Petite virée automnale vers Toulouse, puis le Gers : au passage, nous décidons un arrêt à Montauban pour visiter une exposition joliment intitulée le Bestiaire d'Ingres et consacrée aux dessins d'animaux du peintre montalbanais. Fort de 4500 dessins autographes du maître de l'Odalisque, le musée les présente par roulement et par thème, par souci de conservation. Mais il faut bien l'avouer Ingres n'est pas vraiment un peintre animalier et les croquis exposés nous ont laissés un peu sur notre faim.
Malgré une présentation attrayante, émaillée d'animaux prêtés par le musée d'Histoire Naturelle de la ville ...
... malgré la petite peinture d'un certain Alaux représentant Ingres dans son atelier en 1818, afin de nous prouver qu'il avait un chat... l'ensemble se composait essentiellement d'esquisses rapides et rarement abouties.
La plus belle était certainement ce dessin de chien couché où l'on retrouve le talent de "portraitiste" de l'artiste ! Talent qu'on pouvait tout de même apprécier par ailleurs tout à loisir, car le musée possède une petite collection de toiles de qualité du maître.
Je venais tout juste de lire, avec amusement et intérêt, La dormeuse de Naples d'Adrien Goetz, - une histoire imaginaire consacrée à un chef d'oeuvre mythique disparu et dont nombre de peintres ont parlé, l'ayant aperçue chez l'artiste avant sa disparition - et j'étais particulièrement attentive aux réalisations du fervent admirateur de Raphaël.
Le Vœu de Louis XIII qui met sous la protection de la Sainte Vierge à son Assomption le Royaume de France, normalement dans la cathédrale de Montauban, était exposé dans le musée, entourée d'esquisses et autres preuves de l'inspiration d'Ingres quand il réalisa la toile commandée par le ministère de l'Intérieur en 1820.
D'inspiration à la fois religieuse et politique, la toile pouvait sembler un défi, et Ingres s'appliqua à l'affronter de façon magistrale. Tellement qu'elle plut fort aux parisiens qui voulaient la garder ! Les montalbanais eurent beaucoup de peine à la récupérer pour leur cathédrale.
Même si Montauban ne possède pas, au grand dam d'une touriste égarée qui s'en désolait bruyamment, l'Odalisque ou le Bain Turc, le musée présente, grâce à la donation de l'artiste, un ensemble non négligeable de toiles représentatives.
On y voit aussi, fort astucieusement présentée dans une salle à part, la reconstitution du décor créé par le maître pour le temple de Melpomène - petite construction destinée à orner le jardin d’hiver de la Villa pompéienne du prince Jérôme Napoléon -, La naissance des Muses. Invité à participer à cette aventure néo-grecque, l'artiste réalisa une œuvre atypique : une aquarelle collée sur une plaque de cuivre qui devait être nichée à l’arrière du temple, sur le fond extérieur de la cella (partie du temple qui abrite les statues des dieux). Présentée par le peintre au Salon de 1859 dans un encadrement conçu par Hittorff, cette œuvre, détachée avant la destruction de la Maison pompéienne en 1891, est aujourd’hui conservée au musée du Louvre. Montauban lui consacre une exposition explicative visible jusqu'en novembre.
Suite à la volonté de l'artiste de léguer à sa ville natale, outre ses dessins, nombre d'objets personnels, le Musée fut créé au milieu du XIXe siècle dans l'enceinte de l'ancien palais épiscopal de Montauban. C'est Armand Cambon, un peintre de la ville, élève d'Ingres, qui fut son exécuteur testamentaire et le premier conservateur du musée. Qui, du coup, présente aussi une reconstitution assez émouvante de l'atelier de l'artiste...
... où figure en bonne place le violon de celui qui fut, aussi, un remarquable instrumentiste. Petit clin d’œil à l'ami Jacopo, qui parle assez bien notre langue pour connaitre l'expression "avoir un violon d'Ingres" et a été ravi d'apprendre que le peintre jouait de cet instrument en virtuose !
