Bien sûr il ne s'appelle pas ainsi ! Son "vrai" nom est "Galleria Parmeggiani" mais l'histoire de ce musée et, surtout, la personnalité incroyable de celui auquel on le doit, méritent de se laisser conter. Déjà, vu de l'extérieur, le bâtiment prête à sourire : avec son air de château médiéval de pacotille, créneaux faussement guelfes et gargouilles d'opérette, on se demande ce qu'il peut bien abriter.
Le "pallazzina" de style gotico Renaissance dresse son inutile tour au coin de la grande place de Reggio, et l'on sourit en l'apercevant tant tout cela est flambant neuf. Mais, ayant entendu parler d'un Greco et habitant à 50 mètres de l'endroit, nous avons décidé de tenter la visite. On franchit le seuil par un portail pas si neuf qu'il y parait puisqu’il date du XVème siècle et provient de Valence. Il fut inclus dans cette construction récente, réalisée entre 1925 et 1928 par Luigi Parmeggiani pour y exposer ses collections d'art. Le hall abrite une collection de marbres et de pierres antiques disposées comme dans un lapidaire romain. A droite et à gauche, deux salles, celle "des joyaux" et celle "des armes". Et là, commence le folklore.
Dans la salle des armes, armures, épées, mousquetons et poignards qu'on regarde d'un œil torve. N''y connaissant pas grand chose en matière d'armes, on s'empare de la documentation mise à la disposition des visiteurs à l'entrée de la salle et l'on apprend que la pièce contient deux groupes d'armes : certaines authentiques, anciennes, datent du XVII au XIXème siècle. Les autres, nettement plus intéressantes nous dit-on, ont été fabriquées au début du XXème siècle et proviennent de la boutique Marcy, atelier de faussaires fort prisé par le marché de l'art et les musées américains. Ah bon ??
Un lutrin d'inspiration espagnole, XIVème, réalisé par la boutique Marcy : au centre une rosace directement inspirée des églises gothiques, aux 4 coins les symboles des évangélistes dans de très vraisemblables "émaux limousins", à ceci près que le lion représente non pas Saint Marc mais Saint Luc, erreur qui trahit le faux. Ce modèle était très apprécié des amateurs d'objets médiévaux, puisqu'on en connait au moins 5 autres exemplaires. Les motifs sont directement inspirés de pièces du Trésor de la Cathédrale de Séville et du tabernacle de la Cathédrale de Gérone, aujourd’hui au Louvre.
On passe ensuite dans la salle dite des Joyaux, et là on admire une série de pièces d’orfèvreries médiévales dans un état de conservation incroyable, mais un peu surprenants, tant par leurs thèmes, inhabituels, que par leurs matériaux. Ainsi une fort élégante Vierge à l'Enfant, tout à fait XIIIème siècle parisien, déhanchée avec grâce est ici en bronze, et comme elles sont normalement en ivoire, on ne peut s'empêcher de se poser des questions. Coupes, coffrets, chandeliers, statues de saints, émaux de Limoges, tout semble ancien mais on trouve de curieux mélanges des genres, entre inspiration arabo-musulmane et plus pur style d'Allemagne du Nord. Bizarre, bizarre !! Il s'avère que, là encore, tout est faux, réalisé au début du XXème par la fameuse boutique Marcy.
Après une salle des costumes, vide lors de notre visite, on accède à une très vaste pièce, aux murs rouge pompéien, éclairée par une grande verrière centrale, et dont la disposition évoque l'impluvium d'un atrium romain. Sur des crédences, des chevalets et autres consoles, dont disposées des œuvres d'art, pendant que sur les murs sont accrochés de nombreuses toiles dont certaines semblent de fort belle qualité. C'est hétéroclite, un peu trop chargé et présenté sans aucune logique.
Escosura : salon de la maison Parmeggiani à Paris (titre donnée par Parmeggianni lui-même, de façon usurpée puisqu'en fait il s'agit du salon parisien de la maison d'Escosura !!! encore un mensonge du fieffé malin !)
