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MERVEILLES ET MIRAGES DE L'ORIENTALISME : BENJAMIN CONSTANT (1)
MERVEILLES ET MIRAGES DE L'ORIENTALISME : LE COLORISTE (2)
MERVEILLES ET MIRAGES DE L'ORIENTALISME : BENJAMIN CONSTANT (1)
MERVEILLES ET MIRAGES DE L'ORIENTALISME : LE COLORISTE (2)
MERVEILLES ET MIRAGES DE L'ORIENTALISME : CONSTANT, PEINTRE D'HISTOIRE (3)
"... je me glisse en douce vers la porte où de jeunes esclaves de sexe féminin nous observent. Effrayées tout d'abord par mon arrivée, elles regagnent de l'assurance et m'entourent, mais elles prennent soin de ne pas être vues par leur maître : elles sont belles, avec de grands yeux, des lèvres fermes et la poitrine pleine ; aussi bien les mauresques que les négresses ont les pieds et les bras nus et ornés de bracelets : leur tunique blanche, serrée à la taille par une ceinture brodée d'or, est ouverte sur la gorge. Quand je les regarde, elles se regardent elles-mêmes avec une grâce ingénue, comme pour chercher et apprécier les détails particulier de leur personne que je suis en train d'examiner. Vous sentez qu'elles ne sont pas le moins du monde embarrassées et qu'elles sont dépourvues de toute faculté d'analyse, dépourvues de raison, de volonté, d'âme : ce sont de jolis petits animaux, dont la fonction est de vivre et de déployer, par des gestes lents et rares, les lignes subtiles de leur beauté".
Même s'il semble avéré qu'il put, un jour, glisser un oeil indiscret à l'intérieur d'un harem, Benjamin-Constant eut peu d'occasions d'entrer dans la vie intime des populations marocaines. Ses représentations de l'espace réservé aux femmes sont donc essentiellement fantasmées. Et on conçoit volontiers qu'avec une telle appréciation des femmes de harem, le peintre ne les a pas rendues avec une acuité psychologique intense ! L'intérieur marocain de 1878 (ci-dessus) de 5.27 m par 3.10 s'impose par une myriade de détails exotiques propres à fasciner le visiteur du Salon parisien et à alimenter ses fantasmes érotiques, en toute discrétion et selon une bienséance parfaite.
Le coloriste est aux anges : cette profusion lui permet de s'en donner à cœur joie ! Pour le reste, le peintre rend, comme on l'attend de lui, un Orient lascif, érotique et violent dans lequel la femme est classée au rang d'objet, voire de bien décoratif. Il suit, et c'est tout à fait naturel, l'air du temps et ses a priori sont à connotation fortement colonialistes.
Dans les Chérifas (1884) tout le fond du tableau est occupé par un large divan rouge, broché d'or, sur lequel reposent, prêtes à la "consommation", trois très jeunes femmes nues. Près d'elles un eunuque noir écarte d'une main paresseuse le rideau pour, laissant entrer la lumière, mettre les formes de ces courtisanes en valeur. Partout de riches tentures, des bibelots couleur locale (le peintre en avait tout une collection) et un superbe brûle-parfum de cuivre étincelant. Le peintre, conscient du parfum de scandale qui accueillerait la toile, fait baigner la scène dans une lumière chaude, tient ses personnages dans l'ombre, et les teintes rouge-orangé de la composition en adoucissent le côté par trop érotique.
On retrouve dans Rêve d'Orient (1887) la même gamme de teintes luxuriantes, mettant en valeur la peau claire de la femme qui s'éveille en s'étirant voluptueusement.
D'autres scènes semblables se déroulent sur les terrasses voisines : étendues sur des tapis moelleux, les femmes laissent leur regard errer au loin, leur pensée flotte, à l'image de l'indicible ennui qui rythme leurs journées. Les toiles du style de celle-ci sont plus anecdotiques, moins portées sur un exotisme que certains critiques à la dent dure ont appelé "orientalisme des Batignolles". La raillerie est de Huysmans, et date de 1885, mais à cette époque là, la mode en est presque passée, et ces tableaux riches en accessoires et en modèles alanguis ne sont plus très appréciés du public. Benjamin Constant se tourne alors vers le portrait, et sait qu'il lui permettra de mieux vendre !
Et finalement, lui qui avait produit tant de toiles monumentales ou héroïques, exotiques ou franchement érotiques, persuadé de plaire aux jurys de Salon, il se verra refuser la médaille d'or un grand nombre de fois... pour finalement l'obtenir tardivement, en 1895, avec ce portrait d'un classicisme d'une rare élégance et d'une économie de moyens presque totale. Seule la tache rouge du canapé apporte une légère note de couleur à cette composition austère et pourtant magistrale. Le modèle en costume noir, son fils André, se détache à peine sur le fond sombre de la pièce et seuls les effets de clair-obscur sur le visage et les mains du modèle soulignent sa présence, forte et "intéressante".
Le modelé de la figure, l'acuité et la transparence du regard, l'éclat de lumière qui souligne l'arrête du nez, la bouche bien dessinée aux lèvres fermes et sensuelles, font de ce portrait une toile digne des grands maîtres que Constant admirait. On est loin des hétaïres faciles et d'une histoire de carton pâte. L'oeuvre, primée, fut achetée par l'Etat pour le musée du Luxembourg et figure aujourd'hui à Orsay.
