ou "de l'usage des pseudos sur internet et de leur effet pervers sur la personnalité" ...
Car, à changer sans cesse d'identité, on finit n'est-ce pas, par ne plus trop savoir qui l'on est !! Il est, nous le savons, d'usage sur la toile de rester anonyme et, pour ce faire, de se trouver un surnom, bien tristement appelé "pseudo". Oh, certes, il ne procure qu'un anonymat de façade, que le moindre petit bidouilleur en informatique dévoile en cinq sec, mais qui rassure quand on réfléchit un peu trop à l'exposition permanente à laquelle nous expose l'usage intensif du clavier.
Il ne faut pas non plus devenir paranoïaque, mais je pique régulièrement de colères aussi brèves qu'intenses quand je me sens pistée, surveillée, mise en pré-carré pour m'inciter à acheter... tiens, l'autre jour, je vais sur un site qui vend de la formation à distance, Comptalia, pour y chercher une information concernant le diplôme auquel je prépare mes étudiants. Il faut, bien sûr, y montrer patte blanche et se livrer au sport habituel du login et autre mot de code, oublié depuis longtemps. Bref, je visite un ou deux pages pendant qu'un petit rectangle (on appelle cela un pop-up je crois) s'agite dans le coin en bas à droite de mon écran. Une jolie fille me propose avec un sourire irrésistible de m'appeler pour répondre aux inévitables questions que je suis en train de me poser. Je lui tire la langue et quitte le site, sur la promesse qu'on me joindra bientôt pour parler de tout ça ... quoi, je ne sais et je m'en moque comme de ma première sucette. Et bien, dès le lendemain, une voix sucrée m'appelle, en numéro affiché (malins Comptalia, ils ne masquent même pas leur numéro) et me propose de m'aider à construire mon projet de formation. Ben voyons !!! Je grogne que je suis professeur du diplôme préparé et que côté formation, à quelques encablures de la retraite, c'est un peu tard pour y penser. Comment ont-ils eu mon numéro ? L'ai-je imprudemment (mais obligatoirement forcément, cela fait partie des cases à étoile sans lesquelles vous ne pouvez finaliser une inscription, inscription elle-même incontournable pour accéder aux informations recherchées) dévoilé ? ... l'ont-ils récupéré lors de ma précédente consultation ? Va savoir. Mais "ils" sont là, et "ils" vous guettent , et "ils" vous relancent jusque dans vos foyers pour vendre... encore et encore.
Où en suis-je ? Je m'emporte et je m'éloigne de mes préoccupations identitaires. Le choix d'un pseudo est forcément révélateur de nos fantasmes ou de nos motivations cachées. Certains y voient la possibilité de se re-créer tel qu'ils se rêvent. Sans parler de ceux qui profitent de l'écran que constitue l'incognito pour s'inventer les origines, le physique et l'état d'esprit qui leur plaisent et ainsi donner d'eux la meilleure "image virtuelle" possible, nous voulons au moins que le surnom choisi soit une image flatteuse de nous. Il s'agit normalement de se protéger mais bien vite, on se dit que, quitte à paraître "autre", autant que ce soit "en mieux" !
Alors on se creuse les méninges pour trouver un nom séduisant. Il existe même des coachs pour vous aider dans ce difficile exercice. Si, si, je vous assure : "Comment choisir un pseudo site de rencontre original ? Découvrez une méthode infaillible !". C'est ainsi que l'"Agence matrimoniale moderne, French Dating Assistant vous coache ou vous remplace sur les sites de rencontres en vu d’y obtenir des rendez-vous galants régulièrement !". Et, on vousl'affirme, l'affaire est grave, que dis-je, cruciale ! "Depuis plus d’un an, nous accompagnons nos clients sur les sites de rencontres et les coachons pour réussir leurs rendez-vous galants. Nous aimerions aujourd’hui vous faire profiter de notre expertise sur une question cruciale, et souvent négligée par nos clients dans leurs profils: le choix du pseudo site de rencontre." Je vous laisse découvrir à votre aise les judicieux conseils de ces consultants des temps modernes, retenant qu'il faut que votre nouvelle identité reflète votre "charisme, virilité, exotisme, romantisme, humour, etc.", et que son originalité permettra de créer le dialogue, ne serait-ce qu'en expliquant pourquoi vous l'avez choisi. Après avoir découvert toutes les erreurs à éviter, fait un détour par la stratégie avancée que propose le blog, et, bien sûr, acheté le bouquin qui développe tout cela, vous disposerez enfin d'une "Une méthode simple et infaillible", vous permettant de faire les "rencontres" les plus exaltantes. Et ne croyez pas qu'il s'agisse là d'un exemple dégoté derrière les fagots : les sites qui vous suggèrent un tel exercice sont pléthore.