Tout une salle enfin, montre les collections d'objets archéologiques de cet amoureux de Rome et fervent admirateur de l'Antiquité, qui eut la chance d'être directeur de l’Académie de France à Rome de 1835 à 1840.
Une des plus belles pièces de cette collection importante d'objets de fouilles, acquis sur place durant ses séjours romains, est pour moi cet Antineüs du IIe siècle après J.-C., d'une fort élégante facture classique.
Plus tard, le musée de Montauban s'est enrichi d'une deuxième collection d’œuvres d'un autre montalbanais célèbre : Bourdelle. Et la très grande salle qui lui est consacrée offre un panorama fort intéressant de l'oeuvre sculptée de l'artiste.
Près de 75 sculptures dont la plus célèbre est sans doute l'Héraklès, cent fois reproduit mais dont la ville possède l'exemplaire de plâtre, patiné par l'artiste, qui fut sans doute le premier jet de cette oeuvre qui fit scandale pour l'audace de sa pose.
Mais la vraie et surprenante découverte de cette visite fut celle du peintre et lissier Jacques Haramburu. Il commença sa carrière dans les années 50, second grand prix de Rome en 1955, admirateur de Cézanne, Bonnard, Vuillard, Rothko ou Pollock, il abandonne rapidement la figuration et la couleur au profit d'une expression picturale très intérieure, exclusivement en noir et blanc. Il connait vite un réel succès mais se retire complètement des circuits artistiques en 1964, ne montrant plus rien hors de son atelier pendant 20 ans. C'est une période de quête intérieure, de "voyage immobile", à la recherche des fondements de sa pratique artistique. « Sans ce corps à corde, sans ce cordon ombilical coupé, réinventé, sécrété et retendu devant soi » déclare-t-il alors, « l’art, comme la vie, n’est-il pas qu’endormissement ? Ne devons-nous pas sans cesse réapprendre que la vie artistiquement entreprise est un combat avec la mort ? ».
La lumière espérée, Haramburu va la rencontrer à l’abbaye de Beaulieu, où répondant à l’invitation de la directrice de ce centre d’art contemporain, Geneviève Bonnefoi, il réalise une grande installation intitulée « Cheminements », composée de grands panneaux peints et d’éléments de matériaux divers déplacés chaque jour par lui-même en fonction du mouvement de la lumière. Puis, désireux d'aller encore plus loin, il redevient apprenti et, au milieu des années 80 il découvre la pratique de la tapisserie.
Il s'inscrit à l'ENAD d'Aubusson, apprend à faire des cartons et surtout à tisser lui-même pour mieux saisir toutes les possibilités de ce nouveau langage. Pas question de faire comme d'autres peintres, de donner ses toiles à "mettre" en tapisserie : il participe lui-même à l'élaboration du produit tissé et en mesure toutes les implications techniques au plus près. Cela donne des tentures d'une intensité particulière, très
Son travail est très fouillé et d'une infinie complexité : tout en superpositions, mêlant objets et fils précieux, il réalise des oeuvres d'une grande puissance spirituelle et d'une luminosité époustouflante. J'avoue avoir eu un vrai coup de foudre pour ses réalisations qu'il décrit ainsi : « Des lignes, des surfaces, des couleurs, des matières, se mêlent les unes aux autres comme des voix, s’entrecroisent pour tisser des chants qui s’enroulent. Elles citent des voix anciennes. Elles se citent, se relaient comme des lés de tissus, se font paroles décousues. Elles sont entendues dans leur partition particulière, les relations intimes qu’elles entretiennent avec le silence, les risques qu’elles prennent face au vide ».
Coup de foudre d'autant plus surprenant que j'avais vu sur le site l'annonce de cette exposition et m'étais dit "pouah, que c'est moche ce truc !! on n'ira sans doute pas le voir". Présenté dans les caves du palais épiscopal, dans une ambiance parfaitement appropriée à cette forme d'expression artistique, cet accrochage a été une vraie révélation.
