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MEMLING, RENAISSANCE FLAMANDE AUX SCUDERIE DE ROME

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Vierge allaitant, collection privée

Après avoir apuré les  escapades précédentes et les visites récentes, me voici prête à entamer un nouveau périple, celui de nos vacances de Toussaint, centrées sur le Festival de Fayence (ici et ici) mais riches de bien d'autres découvertes que celles liées au quatuor à cordes. Et ce, d'autant plus qu'avant d'investir le Var pour une semaine, nous avons fait un petit tour par Rome. Il fallait bien renouveler notre provision épuisée de gâteaux juifs !! Mais surtout, soyons sérieux, Rome offre, depuis quelques années maintenant, de plus en plus d'expositions justifiant parfois à elles seules le déplacement, toujours merveilleux, dans la Ville Éternelle ! Première d'entre elles, et prétexte officiel de ce voyage, la très rare exposition Memling, organisée dans les règles de l'art comme à chaque fois, par les Scuderie du Quirinal. La précédente exposition consacrée uniquement à ce peintre avait eu lieu en 1994 (déjà 20 ans !) à Bruges (nous en étions mais la présentation était de bien moins bonne qualité et la foule telle qu'on avait eu du mal à approcher les panneaux, souvent de petite dimension), c'est dire si l'événement est d'importance pour l'histoire des arts. Et comme c'est la première manifestation dédiée uniquement à Memling qui se tienne en Italie, les romains devraient s'y presser en masse. Or, comme à l'ordinaire, la visite a été d'un calme et d'une sérénité absolus, ce qui rend ce genre de déplacement encore plus plaisant.


Fort apprécié par la puissante communauté des marchands, banquiers, riches commerçants, ecclésiastiques et même nobles italiens installés à Bruges, le peintre favori des lettrés et des puissants de son siècle s'est posé en digne successeur des maîtres flamands vénérés qu'étaient jusqu’alors Jan van Eyck et Rogier van der Weyden. Et ce, dès le début de la création de son atelier, pour la plus grande satisfaction de l'élite urbaine qui constituait son réseau de commanditaires.
Le style de Memling est statique et spatial, son esthétique, rationnelle, tend vers l'idéalisation des modèles, malgré un message clairement narratif. Son monde immobile, placé sous un éclairage immuable, se présente comme des constructions ouvertes dans lequel les personnages sont disposés comme des figurines ou comme des sculptures.

Annonciation, revers du triptyque de Jan Crabbe

Sa technique est fluide, la peinture, extrêmement mince permet des transparences aux effets remarquables. Elle laisse parfois deviner, sous la couche définitive, le dessin préparatoire, nerveux, complexe, car l'artiste préférait la mise en place directe sur le panneau à la pratique d'un dessin préparatoire sur papier. Dès 1467, il abandonne son graphisme "gothique", un peu raide, pour une ébauche "moderne", à la craie noire ou au fusain, qu'on lit  encore parfaitement aux infras-rouges.
L'exposition détaille l'intégralité du travail de l'artiste flamand parmi les plus réputés de son époque, du grand triptyque d'autel au petit tableau de piété portatif et pliable, en passant bien sûr par son incomparable talent de portraitiste.

Triptyque Pagagnotti

En ce qui concerne les commandes religieuses, l'exposition a été l'occasion de reconstituer des polyptyques démembrés (l'affaire est toujours émouvante) comme le triptyque Pagagnotti (les Offices de Florence et la National Gallery de Londres ont prêté leurs morceaux) et le triptyque de Jan Crabbe (panneaux en provenance des Musée Civique de Vicence, de Morgan Library de New York et du Musée Groeninge de Bruges), présentant aussi, qui a fait le voyage de Bruges, le monumental triptyque de la famille Moreel qui est une pure merveille. Par contre, pour le triptyque du Jugement Dernier, que les polonais un peu échaudés par les mésaventures à rebondissements de leur tableau piraté (1) ont refusé de prêter, il fallut nous contenter de reproductions projetés en boucle !

Vierge à l'enfant du musée national de Lisbonne

Les Scuderie ont, par ailleurs, choisi d'insister sur un genre dans lequel le maître de Bruges a excellé, celui des retables de dévotion personnelle, qui furent très en vogue au XVème siècle.
Ces panneaux, petits et intimes, sont conçus pour la prière et la médiation privées. Leur taille a permis à l'artiste de montrer sa capacité à décrire les détails les plus fins, parfois anecdotiques. Souvent, l'acheteur demandait à l'artiste de personnaliser l'iconographie en fonction de ses affinités parmi les saints. Le succès de ces petites images, qu'on pouvait suspendre au-dessus d'un prie-Dieu ou tenir dans ses mains, n'est sans doute pas étrangère à la naissance des formes de dévotion modernes, plus axées sur la nature humaine du Christ. Le chrétien, encouragé à imiter l'humilité et la souffrance terrestre de Jésus, contemplait de près le mystère divin par l'intermédiaire de ces images de piété et se rapprochait de la perfection morale par la prière.


