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Channel: Bon sens et Déraison
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INSOUTENABLE

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Déjeuner en terrasse, soleil presque trop chaud, nous sommes dans le Var, et les vacances s'achèvent. Mariette, la poule rousse, et ses deux acolytes, les deux poules noires, tournicotent autour de nous, picorant les miettes échappées de la table. L'air est doux et l'ambiance sereine. L'écho des conversations en provenance de la maison, proche, de nos hôtes, nous parvient par bouffées : eux d'ordinaire si paisibles reçoivent des amis à l'apéritif. Quelques éclats de voix haut perchées, ces dames, le timbre profond du propriétaire des lieux, décidément bien bavard et qui sait manifestement amuser la galerie. Les rires sonnent haut.
- Tu sais ce que j'aime dans les romans ?
Alter, plein d'indulgence (il ne lit guère de romans, lui, rien que des lectures "sérieuses" qui, volontiers, l'endorment), me regarde par-dessus son verre de rosé, bien frais.
- L'intrigue peut-être ?
- Non, enfin si, tu as raison, il faut que l'intrigue m'accroche pour que je lise volontiers. Mais ce que j'aime dans les romans c'est que les gens, les personnages, pensent.
- ???
- Oui, soit le narrateur développe leurs sentiments, leurs réactions, rend compte de leurs émotions. Soit eux-mêmes, par le biais du dialogue ou des réflexions en aparté, expriment impressions, jugements, sensations, bref ils pensent. Ils n'ont pas la tête vide, comme nous !
Alter me regarde sans rire, il a l'habitude des déclarations définitives et vaguement existentielles de sa Michelaise.
- Oui, tu as raison.
- C'est un peu comme les films de Woody Allen, les gens y ont une âme ou du moins expriment-ils des doutes, des espoirs, des désillusions... Certes c'est parfois un peu bavard mais au moins on y échappe à la vacuité.
- Celle des dîners en ville ?


- Tu me fais rire, je viens justement de lire "Le dîner en ville" de Claude Mauriac : à la frivolité des conversations, l'auteur oppose les pensées, fugaces, entêtantes, pathétiques parfois, de chacun des convives dans un chassé-croisé qui joue sur des associations de mémoire. Les propos de table, bourgeois, légers, mondains font naître des pensées qui révèlent, en pointillés, la vraie personnalité des invités. C'est un peu fatigant à lire car ces couches superposées qui coexistent sont parfois difficiles à démêler ... mais cela n'a pas pris une ride.
- Huit convives : un qui tente de tirer tous les sujets à lui, un autre qui tiraille dans l'autre sens, pour son propre compte. Deux qui émaillent le propos d'anecdotes inconséquentes et quatre qui s'ennuient. Et on finit par parler de la télévision !
- Non, je ne vois pas exactement cela comme toi : huit convives. Un qui se creuse la tête pour trouver des sujets de conversation que tous puissent partager, trois qui rebondissent tant bien que mal, avec plus ou moins de bonheur, un qui lance des blagues foireuses et les trois derniers totalement passifs. Il s'agit de parler de tout, et surtout de rien qui soit important, grave ou simplement personnel. Et ce n'est pas réservé aux dîners entre amis ou supposés tels, c'est rarissime qu'on se "parle" vraiment.
- L'insoutenable légèreté de l'être !
- Ce qui est joli et qui plait, dans la formule, est cette fameuse légèreté. Mais pourtant, il faut bien le reconnaître, elle est insoutenableà qui veut être simplement "humain".
Des cocoricos puissants retentissent : Mariette vient de pondre et notre hôte abandonne ses hôtes pour chercher dans les buissons son œuf quotidien, car la petite poule rousse s'ingénie à les déposer un peu partout dans le jardin. La conversation languit et les rires se taisent. Pause dans les conversations.


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