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Channel: Bon sens et Déraison
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FACE À L'OEUVRE FONDATION MAEGHT

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Une exposition qui se termine dans quelques jours (elle a été prolongée jusqu'au 16 novembre) et qui renouvelle l'intérêt de la visite de la Fondation, quand on connaît déjà cette dernière.
Conçu par Josep Lluís Sert (1902-1983) le neveu du peintre et décorateur catalan José Maria Sert, découvert il y a deux ans au Petit Palais, le bâtiment est clair, l'architecture en est lumineuse et parfaitement intégrée à la nature environnante, pins parasols et palmiers cinquantenaires. Car c'est déjà le 50ème anniversaire de la création de ce lieu, dédié par le mécène et marchand d'art Aimé Maeght (1906-1981) et son épouse Marguerite, à l'art contemporain. « Ici est tenté quelque chose de jamais tenté : créer l'univers dans lequel l'art moderne pourrait trouver à la fois sa place et cet arrière-monde qui s'est appelé jadis le surnaturel !» déclarait André Malraux, le 28 juillet 1964, lors de la prestigieuse inauguration, à laquelle étaient invités, entre autres, Yves Montand, Marc Chagall, Joan Miró et Ella Fitzgerald.

Nicolas de Staël (1914-1955), détail de la Nature morte au fond bleu (1955) d'autant plus émouvant qu'elle fut peinte l'année de son suicide.

Nous avions, il y a fort longtemps, déjà vu la cour des Giacometti, le bassin aux poissons de Braque, le labyrinthe de Miró, la petite chapelle romano-moderne et le lieu, quoiqu'original, ne porte pas à des visites à répétition. Pourtant, puisque pour fêter ses 50 ans la fondation a programmé cette année une exposition intitulée « Face à l'œuvre », constituée d’œuvres lui appartenant et d'autres, prêtées par des musées ou des collectionneurs privés, nous avons eu envie d'aller y refaire un tour. Rien de très original à ce qu'il y ait une exposition en ces lieux, depuis sa création la Fondation en a organisé 150 et voit défiler chaque année, environ 200 000 personnes entre les mobiles de Calder et les tesselles colorées de Chagall. Mais j'avoue que l'interview de Yoyo Maeght sur France Inter qui, pour l'anniversaire publie quant à elle, quatre ans après avoir quitté avec fracas la célèbre fondation, une saga familiale où elle règle ses comptes, dévoilant les "secrets de famille" et racontant les coulisses de la saga familiale, m'avait intriguée. Descente de police, perquisitions, plaintes, ruptures et fâcheries, mais surtout histoire d'héritages et de gros, gros sous, l'affaire n'a rien de romantique. Peut-être est-ce pour cela que l'exposition m'a semblé si triste ! A moins que ce ne soit à cause de l'art du XXe siècle, ce siècle dont la barbarie sans limite, le matérialisme effréné et la superficialité tragique ont désespéré plus d'un artiste. Et, sapristi, cela ne peut nous échapper !


Marc chgall (1887-1985) Les amoureux au clair de lune (1952)
Cela pourrait être une peinture romantique, doucement éclairée par l'astre lunaire d'une rondeur presqu'idéale, comme l'amour qui est en train de naître. Mais la tête renversée de la femme nue, aux rondeurs aguichantes, vient troubler le tableau de cet instant magique, qui, du coup, fait naître chez le spectateur, un léger malaise.

Dès l'entrée, une phrase de Pierre Tal Coat annonce la couleur «Il s’agit de détruire toute connaissance a priori et de faire des expériences personnelles qui seules comptent.» Donc on progresse dans un univers difficile, dont le résultat le plus immédiatement palpable est une désidéalisation de la culture. C'est un art qui n'a pas encore, à l'époque dont date les oeuvres (début du XXème) déclaré sa soumission aux normes de la masse, à l'exigence de satisfactions immédiates, égoïstes et matérielles, et qui se pose en marge de la nouvelle civilisation qui s'annonce, avec un rien de défaitisme. C'est franchement déprimant. Pas d'élan vital, pas d'émotion, sauf la tristesse et l'abattement devant ces manifestations sans joie qui émaillent l'exposition. D'aucuns diront que c'est fort, mais j'avoue que la mine allongée des visiteurs, manifestement seulement rassurés par la lecture des noms connus, et mon propre découragement ne m'ont pas laissé une impression impérissable de ce moment. Il me faut bien admettre de plus que j'ai été déçue par l'accrochage dont je n'ai pas réussi, malgré la lecture des déclarations des conservateurs (1), à saisir l'intention. Je n'ai pas trouvé le fil rouge reliant les oeuvres assemblées et me suis demandée quel était le sens de l'ensemble, qui finalement se résume à une succession de toiles à regarder sans autre forme d'émotion, et je me suis ennuyée. Le maître mot finalement est surtout que, comme l'ont affirmé certains artistes, Aimé Maeght leur avait permis, avec la Fondation, de réaliser leurs rêves.

