Suite de
MERVEILLES ET MIRAGES DE L'ORIENTALISME : BENJAMIN CONSTANT (1)
Admirateur de Delacroix, proche d'Henry Regnault, de Fortuny, citant volontiers Titien, Rembrandt, Rubens, Véronèse et tant d'autres peintres dont il appréciait les talents de coloristes, Benjamin Constant est, on s'en doute, un virtuose de la palette et de la couleur. Lui qui disait des impressionnistes qu'il n'appréciait guère "ces maniaques de la complémentaire, mettant toujours du vert près du rouge, du violet près du jaune [...] voulant faire accroire que l'oeil voit ainsi ; il est à remarquer que les yeux ne voient ainsi que depuis vingt ans ; auparavant les yeux voyaient tout différemment", il maniait avec fougue le mélange des teintes pour des résultats vraiment lumineux.
Son conservatisme n'en fait pas, notons le, un artiste borné et ses contemporains conventionnels en prennent aussi pour leur grade "Bouguereau n'est donc plus président !... Entre nous, quelle veine !!... Ce gros homme, ce peintre savonneux, à la glycérine, ne représentait pas suffisamment l'Art moderne et donnait raison à la fuite des dissidents. Donc vive Bonnat ! Celui-là est un maitre, un artiste [...]".
Paradoxalement ce "réactionnaire" qui peste fort contre les "modes nouvelles" et défend ardemment l'académisme, fait chanter sa palette et produit des œuvres qui n'ont rien de terne, bien au contraire.
Son emploi de la couleur est sensuel et d'une efficacité rarement prise en défaut. Ses toiles orientalistes, dont la vigueur révèle une vraie joie de peindre, se caractérisent par la splendeur et le brio des effets. D'après une de ses élèves - Julia Haven, une américaine - les trois qualités essentielles chez un étudiant en art sont la sincérité, la volonté et un œil pour la couleur. Et, à propos de cette dernière, le maître disait que c'était "un don du Bon Dieu", qu'aucun enseignement ne pouvait l'apporter à qui en aurait été privé.
Le Flammand rose, 1876
Dans un hammam, deux femmes s'amusent à apprivoiser une flamand rose à l'aide d'un fruit. Les robes chamarrées et scintillantes d'or, les coussins et le tapis brodé, l'éventail en plumes d'autruche sont autant de prétexte à décliner des coloris chatoyants. Le mur du fond, dans une gamme de rouge sombre que fait chanter un vert soutenu, met en valeur les fichus bariolés des femmes. Tandis que le plumage de l'oiseau reprend, en plus clair, la teinte brique du décor.
Son emploi de la couleur est sensuel et d'une efficacité rarement prise en défaut. Ses toiles orientalistes, dont la vigueur révèle une vraie joie de peindre, se caractérisent par la splendeur et le brio des effets. D'après une de ses élèves - Julia Haven, une américaine - les trois qualités essentielles chez un étudiant en art sont la sincérité, la volonté et un œil pour la couleur. Et, à propos de cette dernière, le maître disait que c'était "un don du Bon Dieu", qu'aucun enseignement ne pouvait l'apporter à qui en aurait été privé.
Durant sa formation aux Beaux-Arts de Toulouse, il semble accepter un enseignement où la couleur occupe une place secondaire par rapport au souci du rendu anatomique, et se plie aux tonalités soudes préconisées par ses maîtres. Pourtant, dès ses débuts, il ne peut s'empêcher d'introduire dans ses toiles quelques dissonances et de tenter, déjà, de faire chanter les couleurs. Il n'est pas encore très audacieux mais ose user de couleurs primaires pour rompre l'harmonie imposée par l'enseignement académique. Mais très rapidement, il se voit comme l'héritier des grands coloristes du passé et commence à libérer sa palette.
Dès qu'il découvre l'Orient et ses lueurs nouvelles, il devient un vrai jongleur en couleurs, au point que cette dernière semble parfois prendre le pas sur le sujet traité. Un critique de l'époque raille ses "étendards verts, rouges et jaunes, [ses] costumes rouges, jaunes et verts, [son] cheval violet" : on croirait lire un commentaire sur une exposition fauve !
Tête de Maure 1875 et détails
Un vrai festival d'impressions colorées (damned, si Benjamin me lisait il serait furieux !!), brossé à larges traits pour rendre plus aérien le rendu des tissus et des voiles, met en valeur la peau couleur ébène du modèle au regard farouche.
Dès qu'il découvre l'Orient et ses lueurs nouvelles, il devient un vrai jongleur en couleurs, au point que cette dernière semble parfois prendre le pas sur le sujet traité. Un critique de l'époque raille ses "étendards verts, rouges et jaunes, [ses] costumes rouges, jaunes et verts, [son] cheval violet" : on croirait lire un commentaire sur une exposition fauve !