La toile représente l'idéal de "l"art total" qui était celui des collectionneurs de la fin du XIXème, et illustre parfaitement la façon dont on présentait alors ses collections
Le Beau Louis
Né à Reggio Emilia en 1860 (2), Luigi Parmeggiani fut dès 12 ans apprenti typographe avant d'entrer dans un atelier de bijouterie (3). C'est à 18 ans qu'il entre en contact avec le groupe d'anarchistes internationaux de Reggio, et l'année suivante il s'exile en France où il rencontre Marie Carronis avec laquelle il vivra durant plusieurs années. En 1881, le couple s'installe à Lyon, et nous les retrouvons en 1885 au 42 rue Bert à Paris, où il reçoit volontiers anarchistes et anciens communards. Dès 1887 (4), on pense qu'il est employé comme apprenti dans l'atelier de faussaires de Victor Marcy. Il continue activement ses engagements anarchistes. Son groupe prône l’idée de l’expropriation comme instrument révolutionnaire et, il participe à de nombreux vols, préparation d'engins explosifs et même agression à coups de couteau d'un espion du gouvernement italien. Tant et si bien qu'en août 1887, il est arrêté et condamné à deux mois de prison pour contravention à un décret d’expulsion.
Il part alors pour Bruxelles, puis, brièvement pour Londres, tout en continuant à militer, en particulier en publiant un journal, « Le Cyclone ». Une brève feuille aux propos véhéments, dans laquelle il attaque plusieurs de ses anciens amis communards, les accusant d'avoir abandonné la cause de la révolution sociale. En février 1889, il retourne en Italie avec un ami, et ils poignardent un certain Cerretti à Mirandola. Trois jours après ils sont interceptés par la police pendant qu’ils se dirigent vers Reggio Emilia. Obligé de fuir en France, Parmeggiani entre en contact avec la maison Marcy-Escosura (5), puis se réfugie à Londres, Green Street, où, sur la demande du gouvernement italien, il est arrêté par la police anglaise. Pourtant, la demande d’extradition est repoussée et c'est par contumace qu'il est condamné en Italie à 30 ans de réclusion. Il s'établit donc à Londres, où il continue à publier des feuilles anarchistes, à réunir autour de lui des sympathisants de la cause, et à financer leurs actions en participant à de nombreux vols. C'est l'époque où, par souci de respectabilité, il se déclare ... cordonnier !
Luigi Parmeggiani devant la vitrine de sa boutique, posant devant des faux manifestes
En septembre 1892, il tente de se réinstaller en France sous faux nom, mais il est de nouveau arrêté pour infraction à interdiction de séjour. Il reste en prison jusqu’en juin 1893, et revient à Londres. Il ouvre alors avec Victor Marcy un magasin d’antiquités dans les environs du British Museum et, à la mort de ce dernier, il gère une galerie de plus en plus prospère. Visité par le représentant culturel de la reine Victoria et par l’impératrice allemande, il fournit même des objets au British Museum, qui en conservé une belle collection. Au début du XXe siècle, Parmeggiani délaisse Londres et revient à Paris, où il acquiert une fortune considérable comme gérant de la galerie et comme expert d’art, en utilisant le nom de Marcy. En 1903 il est de nouveau arrêté par la police française pour contravention au décret d’expulsion et condamné aux cinq mois de prison. Dans sa maison la police trouve une collection d’objets d’art évaluée plusieurs millions de francs. En 1905, Parmeggiani dénonce dans une brochure les diffamations d’un ancien inspecteur de Scotland Yard qui, dans un livre de mémoires, l’avait décrit comme un dangereux anarchiste et receleur. Lors du procès qui s’ensuit, Parmeggiani nie résolument avoir jamais adhéré au mouvement anarchiste. Bien que continuant à publier des écrits polémiques, notamment contre Cipriani, il exerce avec succès son activité florissante de marchand d'art. En 1920, après le décès de la veuve Escosura, il épouse la petite fille de Victor Marcy, Anna Detti, âgée de seulement 39 ans (il en a 60).
Parmeggiani âgé, devant sa cheminée
En 1924, Parmeggiani ferme sa galerie parisienne et s’établit définitvement à Reggio Emilia où il mène, dès lors, une vie de rentier aisé. Mussolini lui fait même l'honneur de venir visiter ses collections en 1926. Il construit cette étonnante maison néo-gothico-renaissance pour y abriter ses objets, ensemble qu'il cède à la ville en 1932. Il meurt prospère et respecté le 17 juin 1945.