Un Braque d'une sobriété totale, qui ne pouvait, par son sujet, que parler au coeur d'une Michelaise océanique !! Nous eaux ont souvent ces teintes glauques, vaguement émeraude, mise en valeur par une luminosité très ponctuelle qui éclaire les rochers ou la plage.



Je vous livre donc seulement de ces rêves quelques signes épars : les toiles qui, avec mes goûts pervertis d'amateur qui cherche un sens à ce qu'il voit, m'ont arrêtée. Et, un peu, donné à penser !

Le "quadriptyque" (1974) de Jacques Monory, né en 1924, intitulé Death Valley n°1
C'est superbe mais glacial, inquiétant et sans effusion. Tout est vu à travers un écran photographique qui segmente l'espace en plans américains, en y intégrant en "collage" central le chef d'oeuvre de Dürer, Le Chevalier et la mort. Mention qui apporte, s'il en était besoin, une dimension encore plus  tragique à l'oeuvre, accentuée par la monochromie sans concession de la toile.


Paul Rebeyrolle (1926-2005) Dépouilles III (1980)
Réflexion désespérée sur la nature humaine...  Habité par un souffle épique qui le caractérise, le peintre dénonce l'asservissement de l'homme et porte sur la fatalité de l’existence un regard tragique.


André Derain (1880-1954) Nature morte au lapin (1938-1939)
La toile pourrait sembler d'inspiration classique et, somme toute, assez banale ... sauf à lire sa date de réalisation et à réinterpréter, à la lumière de ces sinistres millésimes, le sujet dans sa dimension funeste : couteau qui brille dans l'ombre, hache au premier plan, le bol de sang un peu dégoulinant et le lapin dépouillé donnent à cette composition une tonalité grave que les accessoires traditionnels de ces scènes (pain, nappe blanche et bouteille sombre) viennent à peine adoucir.


Fascinée, comme toujours, par ce Portrait de jeune garçon de Lucian Freud, indiscret et gênant, dont la déformation exagérée à cause de l'appui du visage sur sa main gauche, dévoile une personnalité troublante.

Un Autoportrait saisissant et inattendu de Bacon, clown et dandy, les traits accentués par une veine cubiste bien inhabituelle chez l'artiste.


Un des trois portrait de Marguerite Maeght (1961) par Giacometti (1901-1966), marqué, brouillon, un peu sauvage, comme s'il voulait donner à son modèle une retenue seulement de surface.


Toujours un Giacometti (1901-1966), de jeunesse et pas très conventionnel, assez émouvant par sa forme épurée et son air primitif.


Dans la chapelle, au-dessus du Christ roman aux lignes épurées, le beau vitrail de Braque diffuse sa lumière bleutée.

En face, un grand vitrail multicolore d'Ubac, qui doit projeter les jours de soleil, des taches vives sur le mur derrière l'autel. Ubac qui est aussi l'auteur du Chemin de Croix aux formes abruptes qui se déroule le long des murs de la chapelle.


(1) « La Fondation Maeght a toujours refusé les a priori sur les œuvres. Elle est d’abord au service des artistes et de l’art, dans une passion partagée avec le public; c’est ce qui la rend si unique. Je crois qu’Aimé Maeght nous a appris que l’expérience importante était ce moment précis où s’ouvrent, pour chacun d’entre nous, un espace, un temps, une surprise qui contribuent à inventer la pluralité des mondes» explique Olivier Kaeppelin. « Revivre avec passion la beauté des œuvres de Bonnard, de Braque, de Derain comme éprouver l’intensité toujours croissante d’un grand Gasiorowski en train de prendre sa place dans le siècle, c’est tout le plaisir que nous souhaitons offrir aux visiteurs de Face à l’œuvre» explique Adrien Maeght.

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