La couverture de décembre 2014 de CdA
Connaissance des Arts de décembre 2014 : la rédaction a décidé de faire sa "une" sur l'exposition à Beaubourg de "l'artiste vivant le plus cher au monde" (1) : Jeff Koons. Cet ancien courtier en matière premières à Wall Street, l'homme se lance dans, je cite, l'art « en tant que vecteur privilégié de merchandising », autant qu'il devient courtier d'art (cela veut dire au passage qu'il en connait un brin sur les marchés et sur le "gonflage" des cotes !!) puis, on n'est jamais si bien servi que par soi-même, artiste. Cela se passe à la fin des années 80 : son lapin gonflable, suivi des Balloons Dogs et autres Puppys font bien vite parler de lui. Et, bien gérée, la cote monte, monte, monte !! Il épouse au passage une star du porno en 1991, dont il divorce en 1994, mais surtout, il met au point un système de production qui lui permet de faire "en grand" !! Actuellement son atelier, nous dit Connaissance des Arts, "a des allures de laboratoire de savant fou" (pas si fou que ça, mes amis, au prix où chaque objet sortant de là se vend, c'est plutôt la transmutation du plomb, pardon, du plastique, en or !). Une centaine d'assistants, revêtus de maques et de combinaisons blanches de protection "transportent sur des tables roulantes des homards géants ou des moulages en plâtre de statues antiques. Dans la section peinture, des jeunes gens au coude à coude mélangent des couleurs devant des nuanciers, juchés sur des échafaudages mobiles, travaillant méticuleusement avec de petits pinceaux... Dans le section sculpture, des jouets gonflables, achetés dans le commerce (bonjour l'inspiration !!) ont été numérisés avec d'être modélisés en 3D sur ordinateur..." J'arrête la description, c'est assez déprimant, même si le journal, dans un élan un peu exalté, éprouve le besoin de comparer ce système de travail à celui de l'atelier de Rubens, ce qui est pour le moins excessif.(2)
Aspirateur balais Hoover F 3870 ...
... sur fond d'une exposition à Versailles... qui "explique" : Les aspirateurs Hoover sont des ready-made (comme l'urinoir de Marcel Duchamp) mais ils sont enchâssés dans une vitrine de plexiglas bordée de néons. Ces aspirateurs destinés à aspirer la poussière resteront propres et neuf à jamais. Les appareils ménagers seront exposés dans l'antichambre du Grand Couvert. Koons écrivait en 1980 qu'il y montrait la sexualité à la fois mâle et femelle: « Il y a des orifices et des parties phalliques. »
D'autant plus déprimant que, fort de cette inventivité et de cette gestion pointue d'une création "new look", Jeff Koons est devenu, nous dit le journal "l'artiste des milliardaires". Il ne crée pas de forme, nous l'avons vu, "il s'empare de formes connues et les magnifie par l'agrandissement, le matériau de prix, le socle ou la vitrine" ! Mais surtout, surtout, c'est un champion de la mise en scène, du marketing (il promeut son travail en posant nu pour un magazine ou en s’exhibant avec sa femme (une autre !!) et leurs 6 gosses dans un lit) et il sait fort bien utiliser les médias. A preuve, l'aventure pas banale qui est arrivée à Connaissance des Arts : pour la revue de décembre, le rédacteur en chef avait imaginé un titre choc, qui abordait le succès de Koons avec un certain recul : "Jeff Koons va-t-il se dégonfler?" La cote de ses œuvres est tellement délirante, batailles de collectionneurs et assaut de snobisme aidant, qu'on peut légitimement se demander si un retour de bâton n'est pas envisageable. D'autant que tout cela repose sur une construction dont l'artifice est flagrant. Quant au jeu de mot, concernant l'artiste des machins gonflables, il était bienvenu.
Mais voilà, pour faire une article dans la revue et réaliser la couverture, il faut des images. Et, vous vous en doutez, notre artiste est entouré d'un staff impressionnant d'hommes de lois et de légistes qui ont pour seule attribution de protéger ses images. Pour publier des photos de ses œuvres il faut passer par les fourches caudines de la Jeff Koons LLC qui autorise ou non. Cela leur permet, en outre, de visualiser les maquettes, les textes et même les titres. Et que fit la Jeff Koons LLC : elle demanda au journal de changer l'accroche, carrément ! ... et, assez banalement, proposa un sans doute cent fois rebattu "Gonflé, ce Konns !", qui n'était finalement qu'un argument publicitaire de plus. Ce n'est que lorsqu'elle fut rassurée sur la teneur du titre (3) que la Jeff Koons LLC envoya les photos.