Je venais tout juste de lire, avec amusement et intérêt, La dormeuse de Naples d'Adrien Goetz, - une histoire imaginaire consacrée à un chef d'oeuvre mythique disparu et dont nombre de peintres ont parlé, l'ayant aperçue chez l'artiste avant sa disparition - et j'étais particulièrement attentive aux réalisations du fervent admirateur de Raphaël.
Le Vœu de Louis XIII qui met sous la protection de la Sainte Vierge à son Assomption le Royaume de France, normalement dans la cathédrale de Montauban, était exposé dans le musée, entourée d'esquisses et autres preuves de l'inspiration d'Ingres quand il réalisa la toile commandée par le ministère de l'Intérieur en 1820.
Réalisant une Vierge de l'Assomption, Ingres n'aurait pas dû inclure Jésus dans la scène, mais il admirait fort Raphaël et s'inspira de la Madone de Dresde, de la Vierge de Foligno, de la Madone du Grand Duc... ou encore de la Madone de Mackintosh dont il a réalisé cette copie dans les années 1800-1806.... même si la pose finale de la Vierge fut prise par Ingres lui même, complètement nu et juché sur un escabeau avec un chapeau dans les bras en guise d’enfant Jésus. Un dessin croqué par son ami Constantin rappelle cette anecdote.
D'inspiration à la fois religieuse et politique, la toile pouvait sembler un défi, et Ingres s'appliqua à l'affronter de façon magistrale. Tellement qu'elle plut fort aux parisiens qui voulaient la garder ! Les montalbanais eurent beaucoup de peine à la récupérer pour leur cathédrale.
Même si Montauban ne possède pas, au grand dam d'une touriste égarée qui s'en désolait bruyamment, l'Odalisque ou le Bain Turc, le musée présente, grâce à la donation de l'artiste, un ensemble non négligeable de toiles représentatives.
On y voit aussi, fort astucieusement présentée dans une salle à part, la reconstitution du décor créé par le maître pour le temple de Melpomène - petite construction destinée à orner le jardin d’hiver de la Villa pompéienne du prince Jérôme Napoléon -, La naissance des Muses. Invité à participer à cette aventure néo-grecque, l'artiste réalisa une œuvre atypique : une aquarelle collée sur une plaque de cuivre qui devait être nichée à l’arrière du temple, sur le fond extérieur de la cella (partie du temple qui abrite les statues des dieux). Présentée par le peintre au Salon de 1859 dans un encadrement conçu par Hittorff, cette œuvre, détachée avant la destruction de la Maison pompéienne en 1891, est aujourd’hui conservée au musée du Louvre. Montauban lui consacre une exposition explicative visible jusqu'en novembre.
Suite à la volonté de l'artiste de léguer à sa ville natale, outre ses dessins, nombre d'objets personnels, le Musée fut créé au milieu du XIXe siècle dans l'enceinte de l'ancien palais épiscopal de Montauban. C'est Armand Cambon, un peintre de la ville, élève d'Ingres, qui fut son exécuteur testamentaire et le premier conservateur du musée. Qui, du coup, présente aussi une reconstitution assez émouvante de l'atelier de l'artiste...
... où figure en bonne place le violon de celui qui fut, aussi, un remarquable instrumentiste. Petit clin d’œil à l'ami Jacopo, qui parle assez bien notre langue pour connaitre l'expression "avoir un violon d'Ingres" et a été ravi d'apprendre que le peintre jouait de cet instrument en virtuose !
Tout une salle enfin, montre les collections d'objets archéologiques de cet amoureux de Rome et fervent admirateur de l'Antiquité, qui eut la chance d'être directeur de l’Académie de France à Rome de 1835 à 1840.
