non négligeable de centres culturels. La tournée passait par Poitiers, et, bien que coupée en deux parties de 9h, nous avons décidé de tenter l'aventure. Nous avons, dimanche dernier, accompli la moitié du chemin en campant au TAP de 14h30 à 23h, pauses comprises.
Pas de doute, d'un point de vue maîtrise de la mise en scène, ingéniosité des dispositifs, respect du timing, logistique du spectacle, c'est parfait : admirablement conçu et, après quelques mois de tournée, parfaitement au point. Thomas Jolly a su multiplier les idées, les trouvailles, afin de maintenir le rythme, sans faire brouillon. Le tempo est idéal, parfois haletant, jamais pris en défaut. L'équipe technique, que l'on ne voit guère, assure une fluidité au-dessus de tout soupçon à ce déferlement de mots, de scènes, d'épisodes, d'intrigues et de rebondissements. Malgré un imbroglio historique proprement dément, on comprend et on suit parfaitement l'action, grâce à une excellente approche "pédagogique" (il en faut pour permettre à un public français, nullement au fait de l'histoire compliquée du double règne d'Henri VI, sur fond de chaos et de guerres, externes et intestines). L'excellente idée de faire intervenir régulièrement une hilarante maîtresse de cérémonie pince-sans-rire établit avec la salle un contact si efficace que chacune de ses apparitions est accueillie par des hurlements de joie.
Pourtant, pourtant ... j'ai été un peu frustrée car le texte de Shakespeare, quoique servi avec fidélité, ne l'est pas toujours avec le ton juste. La volonté de "faire facile" pousse un peu trop le metteur en scène à abuser de la gaudriole et la saveur de la langue shakespearienne y perd beaucoup de force. Il faut dire que j'avais pour une voisine une anglaise, déçue par le rendu de certaines scènes qui auraient mérité plus d'intensité, plus de profondeur, des pauses de sérieux dans cet océan de rire. Il y a du drame dans Henri VI et la version ne s'y arrête jamais. Ou quand elle le fait, elle noie aussitôt l'émotion dans un éclat de rire. Il aurait fallu, à certains moments, renoncer au ton décalé pour rendre mieux perceptible la beauté du texte. Comme disait ma voisine : nous ne sommes pas plus idiots que les spectateurs du temps de Shakespeare, et n'avons pas besoin, pour suivre, qu'on nous fasse "rigoler" sans cesse. Nous sommes capables de mieux ! Certains acteurs avaient du mal dans les passages graves, plus doués pour la pirouette que pour la déclamation.
Par un étrange hasard, j'étais en train de lire l'autobiographie de Lang Lang et, pendant un des entractes, je suis tombée sur ces mots : "J’adorais la complexité de [Shakespeare], la manière dont ses intrigues se recoupaient et dont les thèmes sous-jacents émergeaient, comme autant de mélodies et de contrepoints différents. Bien avant de comprendre pleinement les mots, je pus percevoir les changements d’humeur et les variations de ton – tantôt léger, tantôt sombre, tantôt philosophique et tantôt fantasque... Les dialogues de Shakespeare me rappelaient les phrasés de Mozart, cette façon qu’a sa musique de changer constamment de personnalité ; c’est à travers les personnages de Shakespeare et leurs interactions que j’ai finalement commencé à comprendre Mozart." C'est cette dimension de la complexité de la langue de l'auteur, qui fait tout sa richesse, qui manque au spectacle de la troupe La Piccola familia. Et il est normal qu'une anglaise l'ait déploré, certaines scènes tournaient court et on se sentait frustré.
Mais bon, pas question de cracher dans la soupe : la forme, inspirée des émissions les plus débridées du petit écran, séduit le public et la salle reste comble jusqu'à la fin. Sans effort particulier (j'ai simplement piqué quelques roupillons au début car le texte est vraiment indigent (ce n'est pas du Shakespeare et cela se sent !). J'ai, par ailleurs, été déçue par la fraîcheur poitevine (que je connais pourtant bien), je pense que l'ambiance devait être plus conviviale dans d'autres villes. À Poitiers, on restait sur un mode passif. Pas de complicité entre les spectateurs, très "assis" dans leur rôle, rien de chaleureux, rien d'amical dans la salle, comme on aimerait le partager quand on assiste à 9h d'affilée de théâtre ensemble. Nous irons voir la deuxième partie dimanche prochain mais je sais déjà que ce sera en nous poussant un peu... c'est loin Poitiers, et il a nous manqué l'étincelle qui provoque l'enthousiasme sans réticence.