Hallucinant n'est-ce pas ? Il est clair que la liberté de la presse n'est pas la préoccupation première des juristes de Koons et que dans leur souci de préserver la cote de leur employeur, ils ne reculent devant aucun excès.
Guy Boyer, directeur de la rédaction, s'est fendu (et c'était à mon sens le moins qu'il puisse faire) d'un éditorial où, en termes mesurés et un peu trop flatteurs à mon sens, il expose l'affaire qui lui reste manifestement en travers de la gorge. Mais il a plié et c'est vraiment dommage. Même si le titre de son édito est musclé "Koons contrôle les médias", poussant le lecteur pressé à lire son argumentaire, il n'a tiré aucune conséquence pratique palpable de cette situation inadmissible : il offre toujours la couverture à l'artiste, avec un titre "plus soft, tu meurs" : "Jeff Koons, une star à Beaubourg". Même si, indirectement, le mot star a des connotations assez peu flatteuses - cela évoque, quand on est au courant, le succès passager et la gloire éphémère - cela reste très flatteur, au moins pris au premier degré. J'ai vraiment regretté que Guy Boyer ne soit pas allé au bout de sa logique d'indépendance : il n'avait qu'à supprimer les photos qu'on lui monnayait de cette façon odieuse. Couverture blanche, ou pourquoi pas juste avec une forme de cœur (puisque Koons s'inspire de formes banales, qui appartiennent à tous et dont chacun peut disposer à son gré) avec le titre prévu.
Et pour l'article me direz-vous ? Après tout, il était prêt et l'on avait engagé des frais en envoyant des reporters à Mahattan ! Et bien, on pouvait tout simplement remplacer les photos prévues par un encadré noir, dans le genre de celui des paquets de cigarettes avec une mention frappante du genre "Censuré par l'artiste". Il me semble que l'ensemble aurait eu un meilleur écho, qui sait, aurait peut-être même fait le buzz dans le petit monde de l'art, qui n'aime guère ce genre de vagues.
Quant à Jeff Koons, je vous avoue qu'en ce qui me concerne c'est le degré zéro de ce qu'est devenu l'art contemporain : une inexorable "machine à fric", l'étalage impudique de la crise morale du marché de l'art, auréolé de fumeuses critiques dont la teneur est éminemment contestable. Personne n'ose dire qu'un chien en ballons, dont la forme est issue d'un jouet gonflable, à 40 000 000 d'euros (ou de dollars, on n'en est plus à une approximation près), c'est d'une indécence insigne ... fut-il orange ! Et, à défaut d'oser le dire dans CdA, il me semble que le mieux est, déjà, d'éviter d'enrichir les organisateurs d'expositions en allant visiter les rétrospectives douteuses dont on imagine sans peine qu'elles représentent pour l'artiste une source annexe de revenus confortables. Ne serait-ce que par les droits perçus sur les produits dérivés !
-------
Sources : la provenance des photos qui illustrent cet article est indiquée, j'ai pris soin de ne montrer AUCUNE photo visible d'une oeuvre de notre valeureux homme d'affaires, pour avoir le droit de dire ce que j'ai envie de dire !!
Mon titre, vous l'aurez compris, s'inspire directement de celui suggéré par la J.Koons LLC.
Hallucinant n'est-ce pas ? Il est clair que la liberté de la presse n'est pas la préoccupation première des juristes de Koons et que dans leur souci de préserver la cote de leur employeur, ils ne reculent devant aucun excès.
Guy Boyer, directeur de la rédaction, s'est fendu (et c'était à mon sens le moins qu'il puisse faire) d'un éditorial où, en termes mesurés et un peu trop flatteurs à mon sens, il expose l'affaire qui lui reste manifestement en travers de la gorge. Mais il a plié et c'est vraiment dommage. Même si le titre de son édito est musclé "Koons contrôle les médias", poussant le lecteur pressé à lire son argumentaire, il n'a tiré aucune conséquence pratique palpable de cette situation inadmissible : il offre toujours la couverture à l'artiste, avec un titre "plus soft, tu meurs" : "Jeff Koons, une star à Beaubourg". Même si, indirectement, le mot star a des connotations assez peu flatteuses - cela évoque, quand on est au courant, le succès passager et la gloire éphémère - cela reste très flatteur, au moins pris au premier degré. J'ai vraiment regretté que Guy Boyer ne soit pas allé au bout de sa logique d'indépendance : il n'avait qu'à supprimer les photos qu'on lui monnayait de cette façon odieuse. Couverture blanche, ou pourquoi pas juste avec une forme de cœur (puisque Koons s'inspire de formes banales, qui appartiennent à tous et dont chacun peut disposer à son gré) avec le titre prévu.