Une des plus belles pièces de cette collection importante d'objets de fouilles, acquis sur place durant ses séjours romains, est pour moi cet Antineüs du IIe siècle après J.-C., d'une fort élégante facture classique.
Plus tard, le musée de Montauban s'est enrichi d'une deuxième collection d’œuvres d'un autre montalbanais célèbre : Bourdelle. Et la très grande salle qui lui est consacrée offre un panorama fort intéressant de l'oeuvre sculptée de l'artiste.
Près de 75 sculptures dont la plus célèbre est sans doute l'Héraklès, cent fois reproduit mais dont la ville possède l'exemplaire de plâtre, patiné par l'artiste, qui fut sans doute le premier jet de cette oeuvre qui fit scandale pour l'audace de sa pose.
Ma tapisserie préférée (quoique je les ai toutes aimées) : intitulée Marée Basse ... cette laisse de mer scintillante m'a fait rêver !!!
Mais la vraie et surprenante découverte de cette visite fut celle du peintre et lissier Jacques Haramburu. Il commença sa carrière dans les années 50, second grand prix de Rome en 1955, admirateur de Cézanne, Bonnard, Vuillard, Rothko ou Pollock, il abandonne rapidement la figuration et la couleur au profit d'une expression picturale très intérieure, exclusivement en noir et blanc. Il connait vite un réel succès mais se retire complètement des circuits artistiques en 1964, ne montrant plus rien hors de son atelier pendant 20 ans. C'est une période de quête intérieure, de "voyage immobile", à la recherche des fondements de sa pratique artistique. « Sans ce corps à corde, sans ce cordon ombilical coupé, réinventé, sécrété et retendu devant soi » déclare-t-il alors, « l’art, comme la vie, n’est-il pas qu’endormissement ? Ne devons-nous pas sans cesse réapprendre que la vie artistiquement entreprise est un combat avec la mort ? ».
La lumière espérée, Haramburu va la rencontrer à l’abbaye de Beaulieu, où répondant à l’invitation de la directrice de ce centre d’art contemporain, Geneviève Bonnefoi, il réalise une grande installation intitulée « Cheminements », composée de grands panneaux peints et d’éléments de matériaux divers déplacés chaque jour par lui-même en fonction du mouvement de la lumière. Puis, désireux d'aller encore plus loin, il redevient apprenti et, au milieu des années 80 il découvre la pratique de la tapisserie.
Il s'inscrit à l'ENAD d'Aubusson, apprend à faire des cartons et surtout à tisser lui-même pour mieux saisir toutes les possibilités de ce nouveau langage. Pas question de faire comme d'autres peintres, de donner ses toiles à "mettre" en tapisserie : il participe lui-même à l'élaboration du produit tissé et en mesure toutes les implications techniques au plus près. Cela donne des tentures d'une intensité particulière, très
Son travail est très fouillé et d'une infinie complexité : tout en superpositions, mêlant objets et fils précieux, il réalise des oeuvres d'une grande puissance spirituelle et d'une luminosité époustouflante. J'avoue avoir eu un vrai coup de foudre pour ses réalisations qu'il décrit ainsi : « Des lignes, des surfaces, des couleurs, des matières, se mêlent les unes aux autres comme des voix, s’entrecroisent pour tisser des chants qui s’enroulent. Elles citent des voix anciennes. Elles se citent, se relaient comme des lés de tissus, se font paroles décousues. Elles sont entendues dans leur partition particulière, les relations intimes qu’elles entretiennent avec le silence, les risques qu’elles prennent face au vide ».
Coup de foudre d'autant plus surprenant que j'avais vu sur le site l'annonce de cette exposition et m'étais dit "pouah, que c'est moche ce truc !! on n'ira sans doute pas le voir". Présenté dans les caves du palais épiscopal, dans une ambiance parfaitement appropriée à cette forme d'expression artistique, cet accrochage a été une vraie révélation.
Dédié à Jacopo, notre ami bolognais