Bien qu'affichant une profonde aversion pour l'impressionnisme, il adopte certaines de ses méthodes pour les décors, ou simplement par la rapidité de ses exécutions. "Dans le travail du peintre, très souvent, le temps n'est pas de la conscience mais de l'impuissance". Et s'il cite Van Dyck, Rubens ou Frans Hals pour étayer son affirmation, il ne peut nier à ses concurrents modernes une vraie propension au coup de pinceau efficace. Benjamin Constant travaille vite, avec enthousiasme et en pleine pâte, ce qui entraîne sur certaines toiles quelques craquelures de mauvais aloi, à cause d'un vieillissement mal maîtrisé.
Plus tard, lorsqu'il s'adonne au portrait, il joue encore de ses dons de coloriste et la couleur reste au centre de ses stratégies picturales. Témoin ce portrait en pied d'Emma Calvé, diva du bel canto représentée en Carmen, dans une pose héroïque, corsetée dans une sublime robe pourpre dont la la teinte évoque les rideaux et fauteuils d'opéra.
Il adapte bien sûr son discours coloré au statut de ses modèles : ainsi pour portraiturer Madame Serge von Derwies, il a recours aux codes du portrait d'apparat du XVIIIe siècle : un fond de parc automnal, de bon aloi et une lumière naturelle assez discrète magnifient la tenue saumonée de la comtesse.
Et s'il traite certains portraits, plus intimistes, dans des gammes chromatiques plus discrètes, il y fait chanter les noirs, les gris et les bruns à la façon des grands hollandais du XVIIe (Frans Hals ou Rembrandt, qu'il cite souvent à ses élèves).
Il adapte bien sûr son discours coloré au statut de ses modèles : ainsi pour portraiturer Madame Serge von Derwies, il a recours aux codes du portrait d'apparat du XVIIIe siècle : un fond de parc automnal, de bon aloi et une lumière naturelle assez discrète magnifient la tenue saumonée de la comtesse.
Le portrait des deux fils de l'artiste est d'autant plus émouvant qu'il date de 1899, deux ans à peine avant la mort d'Emmanuel, le rêveur de droite. Exécuté de manière informelle, avec des effets de matières dignes de son "maître" Rembrandt, il présente, en touches nerveuses, les deux jeunes gens arborant des poses "bohème". Ils entourent, à peine visible tant il est noir, un jeune chien dont on ne devine que les yeux de charbon et le petit bout de langue rose. Les mains sont très expressives, selon la tradition du portrait hollandais, et quelques touches de couleur, judicieusement placées, viennent éclairer les sobres tenues noires des deux jeunes gens : le rouge de la cravate d'Emmanuel, le rose de la pochette qui s'échappe à droite de la poche de sa veste et l'or du tissu du fauteuil sur lequel André pose sa main. Les carnations, traitées en pleine pâte, sont lumineuses et pourtant bien différentes, soulignées par la ligne carmin des lèvres sensuelles des jeunes modèles.
Et s'il traite certains portraits, plus intimistes, dans des gammes chromatiques plus discrètes, il y fait chanter les noirs, les gris et les bruns à la façon des grands hollandais du XVIIe (Frans Hals ou Rembrandt, qu'il cite souvent à ses élèves).
Mais ce qui est le plus surprenant chez ce champion de la couleur, c'est sa prédilection pour les peintures monochromes et les grisailles, et la façon dont il les réussit. Pas si surprenant d'ailleurs, car c'est parce qu'il sait manier les couleurs qu'il est capable d'exploiter à fond toutes les possibilités artistiques des jeux en noir et blanc : des ombres profondes, une lumière éclatante et parfois quasi surnaturelle, qui lui permettent de mettre en scène des états d'âme, comme dans l'autoportrait en habit d'Académicien qu'il a réalisé pour les Offices, ou l'ambivalence des sentiments, comme dans son inoubliable Salomé.
La thématique orientaliste est ici réduite à quelques éléments (l'or, le cuivre, le brocart des tissus) qui soulignent le savant clair-obscur et renforcent la tension dramatique de la composition. La pose et la blondeur vaporeuse de Salomé, l'air interrogatif qu'elle affecte expriment une cruauté que la présence du maure, sans l'exécuteur des basses oeuvres, dans l'ombre rend encore plus palpable.
À suivre
MERVEILLES ET MIRAGES DE L'ORIENTALISME : CONSTANT, PEINTRE D'HISTOIRE (3)
MERVEILLES ET MIRAGES DE L'ORIENTALISME : LA SENSUALITÉ DE L'ORIENT (4)
MERVEILLES ET MIRAGES DE L'ORIENTALISME : LA SENSUALITÉ DE L'ORIENT (4)