La personnalité de cet anarchiste, casse-cou, violent, voleur, reconverti en amateur d'art solidement embourgeoisé, a de quoi réjouir. Dès l'aube du nouveau siècle, il fait tout pour faire oublier son passé politique, s'inventant un passé aux mille métiers honorables. C'est surtout grâce à la famille Marcy qu'il parvint, liaison, héritages et mariage aidant, à se constituer une respectabilité. La fille de Victor Marcy, Augustine Marie Thérèse avait épousé Leon y Escosura et était dès les années 1900 la vraie responsable de la galerie Escosura-Marcy. Quand Escosura mourut, "le Beau Louis" comme on l'appelait alors, prit sans complexe le nom de jeune fille de la veuve et devint Louis Marcy, tout en partageant la couche de Marie-Thérèse, même s'il se présentait comme son frère. Ce qui lui permit de mettre la main, au passage, sur ses immenses collections. Faussaire, se livrant à des douteux trafics d’œuvres d'art, il n'hésitait devant rien pour s'enrichir.
Cesare Detti : portrait de Juliette Detti, la fille de l'artiste : la jeune fille est habillée à l'antique et le portrait, intemporel, célèbre sa beauté et sa pureté. Au portrait s'ajoute un bouquet virtuose. Ce portrait, qui avait été initialement donné par le peintre à sa commune natale, Spoleto, fut échangé par Anna Detti, la soeur du modèle et la femme de Parmeggiani, contre quatre toiles de son père afin de garder auprès d'elle, dans sa maison de Reggio un souvenir de Juliette, morte à 22 ans.
Il semble que la pratique du faux existait dès la création de la boutique par madame Marcy et son époux Victor. Marcy avait l'habitude de dire que les antiquités qu'il vendait venaient de quelque monastère espagnol inconnu, et faisait travailler une petite armée d'artisans de talent, qui copiaient, inventaient et patinaient avec génie. Un des chefs-d'œuvre de cet atelier de contrefaçon fut la supposée l'épée d'Édouard III, qu'il tenta de vendre au British Museum, heureusement sans succès. Mais les musées londoniens regorgent d'objets de ce genre, et ce n'est que récemment qu'on a découvert qu'il s'agissait de faux. Faux dont on loue grandement la qualité : ils sont très recherchés et très appréciés en tant que tels.
Escosura : Charles V dans l'atelier du Titien.
Quand il ne peignait pas des faux, parfois très talentueux, l'espagnol était le spécialiste toutes catégories d'un genre très à la mode à la fin du XIXème : la scène de genre historique. Célébrant l’admiration que portait Charles V au grand maître (le nommant en 1533 Comte du Latran, et l'honorant de l'ordre des Chevaliers de l’Éperon d'Or, avec chaîne et épée, cette reconstitution très Disneyland avant la lettre met en scène l'atelier inventé de l'artiste où un modèle aux formes généreuses se repose en jouant avec un perroquet. ¨Pendant que Titien montre à l'empereur admiratif une de ses dernières oeuvres, le tout dans un ambiance faussement renaissance
De même que l'excellent portrait de mathématicien, peut-être Archimède, par Ribera.
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(1) Selon le Dictionnaire biographique des anarchistes italiens, volume II, de I à Z, Bibliotheca Franco Serantini, 2004, p.297-299. Traduction : Andréa des Editions Eleuthera, cité par le blog d'Alexandre Jacob, l'honnête cambrioleur. Notice rédigée par Pietro Di Paola. Et selon la notice du musée sur Luigi Parmeggiano.
(2) le dictionnaire ci-dessus indique comme année de naissance 1858, mais je pense à tort car le site du musée précise, dans sa rubrique bibliographique, qu'il est né en 1860 à Villa Ospizio à Reggio Emilia.
(3) La notice du Dictionnaire des anarchistes le dit "cordonnier", ici aussi sans doute à tort.
(4) mais dit la notice du musée, le témoignage qui l'affirme est tardif et suspect
(5) Selon certains, mais cette hypothèse n'est pas vérifiée, ce premier contact aurait eu lieu à l'occasion d'une tentative de vol dans la bijouterie Marcy-Escosura.