Un des très rares portraits isolés de femmes laissés par l'artiste (il en existe un autre, entier, à Bruges) le panneau a manifestement été coupé puisqu'on ne voit pas les mains du personnage. Son allure est sobre, quoique fort élégante : visage pâle, coiffure en hauteur, voile transparent empesé et vêtement assez échancré, la femme est présentée sur un fond sombre, uni et sans fioriture.

L'exposition présentait, bien sûr, une magnifique série de portraits, ces derniers représentant un tiers de l'œuvre connue de Memling (2), d'ailleurs surtout apprécié aujourd'hui  pour son formidable talent de portraitiste. Memling dépeint ses sujets, souvent présentés sous un angle de trois quarts, soit devant un fond neutre, soit devant un cadre architectural ou un paysage réaliste. Si la première solution, souvent à finalité commémorative, plaisait aux plus conservateurs, c'est la deuxième, plus originale e plus flexible, qui a assuré le succès du peintre. Il a représenté la plupart de ses modèles italiens devant un paysage, composition rapidement adoptée par des artistes italiens comme Sandro Botticelli, Pérugin et Léonard de Vinci. Ces portraits peuvent constituer des œuvres indépendantes ou, parfois, faire partie des tableaux de dévotion dont nous parlions plus haut. De nombreux portraits de Memling sont arrivés en Italie, où posséder une peinture sur bois d'Europe du Nord ont été considéré comme un symbole de réussite sociale .


Ses modèles, toujours impassibles, ont l'air un peu absent : disposées dans l'espace comme des scultpures vivantes, leur visage est souvent ovoïde, avec un long nez pincé et un grand front. Le modelé est doux, comme poli dans le marbre. Parfaitement identifiables par une physionomie précise, plus que par un caractère ou une expression, ils semblent ne pas avoir d'âge réel. Ce qui fait l'originalté et la manière de Memling en l'espèce est le cadrage, très serré, comme un gros plan photographique, avec les mains souvent posées sur le rebord du panneau.

Portrait d'homme avec une monnaie romaine d'Anvers
Le manteau noir boutonné, dépourvu de tout ornement, la chemise repliée sur le col, le petit capuchon noir rabattu sur les cheveux bruns et bouclés, la composition du paysage et les nuages délicatement dentelés sont caractéristiques de la manière de l'artiste. Cependant, le fait qu'il tienne dans la main gauche une médaille est peu courant et a donné lieu à des quantités d'hypothèses afin de l'identifier, les critiques étant très prolixes en la matière. En revanche tous s'accordent à dire qu'il est italien, à cause de sa physionomie et surtout du palmier solitaire qui orne la partie droite du paysage. Sa pièce a été identifiée comme un sesterce battu à Lyon sous l'empereur Néron. Si l'on rajoute à ces indices les deux feuilles de laurier qui apparaissent discrètement dans le bord inférieur du tableau, comme si le sujet tenait une branche dans sa main droite invisible, la solution du rébus est limpide : Nero (ou Neri, del Nero, Nerone, de Niro ...) Palma (ou Palmieri) Lorenzo (ou Allori) sont les noms qui peuvent être les siens. Car on sait que les lettrés italiens aimaient à user de "pictogramme" pour se désigner.

Mais surtout Memling est le premier artiste non italien à présenter ses portraits devant un paysage, et ce, dès 1467. Les organisateurs de l'exposition vont même jusqu'à dire qu'il a anticipé le genre, alors que d'autres commentateurs pensent plutôt à une osmose en lui et Pisanello, Lippi et Andrea del Castagno. Procédé repris, nous l'avons dit plus haut, par d'illustres suiveurs.