Source images : le superbe reportage photos de Brigitte Enguerand (Divergence)
La tournée a déjà visité Toulouse, Perpignan, Rennes, Béthune, Sceaux, Cherbourg, Dunkerque,
Il reste :
TAP – THÉÂTRE AUDITORIUM DE POITIERS (86) 12 février 19H30 – Épisode 3 ; 13 février 19H30 – Épisode 4 ; 15 février 14H30 – Cycle 2
EQUINOXE – SCÈNE NATIONALE DE CHÂTEAUROUX (36) 8 mars 14H00 – Cycle 1
ODÉON – THÉÂTRE DE L’EUROPE (75) 2 mai 14H00 – Cycle 1 ; 3 mai 14H00 – Cycle 2 ; 8 mai 14H00 – Cycle 1 ; 9 mai 14H00 – Cycle 1 ; 10 mai 14H00 – Cycle 2 ; 14 mai 14H00 – Cycle 2 ; 16 mai 14H00 – Cycle 1 ; 17 mai 14H00 – Cycle 2
OPÉRA DE ROUEN HAUTE-NORMANDIE – THÉÂTRE DES ARTS (76) 20 juin 10H00 – Intégrale
Pas de doute, d'un point de vue maîtrise de la mise en scène, ingéniosité des dispositifs, respect du timing, logistique du spectacle, c'est parfait : admirablement conçu et, après quelques mois de tournée, parfaitement au point. Thomas Jolly a su multiplier les idées, les trouvailles, afin de maintenir le rythme, sans faire brouillon. Le tempo est idéal, parfois haletant, jamais pris en défaut. L'équipe technique, que l'on ne voit guère, assure une fluidité au-dessus de tout soupçon à ce déferlement de mots, de scènes, d'épisodes, d'intrigues et de rebondissements. Malgré un imbroglio historique proprement dément, on comprend et on suit parfaitement l'action, grâce à une excellente approche "pédagogique" (il en faut pour permettre à un public français, nullement au fait de l'histoire compliquée du double règne d'Henri VI, sur fond de chaos et de guerres, externes et intestines). L'excellente idée de faire intervenir régulièrement une hilarante maîtresse de cérémonie pince-sans-rire établit avec la salle un contact si efficace que chacune de ses apparitions est accueillie par des hurlements de joie.
Pourtant, pourtant ... j'ai été un peu frustrée car le texte de Shakespeare, quoique servi avec fidélité, ne l'est pas toujours avec le ton juste. La volonté de "faire facile" pousse un peu trop le metteur en scène à abuser de la gaudriole et la saveur de la langue shakespearienne y perd beaucoup de force. Il faut dire que j'avais pour une voisine une anglaise, déçue par le rendu de certaines scènes qui auraient mérité plus d'intensité, plus de profondeur, des pauses de sérieux dans cet océan de rire. Il y a du drame dans Henri VI et la version ne s'y arrête jamais. Ou quand elle le fait, elle noie aussitôt l'émotion dans un éclat de rire. Il aurait fallu, à certains moments, renoncer au ton décalé pour rendre mieux perceptible la beauté du texte. Comme disait ma voisine : nous ne sommes pas plus idiots que les spectateurs du temps de Shakespeare, et n'avons pas besoin, pour suivre, qu'on nous fasse "rigoler" sans cesse. Nous sommes capables de mieux ! Certains acteurs avaient du mal dans les passages graves, plus doués pour la pirouette que pour la déclamation.
Par un étrange hasard, j'étais en train de lire l'autobiographie de Lang Lang et, pendant un des entractes, je suis tombée sur ces mots : "J’adorais la complexité de [Shakespeare], la manière dont ses intrigues se recoupaient et dont les thèmes sous-jacents émergeaient, comme autant de mélodies et de contrepoints différents. Bien avant de comprendre pleinement les mots, je pus percevoir les changements d’humeur et les variations de ton – tantôt léger, tantôt sombre, tantôt philosophique et tantôt fantasque... Les dialogues de Shakespeare me rappelaient les phrasés de Mozart, cette façon qu’a sa musique de changer constamment de personnalité ; c’est à travers les personnages de Shakespeare et leurs interactions que j’ai finalement commencé à comprendre Mozart." C'est cette dimension de la complexité de la langue de l'auteur, qui fait tout sa richesse, qui manque au spectacle de la troupe La Piccola familia. Et il est normal qu'une anglaise l'ait déploré, certaines scènes tournaient court et on se sentait frustré.
Mais bon, pas question de cracher dans la soupe : la forme, inspirée des émissions les plus débridées du petit écran, séduit le public et la salle reste comble jusqu'à la fin. Sans effort particulier (j'ai simplement piqué quelques roupillons au début car le texte est vraiment indigent (ce n'est pas du Shakespeare et cela se sent !). J'ai, par ailleurs, été déçue par la fraîcheur poitevine (que je connais pourtant bien), je pense que l'ambiance devait être plus conviviale dans d'autres villes. À Poitiers, on restait sur un mode passif. Pas de complicité entre les spectateurs, très "assis" dans leur rôle, rien de chaleureux, rien d'amical dans la salle, comme on aimerait le partager quand on assiste à 9h d'affilée de théâtre ensemble. Nous irons voir la deuxième partie dimanche prochain mais je sais déjà que ce sera en nous poussant un peu... c'est loin Poitiers, et il a nous manqué l'étincelle qui provoque l'enthousiasme sans réticence.
Source images : le superbe reportage photos de Brigitte Enguerand (Divergence)
La tournée a déjà visité Toulouse, Perpignan, Rennes, Béthune, Sceaux, Cherbourg, Dunkerque,
Il reste :
TAP – THÉÂTRE AUDITORIUM DE POITIERS (86) 12 février 19H30 – Épisode 3 ; 13 février 19H30 – Épisode 4 ; 15 février 14H30 – Cycle 2
EQUINOXE – SCÈNE NATIONALE DE CHÂTEAUROUX (36) 8 mars 14H00 – Cycle 1
ODÉON – THÉÂTRE DE L’EUROPE (75) 2 mai 14H00 – Cycle 1 ; 3 mai 14H00 – Cycle 2 ; 8 mai 14H00 – Cycle 1 ; 9 mai 14H00 – Cycle 1 ; 10 mai 14H00 – Cycle 2 ; 14 mai 14H00 – Cycle 2 ; 16 mai 14H00 – Cycle 1 ; 17 mai 14H00 – Cycle 2
OPÉRA DE ROUEN HAUTE-NORMANDIE – THÉÂTRE DES ARTS (76) 20 juin 10H00 – Intégrale