Adoncques, vous vous êtes tous trouvés un jour devant cette décision cornélienne de devoir vous inventer un autre nom, une personnalité plus proche de vos aspirations profondes, de celles que la vie et son laborieux quotidien ne vous permettent pas d'épanouir. Et vous avez trouvé un jeu de mot, un héros romantique, un trait d'humour, le nom d'une fleur magnifique, un pays exotique, voire un autre prénom ... qui, selon vous, vous décrivent bien mieux que Roger ou Antoinette. Ce prénom forcément démodé, et parfois carrément connoté, que vos parents, tous frétillants de béatitude et de volonté de bien faire, vous avaient tendrement choisi le jour de votre naissance. Tenez moi par exemple, ils n'avaient pas grande idée paraît-il et crurent bien faire que de demander à mon frère, prénommé Henri (top 17 en 1942, l'année de sa naissance) de décider à leur place. Et la légende veut que le gamin, amoureux d'une petite voisine, ait proposé Nicole (top 3 en 1942), prénom qui me fut donc offert, alors qu'il avait pratiquement disparu des pratiques au moment où on me l'attribua. Voilà comment on se retrouve, à vie, avec une quinzaine d'années de plus à son actif, au simple énoncé de son identité. Bref, vous imaginez combien j'ai eu envie, toute ma vie, d'en changer. Heureusement mon père, qui avait le sens de l'originalité, ne m'appelait jamais autrement que Nicolaïouschka, ce qui, pour moi qui ai horreur des diminutifs, était pain béni.
Pourtant le choix de mes pseudos est, a posteriori et au regard des conseils savamment égrenés par les mentors en tous genres, accablant. Michelaise ! Vous voyez les rêves d'évasion que cela véhicule !! On y entend soit, au plus simple, la femme de Michel, soit la passionnée d'autorail. Et si l'on sait d'où ça vient, c'est encore plus affligeant : une habitante de Meschers sur Gironde. Bon, je vous l'accorde, et j'étais sans doute encore sous le coup de l'amusement, c'est marrant comme dénomination par rapport au nom du village, mais au final, c'est sans relief et fort banal.
Tant et si bien que, quoique peu coutumière des forums, j'ai décidé de faire plus aérien sur les rares tribunes sur lesquelles je sévis : Obéron ou Ariel, c'est tout de suite plus cultivé n'est pas ?? Dans mon esprit, Ariel c'était un personnage de La Tempête de Shakespeare... plus exactement un esprit, délivré par Prospero de la méchante Sycorax, la sorcière qui habitait l'île sur laquelle ce dernier a trouvé refuge. Ariel est vif, c'est un g"nie positif de l'air et du souffle de vie, et il cherche à faire triompher la vérité. Sympa non ?? Malheureusement, je m'en suis rendu compte avec affliction plus tard, Ariel est aussi une sirène de Walt Disney ou, pire, le nom d'une lessive. Ratée l'opération vérité !!
Alors ? Il me reste comme dernier refuge le prénom d'opérette, enfin plutôt de théâtre que me donna un jour l'ami Gérard, vous savez notre fou de piano. Pour lui, je suis et je demeure, à la suite d'une erreur de carnet d'adresse à laquelle il est très attaché, détestant faire comme tout le monde, Agnès. Personnage de comédie, ignorante, soumise et avouons-le parfois carrément sotte, qui va tout au long de l'Ecole des Femmes évoluer, s'éveiller grâce à l'amour et acquérir une vraie personnalité, devant tour à tour ingénieuse, rouée, voire émancipée ... pourquoi pas après tout :
Croit-on que je me flatte, et qu’enfin dans ma tête,
Je ne juge pas bien que je suis une bête ?
Moi-même, j’en ai honte ; et, dans l’âge où je suis,
Je ne veux plus passer pour sotte, si je puis.
Allons, ne boudons pas notre plaisir :
ARNOLPHE. – Ne vous a-t-il point pris, Agnès, quelqu’autre chose ?
(La voyant interdite.)
Ouf
AGNÈS. – Hé ! il m’a...
ARNOLPHE. – Quoi ?
AGNÈS. – Pris...
ARNOLPHE. – Euh !
AGNÈS. – Le...
ARNOLPHE. – Plaît-il ?
AGNÈS. – Je n’ose,
Et vous vous fâcherez peut-être contre moi.
ARNOLPHE.– Non.
AGNÈS. – Si fait.
ARNOLPHE. – Mon Dieu, non !
AGNÈS. – Jurez donc votre foi
ARNOLPHE. – Ma foi, soit.
AGNÈS. – Il m’a pris... Vous serez en colère.
ARNOLPHE. – Non.
AGNÈS. – Si.
ARNOLPHE. – Non, non, non, non ! Diantre ! que de mystère !
Qu’est-ce qu’il vous a pris ?
AGNÈS. – Il...
ARNOLPHE, à part. – Je souffre en damné.
AGNÈS. – Il m’a pris le ruban que vous m’aviez donné.
À vous dire le vrai, je n’ai pu m’en défendre.
Mais si vous n'avez pas envie de vous livrer à ce sport délicat qui consiste à peaufiner votre image et à vous réinventer, à vos risques et périls, une nouvelle personnalité, brillante, séduisante, attirante, ébouriffante... vous pouvez vous en remettre au hasard et à la technique en utilisant le générateur de pseudo original. J'avoue avoir essayé, et abandonné après une vingtaine de "tirage" au sort : car finalement, on a envie qu'un pseudo ait un sens, même futile, au moins pour vous.
Signé Michelaise