A gauche, Christ bénissant à la couronne d'épines, de Memling au musée Palazzo Bianco de Gênes
A droite, le même sujet par Domenico Ghirlandaio, du Philarmonia Museum of Arts de Philadelphia

Une section de l'exposition, enfin, était consacrée aux rapports de l'artiste avec l'Italie. Les goûts cosmopolites des acheteurs transalpins de Memling l'encouragèrent à enrichir son esthétique relativement classique avec des formules innovantes. Par ailleurs, les nombreuses copies  de ses œuvres témoignent de son influence, comptant nombre de disciples et d'admirateurs non seulement à Bruges, mais aussi ailleurs en Europe. Témoin  la fidèle copie du Christ bénissant par la main de Ghirlandaio, qui prouve que la demande de répliques de ses œuvres était grande, même dans un important centre d'art comme Florence (où l'on pouvait admirer à l'époque le triptyque de Benedetto Pagagnotti (4), dans les appartements privés du palais de l'évêque de Florence), mais aussi à Venise et dans d'autres villes italiennes où l'on retrouve son influence chez les artistes locaux.


Quelques oeuvres aux thèmes plus originaux, dont ce triptique La vanité terrestre et le Salut divin, oeuvre particulièrement raffinée et d'une rare érudition réalisée pour les Loiani de Bologne aux alentours de 1485 : il expose, en termes symboliques et aisément compréhensibles, la parabole de l'existence humaine, au regard de la miséricorde divine. Musée des Beaux-Arts de Strasbourg.


Memling fut, de son vivant, le maître de Bruges par excellence. Sa grande influence artistique et sa sensibilité aux goûts des clients sont la base de la production d'œuvres qui, en plus de leur beauté, prirent, dans l'histoire de l'art, une importance particulière. De fait, il a profondément marqué l'art du XVe siècle et la peinture, à Bruges et en Italie, pour la génération suivante.


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(1) Le commanditaire du triptyque était le banquier florentin Angelo Tani (1415-1492), homme de confiance de la banque des Médicis et directeur de la filiale brugeoise de la banque de 1455 à 1469. C'est en 1467 (année de son mariage avec Caterina di Francesco Tanagli) qu'il commanda cette oeuvre, sans doute pour la chapelle qu'il possédait à la Badia Fiesolana, dédiée à Saint Michel. Saint présent sur deux des volets du triptyque, particulièrement au centre, en train de trier les âmes, comme il se doit ! Ce n'est qu'en 1473, qu'enfin terminé l'oeuvre quittait Bruges pour l'Italie.
Embarqué à bord du Matteo, une des deux galères effectuant pour le compte de la Banque Médicis la liaison Bruges-Pise-Constantinople, cette dernière fit d’abord escale à Southampton pour y récupérer des marchandises. Puis le navire repris la route vers Pise, lorsque, le 27 avril 1473, il fut attaqué par le pirate Paul Beneke, armé par la Hanse, en guerre avec l'Angleterre. Beneke remit le Jugement dernier à ses armateurs de Gdańsk, qui confièrent le tableau à la Marienkirche de la ville. Toutes les protestations du monde n'y firent rien et, malgré des menaces d'excommunication, les polonais conservèrent le tableau jusqu’en 1807 où il fut confisqué par les troupes napoléoniennes, pour être envoyé à Paris. En 1815, un bataillon de la garde de Poméranie s’en empara et l’emmena à Berlin, qui offrit aux polonais un Raphaël et trois bourses d’études pour de jeunes artistes de Gdańsk, pour tenter de le conserver en son musée. Mais es derniers refusèrent et dès 1816, le Jugement dernier était de retour à Gdańsk. Puis Gdańsk, ville libre, fut annexée par l'Allemagne en septembre 1939, et quand, 6 ans plus tard, les troupes soviétiques furent aux portes de la ville, les soldats allemands battirent en retraite jusqu’en Thuringe, emmenant avec eux le triptyque de Memling. Les soviétiques le récupérèrent pour l'installer à l'Ermitage avant de le rendre à la ville de Gdańsk en 1956.

(2) Un nombre exceptionnel d’œuvres de Memling ont été conservées : on y dénombre plus de ptrente portraits (formant parfois un diptyque avec une Vierge à l'Enfant), une vingtaine de retables ou de tableaux religieux avec des donateurs, souvent à plusieurs panneaux et de grande dimension, une quinzaine de représentations isolées de la Vierge dont les volets ou les donateurs ont disparu et enfin une vingtaine de tableaux illustrant divers thèmes de l’Évangile ou scènes moralisatrices.

(3) Avec le portrait d'homme à la lettre de Florence, non présenté à l'exposition.

(4) Copies ou inspirations foisonnent, par exemple chez Filippino Lippi ou chez Fra Bartolomeo, qui a copié certains détails, comme le moulin à eau représenté en arrière-plan le panneau central.

Les photographies étant strictement interdites dans l'exposition, mes illustrations proviennent des musées concernés, du site de l'exposition et de Wikipedia.


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