Et pour l'article me direz-vous ? Après tout, il était prêt et l'on avait engagé des frais en envoyant des reporters à Mahattan ! Et bien, on pouvait tout simplement remplacer les photos prévues par un encadré noir, dans le genre de celui des paquets de cigarettes avec une mention frappante du genre "Censuré par l'artiste". Il me semble que l'ensemble aurait eu un meilleur écho, qui sait, aurait peut-être même fait le buzz dans le petit monde de l'art, qui n'aime guère ce genre de vagues.
Chien en ballon glané sur le site "sculptures en ballon pour les enfants"
... sur fond d'une exposition à Versailles.
Quant à Jeff Koons, je vous avoue qu'en ce qui me concerne c'est le degré zéro de ce qu'est devenu l'art contemporain : une inexorable "machine à fric", l'étalage impudique de la crise morale du marché de l'art, auréolé de fumeuses critiques dont la teneur est éminemment contestable. Personne n'ose dire qu'un chien en ballons, dont la forme est issue d'un jouet gonflable, à 40 000 000 d'euros (ou de dollars, on n'en est plus à une approximation près), c'est d'une indécence insigne ... fut-il orange ! Et, à défaut d'oser le dire dans CdA, il me semble que le mieux est, déjà, d'éviter d'enrichir les organisateurs d'expositions en allant visiter les rétrospectives douteuses dont on imagine sans peine qu'elles représentent pour l'artiste une source annexe de revenus confortables. Ne serait-ce que par les droits perçus sur les produits dérivés !
464€ x 2 500 = 1 160 000 euros
-------
Sources : la provenance des photos qui illustrent cet article est indiquée, j'ai pris soin de ne montrer AUCUNE photo visible d'une oeuvre de notre valeureux homme d'affaires, pour avoir le droit de dire ce que j'ai envie de dire !!
Mon titre, vous l'aurez compris, s'inspire directement de celui suggéré par la J.Koons LLC.
Notes :
(1) avec son Balloon Dog (orange) vendu près de ... 40 millions d'euros ! Vous ne voyez pas ce que ça représente, habitué à manipuler au mieux quelques milliers d'euros ... moi non plus d'ailleurs, sauf que "ça fait vraiment beaucoup" !!!!
(2) D'autant que l'article précise "Comme Rubens à l'époque baroque, l'artiste ne réalise aucune des oeuvres de ses mains, il en a l'idée, le concept, et la fait exécuter par des professionnels". Certes, priviligiant les grands formats, et aimant par ailleurs mener une vie mondaine qui l'accaparait fort, RIbens avait besoin d'aide et son atelier était conséquent. Ne serait-ce que pour broyer les couleurs dont il utilisait des quantités impressionnantes. Certes, ses cycles et grandes compositions, conçus par lui, doivent à la main de ses assistants une bonne partie de leur réalisation technique. Mais tout de même, aller jusqu'à dire qu'il ne réalisait aucune oeuvre de ses mains, c'est déraper un peu !
Comme beaucoup de ses confrères qui avaient du succès, Pierre Paul Rubens travaillait avec de nombreux assistants. Mais il faut préciser que nombre de ses collaborateurs devinrent, après leur passage à l'atelier du maître, de grands peintres à leur tour ... quand ils ne l'étaient pas déjà. Il avait, comme c'était l'habitude à l'époque, un grand atelier avec de nombreux apprentis et étudiants, dont certains, comme Anthoine van Dyck, sont devenus célèbres. Il a également fréquemment confié la réalisation de certains éléments de ses toiles, tels que les animaux ou encore les Natures mortes dans les grandes compositions, à des spécialistes comme Frans Snyders ou d'autres artistes comme Jacob Jordaens. En gros, les peintures de Rubens peuvent être divisées en trois catégories : celles qu'il a peintes lui-même, celles qu'il a réalisées partiellement (surtout les mains et le visage), et celles qu'il a seulement supervisées.
(3) Bien que ce ne soit pas précisé dans l’éditorial, cela se déduit de la phrase "Depuis, les images sont arrivées. Merci la liberté de la presse !".