Même s'il semble avéré qu'il put, un jour, glisser un oeil indiscret à l'intérieur d'un harem, Benjamin-Constant eut peu d'occasions d'entrer dans la vie intime des populations marocaines. Ses représentations de l'espace réservé aux femmes sont donc essentiellement fantasmées. Et on conçoit volontiers qu'avec une telle appréciation des femmes de harem, le peintre ne les a pas rendues avec une acuité psychologique intense ! L'intérieur marocain de 1878 (ci-dessus) de 5.27 m par 3.10 s'impose par une myriade de détails exotiques propres à fasciner le visiteur du Salon parisien et à alimenter ses fantasmes érotiques, en toute discrétion et selon une bienséance parfaite.
Un rayon oblique de soleil oriental, presque cru, pénètre dans la demeure baignée d'ombre chaude où les mauresques sont assises nonchalamment. Mollement étendues sur des coussins aux riches couleurs...
... alanguies dans des poses molles et voluptueuses, elle écoutent les accords que fait retentir, pour les distraire ...
... une esclave demie-nue, à la peau couleur de bronze.
Çà et là chatoient des étoffes bigarrées, des nattes précieuses, des aiguières brillantes, des étoffes étincelantes et pailletées...
des miroirs argentés ...
... des plateaux de cuivre bien astiqués : tout un luxe oriental assemblé pour séduire en éblouissant le spectateur parisien d'un clinquant éclatant.
Le coloriste est aux anges : cette profusion lui permet de s'en donner à cœur joie ! Pour le reste, le peintre rend, comme on l'attend de lui, un Orient lascif, érotique et violent dans lequel la femme est classée au rang d'objet, voire de bien décoratif. Il suit, et c'est tout à fait naturel, l'air du temps et ses a priori sont à connotation fortement colonialistes.
Dans les Chérifas (1884) tout le fond du tableau est occupé par un large divan rouge, broché d'or, sur lequel reposent, prêtes à la "consommation", trois très jeunes femmes nues. Près d'elles un eunuque noir écarte d'une main paresseuse le rideau pour, laissant entrer la lumière, mettre les formes de ces courtisanes en valeur. Partout de riches tentures, des bibelots couleur locale (le peintre en avait tout une collection) et un superbe brûle-parfum de cuivre étincelant. Le peintre, conscient du parfum de scandale qui accueillerait la toile, fait baigner la scène dans une lumière chaude, tient ses personnages dans l'ombre, et les teintes rouge-orangé de la composition en adoucissent le côté par trop érotique.
On retrouve dans Rêve d'Orient (1887) la même gamme de teintes luxuriantes, mettant en valeur la peau claire de la femme qui s'éveille en s'étirant voluptueusement.
Mais le peintre ne succombe pas toujours à la facilité. Le soir sur les terrasses de 1879 est nettement plus sobre que les scènes d'intérieur reproduites ci-dessus. Cinq femmes, dans des poses naturelles et sans affectation, respirent l'air du soir sur leur terrasse. Les femmes ont écarté leurs voiles et profitent de la brise marine qui monte du port. Leur mise est toujours aussi chatoyante, elles reposent sur de somptueux tapis souples et colorés. L'une d'entre elle se penche pour cueillir une orange tandis qu'une autre va jouer du tambourin...
... toutes se tendent vers elle, pour mieux l'entendre dans la douceur de la journée qui s'achève. La toile respire une palpable et ineffable langueur. La journée a été brûlante, et la nuit qui arrive va rafraîchir l'ambiance un peu lourde du harem.
D'autres scènes semblables se déroulent sur les terrasses voisines : étendues sur des tapis moelleux, les femmes laissent leur regard errer au loin, leur pensée flotte, à l'image de l'indicible ennui qui rythme leurs journées. Les toiles du style de celle-ci sont plus anecdotiques, moins portées sur un exotisme que certains critiques à la dent dure ont appelé "orientalisme des Batignolles". La raillerie est de Huysmans, et date de 1885, mais à cette époque là, la mode en est presque passée, et ces tableaux riches en accessoires et en modèles alanguis ne sont plus très appréciés du public. Benjamin Constant se tourne alors vers le portrait, et sait qu'il lui permettra de mieux vendre !
Et finalement, lui qui avait produit tant de toiles monumentales ou héroïques, exotiques ou franchement érotiques, persuadé de plaire aux jurys de Salon, il se verra refuser la médaille d'or un grand nombre de fois... pour finalement l'obtenir tardivement, en 1895, avec ce portrait d'un classicisme d'une rare élégance et d'une économie de moyens presque totale. Seule la tache rouge du canapé apporte une légère note de couleur à cette composition austère et pourtant magistrale. Le modèle en costume noir, son fils André, se détache à peine sur le fond sombre de la pièce et seuls les effets de clair-obscur sur le visage et les mains du modèle soulignent sa présence, forte et "intéressante".
Le modelé de la figure, l'acuité et la transparence du regard, l'éclat de lumière qui souligne l'arrête du nez, la bouche bien dessinée aux lèvres fermes et sensuelles, font de ce portrait une toile digne des grands maîtres que Constant admirait. On est loin des hétaïres faciles et d'une histoire de carton pâte. L'oeuvre, primée, fut achetée par l'Etat pour le musée du Luxembourg et figure aujourd'hui à Orsay.
FIN